Boyhood - de Richard Linklater

     Un véritable coup de coeur. Une fois de plus, Richard Linklater a su, après la brillante trilogie des "Before", me toucher de manière profonde. Boyhood est un projet incroyable : celui d'un film tourné sur 12 années afin que l'évolution des personnages suive exactement l'évolution physique des acteurs. C'est simple, il n'y a rien dans ce film que je n'aie pas adoré. Chaque instant, chaque image m'a fasciné et envoûté, à tel point que cet article ne sera qu'une liste de toutes les choses qui me font dire que Boyhood est un chef d'oeuvre complet.

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Boyhood - de Richard Linklater

    Voici donc tout simplement 10 raisons pour lesquelles Boyhood m'a marqué et stupéfait.

 

L'idée de départ. Boyhood, c'est tout d'abord un principe de génie, à ma connaissance unique dans l'histoire du cinéma : à savoir l'idée de filmer les acteurs quelques jours par an pendant 12 ans (de 2002 à 2013), pour ensuite monter les images comme un tout cohérent. Outre les difficultés évidentes que cela a dû poser (premièrement, s'assurer qu'aucun membre du casting n'abandonne le projet en cours de route, puis faire attention à tourner toutes les images avec la même méthode (ici du 35mm) pour qu'au final, on ait cette impression d'unité, ou encore permettre à Ellar Coltrane de vivre sa vie d'enfant normalement sans que Boyhood en soit constamment le centre), je trouve que cette volonté chez Richard Linklater de capter l'évolution d'une histoire en "temps réel" est magique. Déjà, sa trilogie mettant en scène l'évolution d'un couple au fil des décennies à travers Before Sunrise (1995), puis Before Sunset (2004) et enfin Before Midnight (2013) m'avait subjugué, et elle annonçait les prémices de ce qu'allait devenir Boyhood : une fresque magnifique sur le temps qui passe et la vie qui s'écoule. C'est formidable.

Boyhood - de Richard Linklater

Une volonté de montrer la vie telle qu'elle est. Boyhood a cette exquise particularité de ne pas proposer de gros rebondissements, ni de retournements de situation, ni même de propos clair sur les thèmes chers au cinéaste qui sont abordés ici. Cette volonté délibérée de simplement filmer des moments de vie sans essayer de les rendre importants, en captant les images au bon moment et en restant dans la simplicité, sans jamais créer de climax, aura sûrement dérouté certains spectateurs. Cette vision est pourtant novatrice dans le milieu du cinéma : il faut quand même avoir du culot pour proposer un film de 2h45 sur l'évolution d'une famille (et plus particulièrement d'un jeune garçon) au fil des décennies, sans jamais tenter d'en faire quelque chose de bavard. J'ai trouvé ça si agréable, délicat, surprenant ! Les séquences de vie s'enchaînent avec fluidité, c'est épatant.

Boyhood - de Richard Linklater

Le montage linéaire. Etant donné que le montage n'a réellement débuté qu'une fois toutes les scènes tournées, soit 12 ans après la première image filmée, il aurait été tentant de vouloir proposer un montage non linéaire pour cette histoire. A coup de flashbacks et en alternant constamment des époques, le contraste entre les différents âges de l'acteur principal aurait eu un effet saisissant sur le spectateur. Cependant, et c'est là toute la force du film : le but recherché n'était absolument pas d'impressionner le spectateur. Au contraire, le film se déroule de manière parfaitement linéaire ; de la première seconde à la dernière, le personnage évolue en même temps que l'acteur et on suit sa vie par périodes plus ou moins longues. Par ce biais, la sensation du temps qui passe trop vite est incroyablement présente tout au long du visionnage. Certains enchaînements sont complètement fous et, en passant ainsi d'un âge au suivant sans jamais spécialement conclure le précédent par un temps fort, Richard Linklater nous impose sa vision de la vie : c'est un défilement ininterrompu de joies, de craintes, de peines, d'amour. Les images sont d'une limpidité sidérante et il m'est arrivé plusieurs fois de me dire : "Quoi ? Il a déjà cet âge là ? Mais ce n'est pas possible, ça passe trop vite !". Que c'est brillant...

Boyhood - de Richard Linklater

Cette demi-seconde qui restera gravée dans ma mémoire. Après un passage assez marquant décrivant une période difficile de violence dans la vie de Mason et de sa soeur, et alors qu'on se remet à peine de la froideur de certaines scènes qui glacent le sang, une image s'est imprimée de manière indélébile sur ma rétine. Et pour ça, il a suffi d'une demi-seconde, même pas. Il s'agit de ce moment de grâce incroyable : le dernier regard de Mason à son demi-frère et sa demi-soeur, qui ne dure réellement qu'une fraction de seconde mais qui m'a fait l'effet d'une bombe émotionnelle. Ce regard est fou, il est sublime, il contient tout. Quel moment incroyable...

Boyhood - de Richard Linklater

La musique. La BO de Boyhood est stupéfiante, car elle permet, à travers un simple autoradio, de capter l'esprit musical d'une année antérieure. Les musiques choisies pour figurer sur la BO du film sont, une fois encore, des témoins du temps qui passe. Elles ont éveillé ma nostalgie et mes émotions, avec autant de puissance qu'un Mommy. Qui plus est, la musique est un thème assez central du film avec des personnages relativement amateurs de musique, notamment le père de famille magnifiquement interprété par Ethan Hawke, qui ne cesse de vanter les mérites des Beatles. Et puis, surtout, le générique final s'ouvre avec une fabuleuse chanson d'Arcade Fire - Deep Blue - que je ne connaissais absolument pas. En m'ayant fait découvrir une autre chanson de ce groupe que j'adore, Boyhood ne s'arrête donc plus de me plaire.

Boyhood - de Richard Linklater

Ethan Hawke. Parlons-en, justement. Cet acteur, que j'adule depuis que j'ai vu pour la toute première fois Before Sunrise, est une fois de plus exceptionnel dans un rôle sensible et sensé. Bien que son absence en début de film n'est expliquée que sommairement, on en sait suffisamment pour ne pas en vouloir au personnage, et on lui pardonne rapidement son statut de père absent lorsqu'on voit avec quelle classe il revient dans la vie de ses enfants. Ethan Hawke donne à son personnage tout ce dont il a besoin : de la confiance, du bon sens, de la bienveillance, une fibre paternelle puissante. Je n'ai cessé d'admirer ce personnage, que ce soit à travers ses idées comme sa façon de procéder pour regagner l'intérêt et l'amour de ses propres enfants. C'était magnifique.

Boyhood - de Richard Linklater

Patricia Arquette. De l'autre côté de la balance parentale se trouve Patricia Arquette en mère prête à tout pour protéger ses enfants ; une femme forte, solide, ayant la tête sur les épaules. J'ai adoré comme le film ne sombre jamais dans le manichéisme ou dans l'affrontement trop facile qui aurait pu avoir lieu entre son personnage et celui d'Ethan Hawke. Que ça fait du bien, d'observer ces deux parents responsables qui ne font jamais une seule erreur d'éducation pendant tout le film ! Ce personnage est toujours là lorsqu'on a besoin d'elle, elle n'abandonne jamais, ne relâche jamais sa garde. Ca force le respect. Quant à l'actrice en elle-même, son interprétation est toujours juste, voire poignante. Sa dernière réplique, notamment, est un arrache-coeur. L'écriture de ce personnage est absolument parfaite.

Boyhood - de Richard Linklater

Ellar Coltrane. J'ai rarement vu un casting aussi réussi. Et pourtant, qu'il a dû être difficile de choisir le bon enfant pour illustrer cette histoire ! L'acteur est époustouflant du début à la fin ; qu'il ait 6 ans ou 18 ans, son jeu est incroyable. En plus de ne jamais être cliché, il ne tombe jamais dans les travers qu'il aurait pu nous faire subir pendant la deuxième moitié du film. On aurait pu imaginer que le gamin, marqué par toutes ces mauvaises rencontres, se serait rebellé, se serait révolté à l'adolescence. A la place, il incarne l'un des personnages les plus doux, calmes et sensibles de ces dernières années au cinéma. J'ai été scotché par la manière dont Ellar Coltrane a façonné son personnage, par la dimension artistique qu'il lui a donné, par le côté "en marge mais pas tant que ça" qu'il lui a subtilement apporté. Son attitude, son regard, son sourire, sa façon d'être. Tout est parfait, tout est beau. On s'attache à ce gosse comme si c'était le nôtre, c'est juste délirant et merveilleux. La scène dont j'ai extrait l'image ci-dessous est purement géniale. J'ai adoré avec quelle nonchalance, avec quelle élégance le personnage répond à sa mère, et également avec quelle douceur elle-même réagit. Je n'ai plus les mots ; tant de vérité et de simplicité m'ont sonné.

Boyhood - de Richard Linklater

Les conversations. On le sait au moins depuis Before Sunrise, Richard Linklater maîtrise l'art des dialogues et de la mise en scène de longues conversations passionnantes. Une fois de plus, avec notamment un incroyable dialogue entre le père et son fils en fin de film, la caméra se pose plusieurs minutes pour qu'on ne rate pas un seul mot de la discussion. On savoure les dits et les non-dits, les regards, l'évolution des relations qui se consolident toujours d'avantage. Il n'y a rien à dire bordel.

Boyhood - de Richard Linklater

La fin du film. Et je vais terminer, sans spoiler, par la délicieuse fin du film qui vient conclure cette oeuvre de la manière la plus belle possible. C'est pour moi un crève-coeur de ne pas insérer ici l'image finale de Boyhood tant je l'ai trouvée belle à tout point de vue. En plus de faire écho à une autre superbe scène de Before Sunrise, j'ai eu des étoiles dans les yeux, tout simplement. Quelle délicatesse, quel jeu des acteurs, quelles couleurs (wouah !), quel paysage, quel silence merveilleux, quel moment intense et vibrant ! Je n'ai pas les mots pour décrire ce dénouement, c'était juste (encore une fois) parfait. Je n'aurais pas pu rêver mieux après 2h40 de beauté visuelle. Le film se termine en apothéose, mais toujours dans la douceur et sans en faire trop. Qu'est-ce que c'est subtil, bon sang !

 

     Bref, vous l'aurez compris : Boyhood est mon énorme coup de coeur de ce début d'année. Je ne pensais pas qu'un jour, un film pourrait me faire autant d'effet que Before Sunrise et, qu'en plus, ce serait à nouveau Richard Linklater qui m'offrirait un tel moment. Je vais de ce pas étudier le reste de la filmographie de ce réalisateur qui, une fois de plus, a su me toucher avec des regards, des silences ou des conversations. Chef d'oeuvre qui intègre officiellement mon top 50.

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