Je suis sorti très fâché de la salle. C'est triste à dire, mais ça y est, je n'en peux plus de Wes Anderson. Merde. Ayant longtemps adulé ce cinéaste pour des films que je place encore aujourd'hui sur un piédestal comme La vie aquatique, The Darjeeling Limited ou encore le magnifique La famille Tenenbaum, je crois que mon amour pour ce réalisateur se cantonnera finalement à son travail jusqu'en 2012. Car c'est bien en 2012 qu'est sorti le dernier film d'Anderson qui m'ait réellement subjugué : Moonrise Kingdom. Par la suite, ma déception est allée de manière grandissante. Tout d'abord, avec The Grand Budapest Hotel, certes honnête et amusant, mais où je sentais poindre chez Anderson l'envie de se caricaturer lui-même et surtout, un certain vide chez les personnages. Puis, avec l'Ile aux chiens dont je n'ai absolument pas compris les critiques dithyrambiques, et enfin, donc, avec The French Dispatch que j'ai carrément détesté.
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Alors, par où commencer ?
Dès les premières secondes, j'ai su que quelque chose n'allait pas. En reconnaissant immédiatement le "style Wes Anderson" en un coup d'oeil, je n'ai pas ressenti cette sensation de bien-être que j'aurais dû ressentir. Je n'ai pas eu cette réaction que je peux avoir avec d'autres cinéastes, celle de se sentir "à la maison", cette sensation de pouvoir se mettre à l'aise et de se laisser embarquer, de profiter. On pourrait croire que ce ressenti m'appartient et reste subjectif, mais cette fois-ci je pense réellement qu'Anderson commence à se foutre de nous.
En fait, les premières minutes pourraient tout aussi bien appartenir à un autre film de Wes Anderson. Il y a la musique habituelle, les travellings habituels, la symétrie habituelle, la narration habituelle, le casting habituel. Bref : c'est tout comme d'habitude, à ceci près : la surprise n'est plus là et l'originalité, de fait, n'est plus là. Car, à force de répéter et répéter les gimmicks qui ont fait son originalité, Wes Anderson donne l'impression de se reposer sur ses lauriers et je crains qu'il ne sache plus faire autre chose. Il est peut-être déjà au bout de ce qu'il avait à proposer. Alors oui, pour quelqu'un qui découvre ce cinéaste, le film doit sembler fichtrement décalé et surprenant. Mais lorsqu'on se tape la même chose pour la 6e fois, ça a de quoi agacer.
De plus, ce n'est pas comme si The French Dispatch proposait quelque chose de nouveau ou d'intéressant par son scénario. Ce qui a fait la force de ses premiers films (malgré leurs ressemblances de narration et de réalisation qui ont donné vie à la "patte Anderson" et qui restent, j'en conviens volontiers, inévitables et logiques), c'est que chacun d'entre eux avait son univers. La famille Tenenbaum était familial, exquis, drôle et cynique. La vie aquatique était émouvant et mémorable, notamment la scène avec Sigur Ros. Moonrise Kingdom était nostalgique et fascinant. The Darjeeling Limited savait être déchirant, avec des personnages qui sonnaient justes. Mais The French Dispatch, qu'est-il ? Et bien... pas grand-chose.
A mon goût, c'est surtout un gloubi-boulga imbitable de 1h43 (qui m'en ont parues le double) dont je n'ai absolument pas compris la trame. Les histoires, les scènes, les plans et les personnages s'enchaînent pratiquement sans aucune logique, sautant généralement du coq à l'âne sans réelle explication, si bien qu'on se retrouve au bout d'une heure à devoir gérer pas moins de 30 ou 40 personnages différents - la plupart n'ayant quasiment rien à apporter de plus que leur seule présence - et j'ai trouvé ça insupportable. Sérieusement, c'est quoi tout ce bordel ? Il n'y a ni trame ni logique. L'idée de ce journal américain qui a pour mission de raconter trois histoires différentes n'est qu'un prétexte idiot pour justifier cette accumulation de séquences aussi incompréhensibles que superficielles. Je me suis même demandé si Anderson ne nous prenait pas pour des cons en appelant son village "Ennui-sur-Blasé", tant ces termes traduisent à la perfection ce que j'ai pu ressentir en visionnant ce film décousu. Le cinéaste est-il lui-même blasé de nous ressortir constamment la même soupe, ou y avait-il réellement une motivation derrière ce projet abscons ?
J'ai tellement de choses à dire sur The French Dispatch que je vais plutôt énoncer un à un tous les éléments que je lui reproche afin de ne rien oublier.
La musique
Je n'en pouvais plus. Les musiques de ce film sont un calvaire : elles ne consistent généralement qu'en une succession de petites notes qui ne s'arrêtent jamais (heureusement, les trois actes du film ont trois mélodies différentes, sinon je n'aurais pas tenu jusqu'à la fin, soyons clairs). Ces musiques, on les connait déjà pour la plupart puisqu'elles illustrent déjà (à peu de choses près) les précédents films de Wes Anderson. Or, là où elles faisaient la magie de son cinéma lorsqu'elles restaient originales et décalées, ces musiques sont à présent rébarbatives. C'est complètement vide, totalement chiant et répétitif. En fait, à ce stade, ce n'est même plus de la musique - tout au plus, de la musique d'ascenseur -, c'est juste un bruit de fond pour forcer le style et l'univers. Pas une seule tentative de créer quelque chose de nouveau de ce côté-là, donc. Si vous n'avez pas vu le film, je vous assure que vous connaissez pourtant déjà la bande "originale". Pour ça, rien de plus simple : pensez à un film de Wes Anderson - au hasard : The Grand Budapest Hotel - puis imaginez une musique sur ces images. Bingo, vous voilà maintenant avec la musique de The French Dispatch en tête ! C'est magique, je vous dis.
Le casting
C'est une horreur. Attention, je ne parle pas du talent des acteurs qui sont, pour la plupart, incroyables. Non, je parle simplement de ce défilé de comédiens et comédiennes qui vont et viennent, s'enchaînent et s'interchangent toutes les 3 minutes sans réellement se donner la réplique. Le film aurait pu s'appeler The French Dispatch : The Wes Anderson Show. A part la présence de quelques nouveaux acteurs particulièrement brillants comme Benicio Del Toro, Léa Seydoux (exceptionnelle) ou encore Timothée Chalamet, vous assisterez à une ribambelle d'acteurs qui semblent avoir été rajoutés ici et là parce que Wes Anderson n'a pas pu s'en empêcher. On a une impression de fan-service grotesque. Certains vont trouver ça scandaleux, mais je m'en fous : j'ai pensé à Astérix et Obélix : les jeux olympiques. Vous vous souvenez, ce défilé de stars complètement absurde et crétin ? Ici, c'est pareil : c'est comme si Wes Anderson s'était dit "merde alors, j'ai un super casting pour mes personnages principaux, mais il manque quelque chose... Ah, oui, il manque Bill Murray. Oh, et Tilda Swinton ! Et flûte, j'ai failli oublier Owen Wilson aussi, et Adrien Brody. Jason Schwartzman, Edward Norton, Bob Balaban, Anjelica Huston.... Bon, comment je vais intégrer tout ce monde-là ?". S'ajoutent à ça des acteurs qui semblent avoir été placés là juste pour être placés là, comme Willem Dafoe, Christoph Waltz, Cécile de France, Guillaume Galienne, Kate Winslet, etc. Bref, tout ceci est indigeste.
Les décors
Oui, bien sûr, les décors sont extrêmement beaux, les scènes fourmillent de détails en tous genres et pratiquement chaque plan possède un décor à lui tout seul. Mais bon sang, pour quoi faire ? Pourquoi tant de création et de décors au service... du vide abyssal ? En voyant défiler sous mes yeux tous ces décors dans une espèce de travelling interminable de 1h45, ma seule question a été : "qui sont les pauvres gens qui se sont fait chier à créer de si beaux décors pour des scènes de 4 secondes qui ne servent strictement à rien ?". Encore une fois, j'ai eu cette impression qu'Anderson se caricaturait à l'extrême, usant et abusant de tics de réalisation que je ne supporte plus pour les connaître déjà par coeur.
La narration
On arrive là, à mon goût, au principal défaut du film. Si la voix-off peut parfois être sympathique pour illustrer un propos ou créer du comique, il est tout bonnement insupportable de s'en taper une pendant l'intégralité du film. Encore une fois, c'est un tic de construction narrative que je trouve aberrant, moche et contre-productif. 75% du film consistent à écouter une voix-off nous raconter ce qu'il se passe à l'écran. Si vous êtes attentifs, vous verrez que The French Dispatch contient finalement assez peu de dialogues, ce qui rend la plupart des personnages terriblement superficiels et vides. Et lorsque, parfois, ils se mettent à parler, il est rare que leurs propos ne soient pas soulignés derrière par cette voix-off creuse et chiante à mourir. C'est comme si le film ne démarrait jamais, demeurant une sorte d'introduction à quelque chose qui ne vient jamais. N'existe-t-il pas de jolis moyens de raconter une histoire, plutôt que cette stupide voix-off illustrative ?
L'humour
Je n'ai pas ri une seule fois, et pourtant je vous assure que je suis bon public. Je pense néanmoins avoir eu deux sourires et un soufflement du nez. Outre le fait que l'humour veuille être diffusé principalement à travers les remarques de la voix-off, qui ne fait jamais mouche, Wes Anderson souhaite jouer sur le comique de certaines situations pour nous extirper un rire. Sauf que - ne me faites pas de mauvais procès, j'ai toujours ri de bon coeur devant ses précédents films - j'ai trouvé que l'humour tombait constamment à plat. Soit parce que la situation n'a strictement aucun intérêt ni aucun enjeu, soit parce que les personnages sont inintéressants au possible.
Le noir et blanc
Youhou, regardez, mon film est original ! Mais si, je vous assure ! Tiens : dans mes autres films, il n'y a pas de noir et blanc (ou presque), alors que là il y a en plein !
C'est à peu près la seule raison pour laquelle j'explique la présence de noir et blanc dans ce long-métrage, car il est bien difficile de la justifier. Je n'ai cessé de me demander, pendant tout le film, pourquoi les scènes s'enchaînaient en alternant la couleur et le noir & blanc. Parfois, au sein d'une même séquence, et sans aucune raison apparente, l'image passe de l'un à l'autre sans aucune justification. Pourquoi ? Nous avons là une fois de plus un élément du film que je n'explique pas et qui a participé d'autant plus à mon incompréhension totale.
Bref, pour résumer : The French Dispatch est un fourre-tout de toutes les manies et obsessions de Wes Anderson et je ne comprends même pas le but de cette proposition cinématographique. Je n'ai pas compris les personnages ni les situations, en particulier : je n'ai pas compris pourquoi on m'a raconté toutes ces choses sans intérêt. Il n'y a pour moi qu'un point positif, qui sauve globalement le film d'être totalement catastrophique : c'est la qualité des décors et de la réalisation qui, même si c'est du vu, revu et re-revu chez le cinéaste, reste propre et soignée. Le reste ne présente pour moi rien qui vaille la peine d'en faire un film. Très sincèrement, ce fut l'une de mes pires expériences cinématographiques.
Maintenant c'est sûr, quand je voudrai revoir un film d'Anderson, ce n'est pas vers la salle de cinéma que je me dirigerai mais bien vers mes vieux DVD, que je regarderai avec nostalgie en pensant à l'époque où tout ceci était encore surprenant et original.
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