Il est temps pour moi de revenir sur un film qui représente profondément une grande partie de ma vie, et qui reste à mon goût un indémodable bijou des années 80, changeant radicalement la vision que les gens avaient du karaté à l'époque. The Karate Kid, réalisé en 1984 par le regretté John G. Avildsen (Rocky), est, pour des tas de raisons, l'une de mes incroyables madeleines de Proust.
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Il faut commencer par préciser que j'ai pratiqué le karaté de l'âge de 7 ans à 19 ans. Ce sport propose une philosophie sereine et apaisée, à condition de trouver un Sensei digne de ce nom qui inculque les vraies valeurs de cet art martial, héritées d'un Japon plus ancien, et ça croyez-moi ce n'est pas évident en France - sinon j'aurais continué après mes 19 ans. Oui, j'ai eu l'incroyable chance de rencontrer mon maître Miyagi à moi. Un prof de karaté à cheval sur les traditions, qui connaissait l'essence même du karaté, qui ne voyait pas son club comme un simple nid à compétiteurs, qui préférait la technique au sport, l'esprit au corps, les valeurs aux résultats. Ça m'a forgé en tant qu'enfant, ça m'a construit en tant que personne.
Le karaté, contrairement à l'idée commune (créée par le cinéma lui-même !) selon laquelle il serait source de combat et de violence, est en fait une discipline extrêmement pacifique. La première règle que tout bon karatéka doit apprendre est que si on peut éviter un combat, un affrontement, alors il faut l'éviter. Que ce soit dans notre posture, dans notre respect face à l'autre, dans nos gestes, nos paroles, tout doit être mis en place pour éviter le conflit. Bien sûr, le karaté enseigne l'apprentissage de l'attaque et de la défense. Mais ces choses ne doivent servir qu'en cas d'extrême nécessité, c'est-à-dire lorsque nous nous retrouvons face à un adversaire qui refuse d'éviter le conflit. Ce n'est d'ailleurs pas par hasard si tous les katas (enchaînements de techniques censées représenter le déroulement d'un combat imaginaire) commencent tous par une technique de défense. Parce que le karaté ne sert jamais à attaquer.
The Karate Kid est un grand film parce qu'il est l'un des premiers à présenter le karaté sous cet angle, à une époque où les arts martiaux étaient montrés et considérés uniquement à travers le combat, la violence et l'affrontement. Ce fut un changement radical et rien que pour ça, le film a marqué le cinéma. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'aujourd'hui encore il est resté dans les esprits, à travers le personnage de Pat Morita bien sûr (mon dieu ca fait déjà 15 ans qu'il est parti ? Quelle tristesse.), mais aussi grâce à son humour, sa spiritualité, et sa nostalgie des années 80 qui en fait son incroyable charme.
Le premier élément montrant ce parti pris est simple : le choix des acteurs. Ni Pat Morita (maître Miyagi), ni Ralph Macchio (Daniel Larusso) ne pratiquaient les arts martiaux avant de tourner ce film. À une époque où le karaté était représenté par des acteurs comme Bruce Lee ou Jackie Chan (le remake de Karate Kid en 2010 est d'ailleurs une catastrophe sur tous les niveaux), ce choix est extrêmement pertinent. Cela se ressent beaucoup car les rares scènes de karaté visibles à l'écran sont techniquement très éloignées de ce qu'est réellement ce sport, mais au fond ce n'est pas ce qui compte. Ce qui compte, ce sont les leçons que Daniel a tirées de ses enseignements avec M. Miyagi. Au début du film, Daniel est un adolescent nerveux qui souhaite apprendre le karaté dans le seul but de se venger de ses agresseurs, pour "faire mal". À la fin du film, il en ressort avec des valeurs et des principes. Il a incroyablement mûri et, même s'il reste encore un enfant impulsif, il a changé. Il a pu se construire dans un environnement hostile ; car pour un gringalet d'origine italienne dans les années 80, il n'est pas facile de débarquer en Californie et de s'y intégrer pleinement. C'est aussi ce qui fait le charme de Karate Kid - et que Karate Kid II montre donc beaucoup moins -, c'est cette évolution du personnage qui le rend très touchant.
Le film regorge d'excellentes idées qui appuient son propos tout en étoffant davantage les bienfaits des arts martiaux. Tout d'abord, Daniel se mesure à d'autres adolescents qui le martyrisent brutalement. Ces gamins violents font également du karaté, sauf que leur maître est un odieux personnage qui ne vante que les effets de "détruire l'adversaire". Le film ne présente alors pas les gamins brutaux comme les véritables méchants de ce film, car ils n'y sont pour rien : c'est leur mauvaise éducation sportive qui leur a inculqué de si mauvaises valeurs. Le véritable ennemi de l'histoire est bien Kreese, interprété brillamment par l'excellent Martin Kove. Petit à petit, la rivalité entre Daniel et Johnny va passer au second plan pour montrer le véritable combat : le combat des valeurs. L'affrontement mental et disciplinaire entre Kreese et Miyagi est magistral d'un bout à l'autre. Il ne s'agit plus de se battre pour impressionner une fille. Il s'agit de se battre pour faire vaincre la morale. C'est excessivement brillant.
Autre idée brillante du film, qui lui a d'ailleurs valu son rang de film culte : la manière dont M. Miyagi enseigne le karaté à Daniel. L'apprentissage du karaté passe par le travail acharné, la volonté, le don de soi. Pour tirer quelque chose du karaté, il ne faut pas faire les choses à moitié. Il faut s'y investir pleinement et faire preuve de détermination (les baguettes et la mouche !). Les techniques d'enseignement de M. Miyagi sont également sujettes à des scènes très humoristiques qui apportent une force supplémentaire au film : on finit par croire que le vieux japonais est un imposteur qui souhaite juste retaper sa maison, avant que la révélation ne se fasse de manière totalement excitante. C'est jubilatoire.
Outre ces aspects entièrement liés au karaté, le film touche également à des thèmes importants dans le cinéma. Premièrement, les effets de la guerre, représentés respectivement par les deux maîtres. Maître Kreese : ce fou furieux avide de sang et de violence, empli de haine, est l'incarnation ultime des dérives de l'après-Vietnam. Quant à Maître Miyagi, il est l'une des victimes de la Seconde guerre mondiale et le film dénonce admirablement les camps de prisonniers américains qui ont mené à la destruction de familles japonaises. Cela donne lieu à l'un des passages les plus touchants du film. Ensuite, Karate Kid s'attarde sur l'image de la famille monoparentale avec ce personnage très fort de la mère de famille contrainte d'élever seule son fils dans la difficulté. Cela permet en plus à M. Miyagi d'être plus qu'un maître de pensée : il est un père spirituel pour Daniel.
Bref, Karate Kid est une pépite du milieu des années 80 et aujourd'hui encore, il laisse une trace impérissable dans le cinéma. Karate Kid II reste un bon film car il ne tombe pas dans l'erreur de vouloir aborder les mêmes thèmes que le premier : il se focalise sur les traditions et la sagesse, en emmenant Daniel au Japon sur les traces du passé de M. Miyagi (à noter que "Miyagi" est le nom du fondateur historique de l'un des styles de karaté : le Gojo Ryu). C'est brillant. Quant à Karate Kid III... hum... quoi ? Je ne connais pas ce film. Non non, je vous assure, il n'existe pas.