Les proies - Sofia Coppola et le syndrome Shyamalan

Les proies - Sofia Coppola et le syndrome Shyamalan

    Depuis ses débuts avec Virgin Suicides - film qui a véritablement marqué ma cinéphilie - j'ai toujours montré beaucoup d'intérêt pour la filmographie de Sofia Coppola. Lost in Translation fait partie de ces petits bijoux qui se dégustent et se savourent. Marie-Antoinette a été, à une période de ma vie, la révélation que les films historiques pouvaient me plaire, et déclencheur d'une passion éphémère pour les drames se déroulant du 18e siècle.

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     C'est après ces trois chefs d'oeuvre, que je placerai toujours dans le top 100 de mes films préférés, que mon admiration pour la cinéaste s'est atténuée avec Somewhere. Dans ce film, Sofia Coppola pousse le thème de l'ennui (son thème fétiche, au coeur de tous ses films) un peu trop loin, puisqu'en plus d'illustrer cet ennui de manière toujours aussi belle et poétique, elle me l'a également fait subir. Somewhere est parsemé de passages bien trop longs, parfois vides d'intérêt. Ce qu'elle était parvenue à faire avec Lost in Translation n'a pas fonctionné sur moi cette fois-là et, même si j'avais réellement défendu le film à l'époque face à tous les détracteurs qui le qualifiaient de chiant et insipide, j'ai dû finir par admettre qu'il était en-dessous de ses prédécesseurs.

 

     Vint ensuite The Bling Ring et là, je n'ai pas compris ce que Coppola a souhaité transmettre. A ce jour, 8 ans après l'avoir découvert au cinéma, je n'en ai gardé aucune image. Rien de marquant, rien d'intéressant : un film qui n'est pas à la hauteur des talents de la réalisatrice. Ainsi, depuis 2013, je n'ai plus revu un seul film de Sofia Coppola. Lorsque Les Proies est sorti en salles en 2017, je ne me suis pas déplacé. C'est donc hier soir que j'ai décidé d'y jeter un oeil afin de croire en un retour de la réalisatrice dans mon coeur, et...

Les proies - Sofia Coppola et le syndrome Shyamalan

      ... et ce n'est toujours pas à la hauteur de mes attentes. J'ai apprécié le film, certes. Je l'ai suivi d'un bout à l'autre sans m'ennuyer, ce qui le place donc définitivement au-dessus de The Bling Ring, sans aucune hésitation. Mais encore une fois, il manque quelque chose. Il manque la patte Coppola qui me ravissait tant : cette mélancolie musicale, ces instants de poésie déprimante qui sont à peine perceptibles dans Les Proies.

 

     Alors, peut-être que j'en attendais trop, car si on y réfléchit, le film est objectivement très réussi. Le casting est incroyable, pour commencer. Kirsten Dunst, comme toujours, illumine chaque plan de sa douceur et, presque sans mots, elle parvient à donner à son personnage une attitude et une personnalité extrêmement fortes. Année après année, je suis de plus en plus bluffé par son jeu très juste : ses personnages sont difficiles à oublier. Elle Fanning fait également le job avec un personnage tête à claques qui lui colle à la peau. Oona Laurence tire aussi son épingle du jeu dès les premières minutes du film. La séquence d'ouverture de Les Proies est par ailleurs somptueuse, que ce soit au niveau du son, de l'image comme de l'ambiance. On est immédiatement plongés dans le contexte et les bases de l'histoire sont posées très rapidement, de manière brillante. Nicole Kidman, quant à elle, reprend presque à l'identique son rôle de Les Autres, ce qui m'a semblé très regrettable, mais efficace. Bref, un casting féminin de haute volée, impeccable face au seul protagoniste masculin de l'histoire, interprété par un Colin Farrell fidèle à lui-même : crédible, souvent imprévisible et attachant.

Les proies - Sofia Coppola et le syndrome Shyamalan

     Le film part donc sur de très bonnes bases : un casting incroyable, une ambiance visuelle sublime, et un scénario prometteur. Le film parvient à faire écho aussi bien à Virgin Suicides en parlant d'un groupe de femmes recluses et coupées du monde qu'à un film comme Misery à travers le personnage de Colin Farrell, à la fois invité et prisonnier de ces femmes. Ce double rôle est assez intéressant et j'ai beaucoup aimé me demander à quel moment la limite "hôte / bourreau" allait être franchie, et dans quel sens elle allait l'être. Cependant, le titre du film annonce également une autre couleur : ces femmes seront avant tout des "proies". Les proies d'une solitude extrême, d'un ennui qui dure depuis 3 ans et qui est bouleversé par la venue d'un homme dans leur vie. J'ai apprécié le jeu qui se met en place entre les personnages : la jalousie sous-jacente, le désir dissimulé ou non, et j'ai trouvé très intéressante la façon avec laquelle les personnages féminins interagissent avec le caporal. Elles gèrent la présence de l'intrus différemment en fonction de leur âge et de leur tempérament, mais chacune a la même idée en tête : lui plaire à tout prix, et devenir sa favorite. Un jeu de rivalités se met donc en place et j'admets avoir trouvé ce traitement de l'histoire très intrigant et très plaisant à observer.

 

      Malheureusement, au bout d'une heure de visionnage, j'ai rapidement compris que le film n'irait pas beaucoup plus loin que cette idée de base et je n'ai donc été surpris par aucun retournement de situation, même le plus brutal d'entre eux lors de la scène des escaliers. Cet événement arrive un peu tard dans l'histoire à mon goût, car le scénario tournait déjà en rond depuis plusieurs minutes, et j'aurais aimé que les choses bifurquent dans une nouvelle voie, en montrant que toutes les filles feraient n'importe quoi pour le garder avec elles contre sa volonté. J'ai trouvé regrettable que le personnage de Colin Farrell se complaise dans cette situation, et je crois que c'est à mon sens le plus gros défaut du film. Je pense que j'aurais adoré le film au plus haut point si le caporal avait fini par prendre peur au milieu de ces femmes désireuses de se l'approprier, et s'il avait voulu à un moment s'échapper de cet enfer naissant.

Les proies - Sofia Coppola et le syndrome Shyamalan

     En effet, sous cette forme, le film fait à mon goût bien pâle figure comparé à d'autres films basés sur le principe du soldat "invité/prisonnier". Je pense notamment à Danse avec les Loups ou Le Dernier Samouraï, deux références ultimes pour moi, qui dépassent cette idée de base de façon merveilleuse et grandiose. Les Proies, quant à lui, ne dépasse pas son postulat de départ. Il va exactement là où on l'attend et ne propose rien de plus à part quelques jeux de séduction et de jalousie finalement sans grand intérêt.

 

      Bref, je suis finalement assez déçu par la conclusion de Les Proies, d'autant plus que l'ouverture du film et même, disons, la première heure, me paraissaient prometteuses voire magnifiques. Je n'ai ni lu le roman, ni vu sa première adaptation cinématographique avec Clint Eastwood, mais je pense que Sofia Coppola n'a pas besoin de s'appuyer sur quoi que ce soit pour inventer de belles histoires.

 

     Je concluerai donc cet article en comparant la carrière de Sofia Coppola à celle de M. Night Shyamalan, qui me semblent tout à fait similaires. J'ai la sensation que les deux cinéastes ont suivi exactement le même chemin dans mon coeur. Ils ont tous les deux commencé par 3 ou 4 films sensationnels qui ont marqué ma cinéphilie (pour Coppola : Virgin Suicides / Lost in Translation / Marie-Antoinette, pour Shyamalan : Sixième Sens / Incassable / Signes / Le Village), puis ont enchaîné par un film satisfaisant, mais en dessous des précédents (Coppola : Somewhere, Shyamalan : La jeune fille de l'eau*), pour ensuite proposer un film qui ne leur ressemble pas et qui vient entâcher leur filmographie (Coppola : The Bling Ring, Shyamalan : Le dernier maître de l'air). Ensuite, j'ai continué malgré tout à croire en eux même si ce qu'ils proposaient était en-dessous de mes espérances (Coppola : Les Proies, Shyamalan : After Earth / The Visit).

 

     Coppola aura-t-elle finalement le même destin que Shyamalan ? Pour ce dernier, je commence enfin à retrouver goût à ses propositions, considérant que Split et Glass sont les meilleurs thrillers de ces dernières années et que le cinéaste est enfin revenu sur ses rails. J'attends également avec impatience Old dans quelques jours. Pour le savoir, il me reste donc à découvrir le dernier film de Sofia Coppola "On the Rocks", en espérant de tout coeur ressentir à nouveau tout ce qu'elle a pu me faire ressentir avec ses trois premiers films...

 

 

*j'ai volontairement oublié d'évoquer Phénomènes car il demeure pour moi une merveille malgré les nombreuses critiques à son encontre. 

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