Le théorème de Marguerite - de Anna Novion - Critique

Le théorème de Marguerite - de Anna Novion - Critique

       Malgré une bande-annonce alléchante et ma joie de voir un film qui présente une femme mathématicienne (chose assez rare dans le cinéma pour être souligné : à part Proof de John Madden je n'ai pas d'autre exemple en tête), Le théorème de Marguerite m'a tout de même déçu sur de nombreux points. Le scénario est d'ailleurs assez similaire à Proof lorsqu'on regarde de plus près, dans les relations entre les personnages. Nous avons une femme qui tente de démontrer un théorème et qui ne pourra pas le faire sans la présence d'un homme pour l'aider, ainsi que le regard dur d'une figure plus âgée (Jean-Pierre Darroussin ici, Anthony Hopkins dans Proof).

 

Le théorème de Marguerite - de Anna Novion - Critique

      Je ne peux pas nier que le film ait des qualités, à commencer par le contenu mathématique présenté dans le film. Sans être un expert sur la conjecture de Goldbach, mon œil de prof de maths a reconnu des formules plutôt cohérentes et des symboles utilisés - a priori - correctement. C'est un très bon point, car les cinéastes qui veulent parler de maths ont parfois tendance à ne pas faire l'effort de consulter des gens du domaine. Ici, Anne Novion a été conseillée par la mathématicienne Ariane Mézard et je ne peux que souligner cette démarche.

 

      Malgré tout, je dois dire que je ne comprends pas les choix de la réalisatrice en terme de personnages. Il est très important de parler des femmes en mathématiques, car il existe un (catastrophique) formatage depuis des siècles à ce sujet, qui mène cette discipline à être majoritairement représentée par des hommes. Je m'attendais donc à un propos sur le sujet, et je trouve que la manière de valoriser Marguerite n'est pas très efficace dans ce film. Tout commence par une erreur du personnage principal en pleine conférence, alors qu'elle présente le fruit de ses 3 ans de recherche à une audience entièrement masculine, comme pour appuyer le fait que Marguerite est seule contre tous dans ce domaine (bon, pourquoi pas ?). Que Marguerite fasse une erreur ne pose absolument pas problème et c'est d'ailleurs une thématique extrêmement intéressante en mathématiques : l'idée qu'une démonstration doive être la plus rigoureuse possible, sans quoi tout s'écroule. Ce qui gêne, en revanche, c'est qu'on insiste sur le génie de Marguerite, sur le fait qu'elle travaille sur son sujet depuis 3 ans, qu'elle a "relu ses lemmes et ses preuves des centaines de fois", et pourtant... pourtant c'est un homme dans l'assistance qui réfute son théorème en quelques secondes à peine, en découvrant la démonstration de Marguerite pour la première fois, presque sans réfléchir. 

 

Le théorème de Marguerite - de Anna Novion - Critique

      Et s'il n'y avait que ça, ce ne serait pas dramatique, mais le film est parcouru de clichés tous plus fatigants les uns que les autres. Le personnage de Marguerite est intrigant mais terriblement stéréotypé. On a affaire au coup classique de la génie des maths insociable et plongée dans son propre monde, qui s'est passionnée pour les maths à 11 ans, qui vit dans son université en se promenant en chaussons, qui répond à côté de la plaque, qui est bourrée de tics et voit des équations partout. Son erreur va la pousser à explorer le monde, elle va se faire une amie qui va la dévergonder un peu. Pour gagner de l'argent, elle va apprendre le Mah Jong en seulement 3 jours (oui, parce que ça change des échecs...) et devenir la championne du Mah Jong, en gagnant toutes les parties et en impressionnant tout le monde. C'est d'un cliché...

 

      Je comprends l'idée derrière tout ça, l'idée de créer un personnage atypique et fascinant, mais ça laisse entendre que pour devenir une grande mathématicienne, il faut absolument être une femme hors normes et un peu à l'écart, un peu bizarre. Si on regarde le reste des personnages (masculins), leur comportement est bien plus banal. J'ai même éprouvé un peu de gêne lorsque Marguerite se met à danser brièvement dans un magasin de chaussures et que la salle de cinéma s'est mise à rire. "Ahlala, ces mathématiciens, quels êtres curieux, elle est rigolote !". Mais elle fait rire à ses dépends et c'est d'ailleurs l'un des traits de caractère principaux de Marguerite puisque son collègue lui dit plusieurs fois : "Haha t'es drôle, mais c'est ton absence totale d'humour qui te rend drôle". Et puis, évidemment, Marguerite va tomber amoureuse de ce bel acolyte et on nous sert une histoire d'amour bidon qui n'avait rien à faire ici.

 

Le théorème de Marguerite - de Anna Novion - Critique

      Bref, je ne suis pas sûr que le traitement réservé au personnage de Marguerite soit si intéressant, d'autant que ce genre de personnages a été déjà vu plusieurs fois au cinéma. Je ne parle même pas de ce cliché lourdingue de la mathématicienne qui couvre intégralement les murs de son appartement de formules à n'en plus finir, allant jusqu'à écrire sur les rouleaux de papier toilette. Faire de la recherche mathématique, ce n'est pas seulement écrire des formules sans jamais s'arrêter, c'est aussi bloquer, faire des erreurs, réfléchir, lire, se prendre la tête. Et surtout, laisser passer le temps, car une conjecture mathématique d'une envergure aussi démesurée que Goldbach ne s'affronte pas en quelques semaines. Ici, tout semble facile et se règle en quelques coups de craie.

 

      Le théorème de Marguerite est tout de même intéressant et je ne me suis pas ennuyé une seconde, malgré tout je reste sur ma réserve concernant la façon de traiter ce personnage dans ce film. Je pense qu'il y avait matière à aborder le sujet de manière nouvelle et plus étonnante.

 

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