Quel plaisir, bon sang ! Je m'étais promis de voir (enfin) la saison 3 de Twin Peaks cette année, six ans après sa sortie, et je ne regrette pas. Les deux premières saisons (sorties en 1990-1991) avaient été un énorme coup de cœur pour moi lorsque je les avais découvertes il y a 12 ans. Twin Peaks m'a marqué par ses ambiances, ses personnages, par ses mystères et ses envolées musicales. Il s'agit d'un délire lynchien savoureux, dans lequel on se laisse embarquer parce qu'on ne sait jamais à l'avance ce qu'on y trouvera. J'ai attendu longtemps avant de tenter cette dernière saison parce que j'avais peur que David Lynch ne cède à la tendance actuelle qui consiste à reprendre de vieilles séries pour les moderniser. Je n'aurais jamais pu me tromper plus que ça.
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C'est simple, j'ai eu l'impression que cette troisième saison avait été tournée en 1992, juste après la fin (extraordinaire) de la saison 2. A plus de 70 ans, David Lynch a réalisé l'exploit de conserver l'âme de Twin Peaks totalement intacte, avec les mêmes décors, les mêmes délires sombres et abscons, les mêmes effets spéciaux à l'extrême limite du kitsch, la même énergie pour créer des atmosphères dingues. J'ignore comment c'est possible, sincèrement, et je dois dire que j'ai été abasourdi pendant ces 18 épisodes par le degré d'inventivité de cette saison. Malgré le don qu'a le cinéaste pour créer aussi de l'ennui et des séquences parfaitement inutiles, comme en montrant un type balayer le sol d'un bar pendant 4 minutes entières, j'ai une fascination pour ces ambiances aussi loufoques qu'imprévisibles, parfois effrayantes ou glauques, drôles ou absurdes, mais qui nous embarquent toujours dans des zones qu'on n'aurait jamais imaginé explorer. C'est magique. C'est de l'art à l'état brut.
Et si Twin Peaks n'était qu'une affaire d'ambiance ! Cette série est également une série à personnages et je dois dire que là encore, on est servis avec une galerie de protagonistes délirants, décalés ou sauvages. Si cette saison marque le retour de la plupart des personnages de la série d'origine, on compte aussi un nombre considérable de nouveaux acteurs et actrices. Au-delà des caméos (David Duchovny, David Bowie, Tim Roth, Jennifer Jason Leigh, Monica Bellucci, Harry Dean Stanton et j'en passe) et du plaisir de revoir quasiment tous les habitants de Twin Peaks que nous avions abandonnés 25 ans plus tôt, nous avons droit à de nouveaux personnages fascinants même s'ils n'apportent strictement rien à l'intrigue de Laura Palmer, pour la plupart. Je n'ai pas dissimulé ma joie de voir notamment des actrices comme Amanda Seyfried, Naomi Watts ou Laura Dern qui offrent des scènes fortes en caractère, toujours justes et puissantes. Amanda Seyfried notamment, grâce à la mise en scène prodigieuse de David Lynch, apparait dans une séquence que j'ai trouvée mémorable (voir l'image ci-dessous), dans une voiture. C'est le genre de scènes qui marquent la rétine et qui laissent une trace tant elles témoignent du style unique du cinéaste.
Si je devais mentionner tout le casting, j'en aurais pour des heures et ça n'aurait que peu d'intérêt, mais je pense également à Chrysta Bell qui a une classe et une élégance absolument démesurées d'un bout à l'autre de cette saison, en accompagnant un David Lynch tout aussi génial qu'il y a 25 ans dans le rôle de Gordon Cole.
Mais il serait improbable de parler de Twin Peaks sans mentionner l'acteur qui a donné à la série toute son âme : Kyle MacLachlan. Je dois dire que le retour de l'acteur dans le rôle de Dale Cooper était la chose que j'attendais le plus, et que David Lynch a su ménager son suspense, le coquin. En fait, Kyle MacLachlan ne reprend pas tout de suite le rôle de Dale Cooper, puisque le personnage a disparu dans la Black Lodge. Lorsque Dale Cooper réapparait enfin, après une durée qui m'a semblée interminable, j'ai tout simplement crié de joie, tout seul chez moi. C'était un moment de frisson et d'exultation dont je me souviendrai longtemps.
Cependant, pendant une majeure partie de cette saison 3, MacLachlan incarne deux autres entités extrêmement différentes. D'un côté, il interprète le Doppelgänger de Dale Cooper (Mr. C), une entité démoniaque possédée par Bob. Dans ce rôle, MacLachlan est d'une noirceur et d'une dureté incroyables, il est terrifiant et puissant. Je repense, par exemple, à la scène du bras de fer qui m'a laissé sans voix. De l'autre, MacLachlan incarne Dougie Jones, un homme complètement déconnecté de la réalité, qui ne réagit à rien et ne comprend rien, et affiche un air niais et naïf en permanence. Ce personnage est d'une grande fragilité et se trouve être à l'opposé de ce que l'acteur propose avec Mr. C. Toutes les scènes avec Dougie sont délicieusement absurdes et magistralement interprétées, que ce soit par l'acteur mais aussi par Naomi Watts qui lui donne la réplique avec crédibilité.
Et puis, parler de la saison 3 de Twin Peaks sans parler des merveilleux délires de David Lynch serait un sacrilège. Toute la saison est parcourue de moments qui semblent hors du temps, d'une ingéniosité complètement folle. Je ne peux que citer en référence l'intégralité de l'épisode 8 : ce sont 50 minutes d'hallucination fantasmagorique, avec notamment cette bombe atomique qui explose et nous mène dans un labyrinthe de séquences tout aussi hypnotiques qu'irréelles. Quelques jours après l'avoir découvert, je ne m'en remets toujours pas. Comment est-il possible de créer et d'inventer de telles choses ? On a affaire à des atmosphères comme seul Lynch sait les imposer, c'est un vrai régal.
Pour finir, je me dois d'évoquer les musiques de cette série qui sont, comme pour la série originale, de véritables créatrices d'ambiances et d'émotions diverses. Rarement, dans ma vie, j'ai eu envie à ce point qu'un générique de fin de série dure éternellement. Entre les chansons sublimes du groupe Au revoir Simone comme Lark et A Violent Yet Flammable World ou de véritables envolées mélancoliques comme cette bouleversante fin de l'épisode 5 avec Windswept de Johnny Jewel, on est sacrément servis d'un bout à l'autre de la saison, autant qu'on l'avait été lors des deux premières.
Bref, je suis ravi que cette saison 3 soit au niveau des deux précédentes, avec le même esprit et les mêmes caractéristiques. Ce fut à la fois perturbant et passionnant, effrayant, excitant. Une expérience tout à fait mémorable qui conclut la série de manière presque parfaite.