J'en étais sûr, merde, j'en étais sûr. Voir toutes ces critiques dithyrambiques aurait dû me mettre la puce à l'oreille sur le type de film que j'allais voir : de ceux qui privilégient la forme au fond, qui privilégient la volonté de marquer à la volonté d'émouvoir. Pauvres créatures n'était même pas dans mes attentes pour 2024 et je me suis laissé avoir et entraîner par tous les éloges que je lis depuis des jours, ça m'agace profondément. 2h20 à soupirer, à m'affaisser de plus en plus bas dans mon fauteuil, et je ne sais même pas comment j'ai fait pour ne pas quitter la salle.
Critique analyse explication du film
Entrons dans le vif du sujet en parlant du fond, nous parlerons de la forme (catastrophique) plus loin. Le scénariste du film, Tony McNamara, a déclaré : "Je veux que le public comprenne qu'il s'agit d'un film politique et qu'il en reconnaisse les aspects féministes et sociaux. J'espère que cela transparaît dans le film." C'est en effet une très bonne question : est-ce que la thématique transparaît réellement dans Pauvres créatures ? Est-ce que le spectateur a bien compris où on voulait en venir avec cette histoire, ou est-il encore plus demeuré que ce pour quoi on le prenait déjà ? La vache, pour ne pas comprendre, il faut être sacrément à côté de ses pompes parce que je ne vois même pas comment Yórgos Lánthimos aurait pu s'y prendre pour alourdir davantage le propos.
Comment ne pas saisir ce message interminable de 2h20, qui nous est martelé de manière bien grasse et balourde du début à la fin, alors qu'on l'avait déjà très bien compris simplement en lisant le titre du film ? J'ignore si le film aurait pu être moins subtil que ça, honnêtement je ne vois pas de manière plus grossière de faire ça. Et pourtant, je ne demande qu'à voir des films qui encensent le féminisme, qui défendent ces valeurs que j'estime nécessaires depuis toujours. Je ne demande que ça, et j'aime particulièrement l'idée que cette thématique soit de plus en plus présente au cinéma. Mais lorsque c'est grotesque, évident, affligeant de bêtise comme ici, je ne suis pas sûr que ça serve vraiment la réflexion du spectateur. Yórgos Lánthimos ne prend strictement aucun risque avec ce film qui est d'une complaisance à toute épreuve et avec un propos si trivial aujourd'hui qu'il ne peut que faire l'unanimité. Mais je n'ai pas besoin d'un propos lourdaud de 2 heures pour adhérer à ces idées, et je pense que personne de normalement constitué ne devrait en avoir besoin. En plus, comme si l'intrigue en elle-même n'était pas suffisamment explicite, certains personnages en rajoutent une couche en expliquant lourdement les choses aux spectateurs - et au personnage principal, par ailleurs - comme s'ils étaient débiles. On a réellement un personnage qui dit, à un moment : "C'était un homme ? Ah, ben voilà..." ou un autre qui assure au personnage principal : "Tu es une femme libre ! Tu peux faire ce que tu veux de ton corps !" (je n'ai pas copié la réplique exacte car j'étais trop occupé à lever les yeux au ciel face à ce surlignage particulièrement grossier).
Bref, au niveau du fond, Pauvres créatures est intéressant pour son propos mais la manière avec laquelle il est traité est absolument bête, je dirais même vexante car j'ai vraiment eu l'impression d'être pris pour un con. Après, je ne dis pas que toutes les idées sont merdiques. Par exemple, j'ai beaucoup aimé l'idée de renouveler l'histoire de Frankenstein en créant une femme dont le cerveau aurait été remplacé par celui de son enfant à naître. C'est certes un peu glauque et étrange, mais l'idée derrière est plutôt intéressante : on a ici une femme qui s'est donnée la mort pour échapper au patriarcat, et on cherche à savoir si son enfant (donc la génération suivante) va reproduire les mêmes erreurs, ou parvenir à s'émanciper et se libérer de tout ce désir de contrôle masculin qui l'oppresse pendant l'intégralité du film. De même, l'idée du créateur (Willem Dafoe, assez intéressant ici) qui reproduit les mêmes erreurs que son père et évolue également à sa manière, était particulièrement bonne. Malheureusement, toutes ces bonnes intentions sont bousillées par une immense lourdeur, mais aussi par la forme de cet objet cinématographique...
En effet, si on s'écarte du fond (qui n'est donc mis en valeur par aucune subtilité), le film est visuellement raté. Encore une fois, je ne dis pas que les images ne sont pas de bonne qualité, car on a parfois quelques jolis tableaux notamment lors des séquences en noir et blanc dans la première partie. Cependant, j'aimerais qu'on m'explique ce choix du noir et blanc pour ensuite virer sur de la couleur. Était-ce pour symboliser une forme d'emprisonnement, d'enfermement du personnage principal, qui ne parvient à voir la vie en couleurs que lorsqu'elle est libre et peut enfin profiter de son corps comme elle le souhaite ? Je n'en sais rien. Et quid de cette caméra grand angle qui fournit des effets visuels aléatoires, voire plus que discutables ?
Et puis, surtout, la photographie de Pauvres créatures est assez horrible. Que ce soient les couleurs (du ciel notamment) ou les décors qui transpirent tous l'artificialité la plus totale, j'ai trouvé la plupart des images affreuses en terme de ton. Si c'était beau, encore. Mais non. Je sais, je sais, le film est un conte, on l'a bien compris. Le problème, c'est qu'à force de forcer, on ne croit absolument en rien, tout devient fade et distant. Il aurait été brillant que le personnage d'Emma Stone soit extraordinaire au milieu d'un monde ordinaire, qu'elle apparaisse (elle seule !) en surimpression par rapport à la banalité du reste du monde. Ca aurait été plutôt logique et pertinent, car ça aurait renforcé l'aspect banalisé du patriarcat et de l'oppression masculine dans ce monde. Sauf que non, nous avons ici une femme extraordinaire au milieu d'un monde qui est tout aussi bizarre et irréel qu'elle. Tout est au même niveau, tout est sur le même plan. Ca ne marche pas, c'est trop. Et paradoxalement, ça produit l'effet inverse puisque Bella devient banale dans ce monde où tout est étrange.
Je passe sur la musique, je l'ai trouvée plutôt originale même si elle ne permet aucune réelle évolution de ton dans le récit. Quant à l'émotion... pardon, vous avez dit émotion ? Non, vous n'en trouverez pas ici. Par contre, parlons d'Emma Stone. La pauvre - excusez-moi, vous trouverez peut-être ça aberrant mais je vais quand même le dire - la pauvre n'a pas vraiment la possibilité de montrer l'étendue de son talent. Son personnage est grotesque et sans âme, comme si Godwin avait créé une sorte d'être robotique et non un être humain à part entière, ce qui pose un vrai problème vis-à-vis du sujet du film. Si l'actrice gagne un Oscar pour cette performance, alors je n'y comprends plus rien, car elle passe la moitié du temps à jouer la débile, et l'autre moitié à ne montrer strictement aucune émotion. Tout dans son personnage sonne faux, du début à la fin, je ne m'en suis pas senti proche un seul moment. Je sais qu'au début du film, Bella est censée être une enfant dans le corps d'une femme, mais je regrette : à aucun moment Emma Stone ne joue un enfant dans ce film. Ce n'est pas parce qu'elle fait des grimaces et casse des assiettes par terre que ça en fait une enfant, c'est - encore une fois - une manière grotesque et vulgaire de jouer ce personnage qui aurait mérité tellement plus de finesse... Pourtant, Emma Stone est une excellente actrice en temps normal, je remets donc la faute sur la direction d'acteur et l'écriture du personnage. Son personnage n'a pas d'âme, et c'est bien dommage car les films qui utilisent un supposé "monstre" en tant que protagoniste principal ne deviennent des chefs d'œuvre que lorsqu'on met en valeur leur âme et leur beauté (au hasard : Elephant Man, Edward aux mains d'argent... les exemples sont nombreux). Ce n'est pas du tout le cas ici.
Bref, je ne vais pas épiloguer pendant des heures car j'ai tout de même autre chose à faire de mon temps, mais Pauvres créatures m'a déçu et gonflé, notamment parce qu'il cherche à être subversif mais tente de le faire par l'outrance et, surtout, la vulgarité. Ce film est vulgaire, grossièrement vulgaire. Je ne parle même pas des multiples scènes de sexe complètement connes (comme si l'émancipation d'une femme passait automatiquement par ça), ni même de la thématique de la sexualité infantile qui m'a posé problème durant une grande partie du premier chapitre. Je comprends qu'on parle ici d'une femme qui doit apprendre à s'écouter et à s'approprier son corps, et qu'on cherche à faire passer l'homme pour un dégueulasse qui ne cherche qu'à la contrôler, mais il y avait mille manières de faire ça subtilement plutôt qu'avec ces gros sabots qui résonnent pendant plus de deux heures. Où sont les émotions dans tout ce bordel artificiel ? Il n'y en a aucune. Le film n'a pas d'âme, il est disgracieux et laid sous bien trop d'aspects.
Je ne comprends pas que Pauvres créatures puisse être encensé à ce point alors qu'il est d'une bêtise affligeante. Il y a tellement mieux à faire pour le féminisme. Je suis profondément agacé.