Agora - d'Alejandro Amenábar - Analyse du film

Agora - d'Alejandro Amenábar - Analyse du film

      Fabuleux. Agora est un péplum dramatique et historique qui s'inspire de la vie d'Hypathie d'Alexandrie, l'une des plus grandes mathématiciennes, physiciennes et philosophes de son époque. Le film prend place au IVe siècle en Egypte romaine, lorsque le christianisme a commencé à prendre de l'importance et à vouloir s'affirmer. L'intrigue est centrée autour d'Hypathie, fille du Gardien de la Bibliothèque d'Alexandrie. La jeune femme, agnostique, enseignait la philosophie et l'astronomie dans le Sérapéum, mais faisait également des recherches pour tenter de comprendre le fonctionnement de notre monde, notamment la trajectoire des astres au sein du système solaire. Son sort tragique est malheureusement tombé un peu dans l'oubli, mais il est tout aussi révoltant (et même plus) que celui de Galilée 12 siècles plus tard.

 

Agora - d'Alejandro Amenábar - Analyse du film

     J'ai été ravi d'apprendre tant de choses sur Hypathie d'Alexandrie, dont je connaissais malheureusement très peu la vie et les travaux scientifiques qu'elle a accomplis. Bien sûr, Agora est romancé et s'appuie majoritairement sur des hypothèses, puisque les historiens ne sont pas tous d'accord sur la manière dont ce sont passés les événements décrits dans le film. Malgré tout, Alejandro Amenábar réalise ici un récit très honnête et fidèle au peu d'éléments que nous connaissons, tout en accouchant d'une œuvre cinématographique magnifique. Le cinéaste ne se contente pas de relater des événements ; il s'empare du sujet pour montrer à quel point cette époque, très focalisée sur la religion, fut cruelle à l'égard des penseurs et des scientifiques. Agora nous présente un grand tournant dans l'Histoire de l'Humanité : la prolifération des idées chrétiennes et les conflits qui ont pu être engendrés par les fanatiques de tous bords. D'ailleurs, l'un des plans du film montre de manière virtuose à quel moment précis s'effectue ce renversement de la société (lors du saccage de la bibliothèque), avec un plan-séquence sublime dans lequel la caméra se retourne littéralement. Clairement la meilleure scène du film, car elle dit tout : le fanatisme vient détruire le savoir, et le monde se met à marcher sur la tête. Vous pouvez retrouver ce plan prodigieux à partir de 2:58 dans la vidéo ci-dessous.

 

      Outre ce passage qui va me marquer durablement, les changements de perspective sont nombreux dans Agora, et c'est ce qui rend le film si passionnant. Les angles de vue ne cessent de changer, transformant les cercles en ellipses, les hommes en fourmis, ridiculisant les conflits en ramenant la Terre à un grain de poussière flottant au milieu de l'espace. Lors de chaque massacre (ou après ceux-ci), Alejandro Amenábar présente notre belle Terre d'un point de vue extérieur, tout en laissant audibles les cris étouffés émanant des confrontations et de la foule. C'est la première fois que je vois des scènes de bataille filmées de la sorte et c'est purement brillant : Agora est un anti-péplum qui ne cède pas aux codes du genre. L'ensemble est intelligent : en choisissant de ne rien montrer, la caméra nous montre tout. Le cinéaste utilise en effet des plans éloignés de la ville, avec parfois des zooms ou dézooms complètement dingues qui remettent les choses en perspective. Le procédé est d'autant plus intelligent qu'Hypathie va devoir prendre du recul sur ses certitudes pour amorcer d'incroyables découvertes scientifiques qui auraient pu révolutionner le monde à cette époque, comme l'héliocentrisme ou la trajectoire des planètes selon des ellipses.

 

Agora - d'Alejandro Amenábar - Analyse du film
Agora - d'Alejandro Amenábar - Analyse du film
Agora - d'Alejandro Amenábar - Analyse du film

      Et s'il n'y avait que ça, ce serait déjà passionnant. Mais Agora s'octroie le luxe d'être magnifique visuellement, notamment dans le traitement de la lumière. Cette lumière, Hypathie ne la voit que par le prisme de la science, à une époque où la majorité du peuple y voyait un signe divin. Cette lumière est partout, que ce soit par le Soleil, qui laisse passer ses rayons à travers le trou d'une coupole, ou via le feu, à la fois synonyme de destruction mais aussi de découverte, comme la présence que ces deux flambeaux lorsque qu'Hypathie met en évidence la trajectoire elliptique dans le sable. Et puis, c'est sans oublier la photographie du film, impeccable, sobre, qui magnifie les silhouettes.

 

Agora - d'Alejandro Amenábar - Analyse du film
Agora - d'Alejandro Amenábar - Analyse du film
Agora - d'Alejandro Amenábar - Analyse du film

     Agora est également épatant dans la reconstitution, puisque les décors sont époustouflants de beauté. On se croirait réellement transportés dans cette agora 16 siècles auparavant ; les architectures sont à couper le souffle et rien ne sonne faux. De même, les séquences d'affrontement entre les différents groupes d'individus sont à la fois spectaculaires et réservées : la caméra ne montre pas tout (encore une fois), elle choisit parfois délibérément de ne pas rentrer dans le détail de l'action, ce qui rend l'ensemble bien plus immersif. C'est comme si nous y étions : certaines choses nous échappent.

 

Agora - d'Alejandro Amenábar - Analyse du film
Agora - d'Alejandro Amenábar - Analyse du film
Agora - d'Alejandro Amenábar - Analyse du film

      Le prof de maths que je suis, passionné de sciences et fasciné par tous ces penseurs qui ont permis de faire avancer les découvertes, fut comblé par cette histoire qui ne s'encombre jamais d'inexactitudes. On nous explique le principe des quatre catégories de coniques en quelques secondes avec un cône en bois qui servira d'habile fusil de Tchekhov pour la fin du film. Agora est un amer et sombre constat de la société de cette époque ; on regarde ce film avec une intense sensation de gâchis. Un gâchis pour la race humaine, qui était soudée par la connaissance et la philosophie mais s'est mise à s'entretuer pour des cultes. Un gâchis pour l'Histoire, puisque la Bibliothèque d'Alexandrie (ou si ce n'est pas elle, tant d'autres !) a été saccagée par haine et fanatisme, privant alors le monde de précieux écrits et parchemins. Et surtout, un gâchis pour ces scientifiques qui auraient pu changer la face du monde mais en ont été empêchés de manière scandaleuse.

 

     Si j'avais un petit bémol à formuler, ce serait sur la musique, simplement. Elle est souvent beaucoup trop présente et commune. Même si elle sert parfois certaines séquences du film, elle gâche aussi des scènes de dialogues qui ne nécessitaient pas ce "bruit de fond obligatoire". Mais c'est vraiment le seul reproche que j'aurais à faire. Je ne l'ai même pas citée mais c'est une évidence : Rachel Weisz est magnifique, tout le film repose sur elle. Agora est une pépite que je vous conseille de découvrir.

 

 

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