Lullaby for Pi est une comédie romantique franco-canadienne sortie en 2010 proposée par mathilde66, que je tiens à remercier pour la découverte. Sam est un jeune musicien en plein deuil de sa femme. Un jour, alors qu'il ressasse ses souvenirs dans un hôtel, une femme nommée Pi débarque dans sa chambre pour se réfugier dans sa salle de bains. Cette rencontre incongrue sera l'occasion pour Sam de reprendre goût à la vie et à la musique.
J'ai notamment apprécié le film pour ses personnages, même s'il m'a posé aussi quelques problèmes que je développerai plus loin. Tous les protagonistes du film sont gentils et bienveillants, ce qui donne à Lullaby for Pi beaucoup de candeur, quelque chose d'inoffensif. D'aucuns diront que le film est niais à cause de ça, et j'admets que j'ai failli le ressentir à certains moments, mais bon sang, qu'il est rare de voir un film avec uniquement des personnages feel good ! Ça frise le "tout le monde est beau, tout le monde est gentil", mais ça fait aussi du bien. Seul le personnage principal s'avère parfois légèrement antipathique et égocentrique, mais Rupert Friend est plutôt touchant dans ce rôle. Malgré tout, j'ai davantage apprécié les seconds rôles avec des acteurs comme Forest Whitaker et son visage réconfortant, Matt Ward dont l'arc est passionnant (mais cliché), ou l'actrice Clémence Poésy qui s'en sort admirablement vu l'écriture assez ratée de son personnage.
Car c'est là que Lullaby for Pi m'a chiffonné : il souffre de nombreux problèmes d'écriture, que ce soit en terme d'intrigue, de psychologie des personnages ou tout simplement de situations. Quasiment toutes les rencontres sont ultra-téléphonées, notamment les deux rencontres amoureuses proposées par le film dans cette chambre d'hôtel qui sont bizarres à regarder, car les deux femmes ont des comportements très étranges et tombent amoureuses de Sam immédiatement pour des raisons franchement obscures. Les invraisemblances s'enchaînent et tout le film semble avoir été "trop écrit", puisque les dialogues et les scènes manquent clairement de spontanéité. Les choses tombent toujours au bon moment, juste parce que le scénario l'exigeait, ce qui est très irritant à la longue. Je passe sur les moments un peu trop niais où une librairie vide de clients se retrouve bondée en deux semaines avec un engouement extraordinaire juste parce que Pi est souriante. On n'y croit pas, tout comme on ne croit pas un instant à cette histoire d'amour, car l'alchimie entre Rupert Friend et Clémence Poésy est quasiment inexistante. C'est d'autant plus compliqué que la psychologie endeuillée de Sam ne lui permet clairement pas d'aborder une nouvelle relation amoureuse sereinement alors que le film veut nous forcer à croire que si. Quand un type est malheureux au point d'attendre chaque nuit un appel téléphonique de sa femme décédée, il y a peu de chances pour qu'il puisse vivre du jour au lendemain une idylle avec une jeune femme dont il ne connait rien. Je reconnais, par contre, que l'idée de la porte de la salle de bains est géniale.
En fait, cette idée est tellement géniale que je suis frustré que Lullaby for Pi n'ait pas ressemblé à autre chose de plus intimiste. Le film aurait clairement pu se concentrer sur cette situation, ça aurait créé un huis clos puissant qui m'aurait autrement emporté. Chaque personnage aurait alors percé progressivement les failles de l'autre, car ces failles sont passionnantes et poignantes. Le deuil de Sam est horrible mais, surtout, la révélation des origines du comportement de Pi m'a fait lever les deux sourcils et descendre la mâchoire. L'idée était magnifique et j'aurais tellement aimé la voir développée, expliquée. Clémence Poésy aurait très bien pu insuffler à son personnage la détresse d'une petite fille perdue, si seulement le film avait creusé cet aspect un peu mieux... A la place, le réalisateur préfère s'attarder sur des milliers de mots que la jeune femme pose sur un mur avant de les recouvrir de peinture. C'est une manière très grossière de montrer les failles de ce personnage.
Pour conclure, Lullaby for Pi avait un potentiel dingue avec de tels acteurs et une telle ambiance (certains plans sont magnifiques de poésie / Poésy), mais il fait souvent de mauvais choix en créant des situations totalement artificielles, et en donnant aux personnages des réactions franchement curieuses. Tous les personnages ont un passé et des psychologies fascinantes mais aucune n'est approfondie, tout semble rester en surface et c'est dommage. Joséphine, par exemple, aurait mérité qu'on s'y attarde davantage. Même les chansons font pâle figure, et on se demande parfois pourquoi elles créent autant de larmes et de joie excessive chez les protagonistes. La chanson du générique final, par contre, est absolument incroyable. Il s'agit de "I saw an angel" de Sarah Wayne Callies et je pense que je vais l'écouter très longtemps. Mais pourquoi ne pas l'avoir intégrée au film lui-même ? C'est encore dommage et c'est frustrant.
Je remercie à nouveau mathilde66 pour ce film qui, sans m'avoir ému au point de le trouver mémorable, m'a beaucoup touché sur certains points. Je retiendrai la scène lors de laquelle Pi dévoile à Sam les raisons de sa fragilité, car elle était saisissante d'émotion. J'ai noté aussi une réplique que j'ai adorée, lorsque Sam demande à Pi : "Tu fais souvent des cauchemars ?" et qu'elle lui répond : "Non, seulement quand je dors". C'était excellent. Et également toute la séquence lors de laquelle les personnages sont de part et d'autre de la porte de la salle de bain, véritable bonne idée de Lullaby for Pi qui fait que je garderai probablement un excellent souvenir du film.