Je ne sais absolument pas quoi penser de ce film sorti en 1998, et ça faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé. Tout d'abord, merci à Najib pour m'avoir poussé à découvrir ce film ; cette expérience me conforte dans l'idée de continuer ces petits jeux chaque samedi. Préparez-vous donc pour demain matin, si ça vous branche (ha, ha, je suis seul à comprendre ma blague).
Happiness est présenté comme une comédie dramatique sur la plupart des sites ciné, mais je pense que c'est faute d'un meilleur terme car il apparait très vite que le film n'a rien d'une comédie. On est plutôt dans du trash très sombre. Pour moi qui ai toujours été un adepte de l'humour noir (même si j'admets que ce côté de ma personnalité s'est fortement estompé avec les années), je n'ai pas souri une seule fois devant Happiness. Un seul sentiment a dominé pendant ces deux heures : un profond malaise. La dernière fois que j'ai ressenti une telle chose devant un film, c'était il y a 15 ans devant Mysterious Skin, et ça s'était très mal terminé puisque j'avais estimé que c'était l'un des pires films que j'avais vu de toute ma vie. Happiness m'y a fait un peu penser, dans les thèmes abordés frontalement et brutalement mais aussi dans ce vide déprimant qui m'a accompagné durant la séance.
Fort heureusement, la maturité permet de faire évoluer nos réactions avec le temps, et il est clair que je n'ai plus les mêmes à 36 ans qu'à 22. Happiness fut excessivement désagréable à voir pour plusieurs raisons. D'une part, j'éprouve d'horribles sensations lorsqu'un film décrit de manière impudique des déviances sexuelles, ou même lorsque le sexe apparait de façon explicitement dégueulasse comme c'est le cas ici (le sperme qui gicle et dégouline, très peu pour moi). Ce sont des passages très gênants et pénibles, mais ce n'est pas pour autant que ça rend le film mauvais. Je trouve là une différence fondamentale avec le garçon que j'étais aux débuts de ce blog : ce n'est pas parce qu'un film est un calvaire à regarder que c'est un mauvais film. J'ai tout de même des difficultés à me détacher de cette association, mais je vois bien avec Happiness que je fais des progrès.
Les deux scènes ci-dessous en sont de parfaits exemples.
Ces diverses conversations odieusement explicites m'ont été insoutenables, j'ai même spontanément gueulé contre le réalisateur en mon for intérieur, questionnant la gratuité de tout ça, le côté horrible de ce qui nous est montré, sans vraie retenue. Psychologiquement, j'ai trouvé ça difficile à tenir, et c'est pour cette raison que je ne sais toujours pas comment me positionner face à Happiness. Je suis dans un entre-deux. Une partie de moi pense aux remous que le film a provoqué : ce malaise vertigineux que le cinéma offre très rarement. Mais l'autre partie de moi ne cesse d'arguer que le film est vain, gratuit et froid. Ces remous sont-ils nécessaires ? Importants ? Intéressants ? Je n'en suis pas pleinement certain.
C'est la limite que je vois à Happiness : derrière ce film au titre profondément ironique, le réalisateur ne fait que prendre une panoplie de personnages pour les détruire sans discontinuer, avec un sadisme ressenti. Tous sont misérables (que ce soit la misère sexuelle comme affective), tous finissent par être détestables ou presque. Le regard posé sur ces personnages est terrible et fataliste : aucun d'eux ne peut rechercher le bonheur puisqu'il leur est interdit d'office. La seule note d'espoir réside dans le personnage de Joy, il n'est d'ailleurs pas anodin que ce soit elle qui écope de ce prénom révélateur. Celle qui semble la plus vouée à l'échec, ridiculisée par son entourage, est finalement celle en qui le spectateur pourra placer tous ses espoirs pour obtenir une étincelle de futur possible.
Happiness m'a également perturbé dans sa manière de traiter le personnage de Bill (Dylan Baker), car il est rare que de tels profils soient étudiés d'un point de vue psychologique au cinéma. L'acteur est exceptionnel, je me demande sincèrement comment font les comédiens pour jouer ce genre de choses. En dehors de lui et de Philip Seymour Hoffman (évidemment), j'ai trouvé le reste du casting... étrange. J'imagine qu'il s'agit d'une volonté de Solondz (de faire jouer tout le monde faux), pour montrer à quel point les gens se réfugient derrière leur faux bonheur. Mais certaines scènes m'ont semblé ridicules dans leur volonté de jouer sur des décalages pour faire rire. J'ai eu l'impression qu'on me soufflait : "Hop, ici, il faut rire !", ce qui m'a sorti du film puisque ces scènes faussement humoristiques m'ont parues extrêmement mauvaises. On pourra au moins dire que le film m'a remué, c'est déjà ça.
Bref, si j'y réfléchis bien, je ne sais pas s'il s'agit d'une expérience inoubliable ou d'une expérience à oublier. J'en ressors avec la désagréable impression que le film n'apporte rien, qu'il n'a aucun réel propos à part "tout le monde est malheureux", qu'il n'existe que pour son envie de choquer de manière subversive. Malgré tout, je remercie Najib pour cette découverte car Happiness aura eu le mérite de me retourner certains organes, de me perturber, et de me faire cogiter.