Voilà des années que je tombe régulièrement sur des images de Requiem pour un massacre et qu'elles me terrifient. Je viens de le découvrir grâce à PouletPlastique et ça confirme que j'avais raison d'en avoir peur : c'est un véritable film d'horreur, traumatisant par son propos, mais aussi par son ambiance visuelle et sonore que je n'imaginais pas aussi exceptionnelles. Je vous encourage, si ce n'est déjà fait, à voir ce chef d'œuvre soviétique de 1985 car c'est un pur objet de cinéma à propos de la Seconde Guerre Mondiale dont on ne sort pas indemne (je déteste cette expression, mais là, je vous assure qu'elle est justifiée).
On y suit Florian (Flora), un jeune villageois qui, après avoir trouvé un fusil en creusant dans le sable, choisit de rejoindre les partisans biélorusses pour combattre l'armée allemande, laissant sa mère et ses sœurs derrière lui. Le sourire qu'il affiche en début du film, celui de l'insouciance, sera très rapidement effacé à jamais devant les horreurs dont il va être témoin.
Le film est parfait du début à la fin, que ce soit dans sa narration comme dans sa réalisation, ou encore sa photographie. Avant de le voir, je ne m'attendais pas à grand-chose en terme de visuel car je croyais bêtement que le propos s'auto-suffirait. C'est donc avec grand étonnement que j'ai découvert un film très soigné, aux plans et cadrages proches de la perfection. Toutes les scènes de Requiem pour un massacre sont magnifiques cinématographiquement parlant, que ce soit dans la qualité d'image, les mouvements de caméra, les décors, la lumière, la mise en valeur des personnages.
La mise en scène est absolument brillante et m'a soufflé d'admiration. Alors que la durée du film (2h22 tout de même) me laissait présager quelques moments d'ennui, j'ai au contraire été happé chaque minute dans cet univers visuel très inhabituel. Toutes les images sont impeccables et la réalisation apporte quelque chose de profondément troublant, anxiogène, traumatisant. Entre plans-séquences au Steadicam, travellings somptueux, gros plans ahurissants de dramatisme, et regards-caméra intenses et effrayants, le film laisse une empreinte hallucinante en terme d'atmosphère. Celle-ci est en effet complètement folle, unique en son genre, capable de laisser des traces.
Et c'est sans parler de l'immersion dans laquelle on est plongés du début à la fin, grâce à cette volonté du réalisateur de montrer des choses réelles : les décors sont naturels, il n'y a aucun effet visuel. J'ai notamment été marqué par une séquence d'explosions de bombes dans la forêt avec des arbres qui volent au plus près de la caméra, incroyable de réalisme, terriblement palpable. Je n'en revenais pas de tant de maîtrise.
Et s'il n'y avait que le côté visuel, ce serait déjà un film de grande qualité, mais Requiem pour un massacre se démarque aussi (et surtout) par le travail sonore qui m'a ahuri. La première partie du film est "silencieuse". Je place des guillemets car, en réalité, le film n'est jamais silencieux. A chaque instant, nos oreilles subissent un bruit de fond très déstabilisant, mélange de bruits effrayants qui ne laissent jamais au spectateur une seconde de répit. Le travail du son est dingue, car il n'y a quasiment aucune musique pendant l'intégralité du film. A la place, il règne cette espèce d'ambiance de fond qui amène une angoisse et une tension incroyables, parfois mélangée à de lointains extraits de musiques d'époque qui surlignent une nostalgie dramatique désespérante. Ces sons, on les entend notamment durant toute la partie avec le personnage de Glasha (Olga Mironova, dans son unique rôle au cinéma, est exceptionnelle de bizarrerie). J'ai adoré cette partie pour son côté déprimant et pour les regards-caméra qui illustrent toute la détresse de ces jeunes perdus.
Il est impossible de parler de Requiem pour un massacre sans mentionner Alekseï Kravtchenko, l'acteur principal. Je ne sais pas si j'ai déjà connu une telle performance de la part d'un acteur enfant, car celui-ci se transforme (se déforme, devrais-je dire) progressivement au cours de l'intrigue. Au début, c'est un jeune garçon joueur et rieur, plein d'avenir. A la fin, il n'en reste plus rien, il est totalement vide. Toute la terreur, tout le désespoir, tous les traumatismes qu'engendre la guerre, tout ceci se reflète dans les yeux du jeune acteur avec une puissance démesurée. Il suffit de voir quelques images pour s'en rendre compte : le visage d'Alekseï Kravtchenko est taillé pour le rôle, certaines de ses expressions faciales sont cauchemardesques.
Le pire, c'est que je m'attarde depuis le début de cet article sur les aspects techniques du film, alors que la véritable puissance de Requiem pour un massacre se joue dans son propos, notamment dans la deuxième partie du film, encore plus saisissante et traumatisante que la première. Cette fois, le film n'est plus du tout silencieux, il devient même assourdissant. On assiste aux pires horreurs, aux pires crimes, dans un bordel sonore terrifiant. Il n'est plus vraiment question de détruire Flora, car il n'y a plus grand-chose à détruire chez lui. Il est question de détruire tous les autres... On se demande, au bout d'un moment, si on parviendra à en sortir, tant le désordre ambiant est insupportable à entendre et à voir. En ce sens, le film nous fait vivre (un peu) la situation de Flora dont la vie, l'innocence, la psychologie, ont été intégralement détruites en l'espace de quelques jours. Nous, pauvres spectateurs, avons la chance de pouvoir sortir du film pour retourner à nos occupations (non sans être hantés par les images qu'on vient de voir). Le jeune garçon, lui, ne sortira jamais de cet enfer mental suite aux horreurs qui l'ont détruit, tout comme les millions de personnes qui ont subi les atrocités de cette guerre.
Requiem pour un massacre nous fait vivre un infime pourcentage de cet enfer, c'est une expérience profondément marquante. Un chef d'œuvre à tous les niveaux, à voir absolument. Je doute que ce soit tout à fait légal, mais il est disponible en qualité magnifique sur Youtube en suivant ce lien.