Victoria ne contient qu'un seul plan : un plan-séquence de 2h14. Il relate la folle nuit blanche d'une jeune femme espagnole qui vit depuis 3 mois à Berlin et peine à se faire des amis. Alors qu'elle sort d'une boîte de nuit toute seule vers 5h du matin, elle tombe sur un groupe de garçons alcoolisés et se laisse convaincre de les suivre.
Techniquement, le film est plaisant à suivre ; on ne peut pas s'empêcher d'imaginer toute l'organisation que le tournage a dû nécessiter. Evidemment, Victoria impressionne par son concept car, même si le film est plutôt cadré et ne prend pas une tonne de risques, on sent que quelques passages auraient clairement pu être foirés, comme ce moment où le personnage principal se tient debout à l'arrière d'un vélo qui roule. On s'amuse des petits instants non prévus (une cigarette qui tombe malencontreusement) mais il y a tout même peu de place à l'aléatoire en terme de scénario et ça se voit : tout semble s'être globalement déroulé comme prévu. Les comédiens, par contre, ont pu laisser libre cours à leurs talents puisque la majorité des dialogues a été improvisée, sans que ça ne desserve la fluidité de l'intrigue.
Victoria est donc une prouesse indéniable et force le respect quant à son ambition : il faut applaudir toute l'équipe technique qui a fourni un travail de qualité, même si j'admets déplorer un manque d'inventivité dans la mise en scène. Il n'aurait peut-être pas été absurde d'intégrer au film un plan "choc" afin de marquer les esprits durablement. Je trouve dommage qu'il n'y ait pas, par exemple, un peu de recherche dans les mouvements de la caméra à l'épaule. Lorsque les personnages montent sur le toit d'un immeuble, il aurait été extrêmement classe que la caméra suive son chemin toute seule en s'envolant vers le toit (à l'aide d'une grue / câble ou autre) pendant que les personnages y accèdent via l'intérieur. Au lieu de ça, la caméra ne cesse de suivre les comédiens, jusque dans l'escalier ou l'ascenseur, à l'intérieur des voitures, comme si elle était un personnage secondaire de l'intrigue. Or, elle ne l'est pas, ce qui laisse une impression de plan-séquence "gratuit". Ce côté m'a légèrement déçu, même si ça n'enlève rien à la performance globale de Victoria, j'aurais aimé que la caméra s'impose un peu plus en faisant ses propres choix, à la manière d'un Gaspar Noé qui sait manier le hors champ subtilement (Enter the void).
De même, je suis obligé de saluer les interprétations des acteurs, et surtout de l'actrice Laia Costa qui porte le film sur ses épaules : il n'existe pas une image sans elle. L'actrice est fabuleuse et parvient à tenir son rôle jusqu'au bout alors que celui-ci n'est pas toujours évident, avec une conclusion en apothéose où elle m'a totalement bluffé tant elle est crédible.
Malheureusement, car là aussi il y a un "mais", le scénario ne tient pas toujours la route et le personnage de Victoria est assez raté dans son écriture. Victoria est naïve et son comportement est parfois totalement lunaire voire incohérent. Les décisions de ce personnage m'ont perturbé à de nombreuses reprises. On pense évidemment, dès le départ, à son absence totale de méfiance envers cette bande de quatre jeunes hommes bourrés qui n'inspirent pas tellement confiance. Difficile de saisir comment une jeune femme qui arpente les rues en pleine nuit peut suivre ainsi des mecs qu'elle ne connait pas, sans réfléchir deux secondes aux conséquences de ses choix. Que ces mecs soient finalement inoffensifs envers Victoria, je l'accepte sans souci ; on ne rencontre pas que des violeurs la nuit à Berlin... Mais que Victoria ne se pose pas la question une seule seconde, je trouve ça crétin. Et s'il n'y avait que ça, on pourrait peut-être y croire. Mais certaines décisions du personnage vis-à-vis des événements qui lui tombent dessus m'ont interloqué, comme la scène du bébé à laquelle je n'ai pas cru un seul instant. La jeune femme accepte tout ce qu'il se passe sans broncher et n'hésite pas à y participer. Pourquoi ?
Bref, j'ai adoré Victoria pour son concept, indiscutablement très fort, même s'il met aussi en valeur l'importance du cut au cinéma, qu'on regrette parfois (2h14 non stop, c'est clairement too much). Le film m'a époustouflé grâce à l'immersion qu'il impose et son rythme effréné (aucun temps mort en 2h14 (ce que je craignais pour "meubler"), c'est fou !), mais souffre malgré tout de problèmes du côté de la cohérence, et le principe du plan-séquence le rend aussi terriblement frustrant. L'intrigue est haletante et saisissante, mais bien difficile à croire. Et puis, réaliser un plan-séquence c'est une chose, mais encore faut-il qu'il soit justifié ou que le procédé ait un sens. Ici, j'ai malheureusement l'impression qu'il n'est qu'un artifice et qu'il ne raconte rien de particulier...