En voilà une déception ! Here est un film-concept adapté du roman graphique du même nom, écrit et dessiné par Richard McGuire. L'idée est magique et avait tout pour plaire au grand nostalgique que je suis, puisqu'il s'agit de montrer la même pièce d'une maison prise sous un angle unique, afin de la voir évoluer au fil des décennies et de ses occupants. L'occasion pour Robert Zemeckis d'aborder ses thématiques phares : la famille, l'histoire de l'Amérique et, bien sûr, le retour dans le temps.
Une idée qui atteint vite ses limites
Selon moi, la mauvaise idée du film est de reprendre le rendu visuel de la BD avec des vignettes qui permettent de passer d'une époque à l'autre par superposition. Le montage du film est certes impressionnant, car les effets de transition sont uniques en leur genre et que c'est du jamais vu au cinéma, malheureusement Zemeckis ne nous laisse jamais le temps de respirer. Si vous n'avez pas vu le film, voici un extrait du roman graphique pour vous donner une idée :
Le concept est génial en soi. Grâce à ces pièces de puzzle qui se superposent parfois en filigrane, tels des rayons X qui nous permettent de voyager d'une époque à une autre, l'ensemble est fluide et tout à fait fascinant au départ. Seulement, après une dizaine de minutes, l'incroyable densité de la narration nous empêche de profiter de toutes les intrigues développées dans Here. J'aurais aimé que le film prenne son temps, en s'éternisant un peu plus sur certaines séquences qui auraient mérité un rythme moins soutenu. Là, pendant 1h40, on assiste à un enchaînement rapide et incessant de scènes qui n'ont parfois rien à voir les unes avec les autres, car les vignettes prennent énormément de place. On n'a pas tellement le temps d'assimiler les émotions des personnages que, déjà, on passe à une autre situation. Qui plus est, Zemeckis a fait le choix de ne pas indiquer les différentes années, ce qui est louable de sa part, mais ça l'oblige à nous ressortir tous les plus vieux clichés sur les années 40, 50, que ce soit en terme de musique comme de modes vestimentaires, afin que le spectateur puisse s'y retrouver.
J'ignore pourquoi Zemeckis n'a pas osé rallonger son film d'une heure supplémentaire, ça aurait sans doute valu le coup afin de nous attacher aux personnages et aux différentes temporalités. C'est bien dommage car l'ensemble n'est pas ennuyeux : il serait malhonnête de prétendre le contraire. C'est d'ailleurs l'un des tours de force de Here qui, même s'il passe à côté de toute l'émotion qu'il aurait dû nous donner, est très agréable à suivre sous son point de vue unique.
Cependant, nous avons ici une quantité phénoménale d'époques et de situations, certaines sont d'ailleurs assez superflues. Sur 1h40, il aurait été préférable de concentrer le récit exclusivement sur quelques générations de cette famille, sans vouloir en faire trop. J'ai trouvé l'intrigue autour de la famille afro-américaine très poussive notamment dans les messages qu'elle délivre et qui sortent de nulle part. De même, à part pour se donner du style et de l'ambition, je ne vois pas en quoi le passage sur l'extinction des dinosaures ou sur les amérindiens apporte quoi que ce soit à l'intrigue. Le scénario tente de le justifier à un moment, à l'aide d'archéologues, mais tout ceci s'avère finalement inutile et nous détourne du sujet principal du film : la famille et les regrets du passé.
La technologie au détriment de l'émotion
Le problème, c'est que le sujet de la famille n'est pas, non plus, traité en profondeur. L'émotion peine à s'installer. Le choix de Zemeckis d'utiliser le de-aging et le maquillage numérique pour conserver les mêmes acteurs est intéressant, et le cinéaste est d'ailleurs connu pour s'engouffrer le premier dans les avancées technologiques au service du cinéma, comme en témoignent Qui veut la peau de Roger Rabbit ? ou encore Le Pôle Express. Le souci, c'est que cette nouvelle technologie utilisant l'intelligence artificielle en est encore à ses débuts. Alors, on ne va pas mentir : le rajeunissement de Tom Hanks et Robin Wright est impressionnant. J'ai été stupéfait par les progrès qui ont été faits, notamment depuis Indiana Jones 5 qui semblait bien plus lisse sur le travail des visages. Malheureusement, l'utilisation du numérique se voit comme le nez au milieu de la figure car le film est extrêmement laid.
Par moments, j'ai quasiment eu l'impression d'être face à un film d'animation, car le rendu sur l'image est très artificiel. Tous les torts ne sont pas à imputer au de-aging, mais aussi à la photographie qui est, de manière incompréhensible, particulièrement hideuse. Le travail des lumières est affreux et donne une impression de faux en permanence. C'est comme naviguer à l'intérieur d'un catalogue Ikea, tout est propre et lumineux, il manque clairement des ombres ou des contrastes qui auraient permis de donner vie à cette pièce. Here semble sans vie, sans âme, ce qui pose problème lorsqu'on souhaite faire une fresque sur la vie d'une famille sur plusieurs décennies. Même la fin du film, qui force les larmes et peut potentiellement toucher grâce au propos très fort sur la mémoire et le temps qui passe, est complètement gâchée par la lumière et la sensation désagréable de voir deux acteurs en surimpression.
Ce souci de photographie est particulièrement visible lors des séquences centrées sur les indiens. Bon sang, que c'était moche ! Les scènes de nuit faisaient peut-être vaguement illusion, mais les scènes en plein jour (donc, la majorité) sont absolument affreuses. On n'y croit pas une seconde, on a une impression de surexposition, de lumières qui n'ont aucune cohérence. Cette clairière n'a aucune crédibilité visuelle. Tout ceci m'a sorti du film de nombreuses fois. A certains moments, on voit des visages en gros plan car les personnages s'approchent de la caméra, et on a quasiment le sentiment de regarder un film de type A Scanner Darkly, où le contraste sur les textures était, là, entièrement assumé. Ici, et bien c'est juste moche. Artificiel.
On prend les mêmes et on recommence ?
L'un des arguments commerciaux du film a été son équipe, sensiblement la même que pour Forrest Gump 30 ans plus tôt. En effet, Robert Zemeckis est de retour à la réalisation avec Eric Roth comme scénariste, ainsi que Tom Hanks et Robin Wright dans les rôles principaux. De même, Don Burgess reprend son rôle de directeur de la photo (que s'est-il passé depuis 1994 ?) et Joanna Johnston en tant que costumière. Le réalisateur s'auto-référence à quelques reprises et c'en est presque ridicule car Here n'arrive clairement pas à la cheville de Forrest Gump. Je pense notamment à ce colibri (numérique et affreux) qui vient remplacer la célèbre plume du film de 1994. C'est donc un excellent choix marketing, certes, mais ça ne peut qu'accentuer la déception lorsqu'on voit la chute de qualité entre le chef d'œuvre qu'était Forrest Gump et ce film.
Je n'ai pas parlé d'Alan Silvestri à la musique, auteur de la cultissime BO de Forrest Gump, mais il n'apporte ici rien de mémorable. Quelques airs au piano pour forcer l'émotion, mais qui se souviendra d'une seule des musiques de ce film ?
Quant aux acteurs, toute l'émotion qu'ils auraient pu faire passer est complètement détruite par la bouillie numérique. L'intelligence artificielle peut, certes, rajeunir un visage, mais on le paye au prix fort : le regard perd en intensité, les mimiques perdent en authenticité. Le film a beau faire renaître un Tom Hanks de 30 ans, il lui manque cet œil qui brille et ce sourire avec lequel il était capable de faire passer tant d'émotions. Ici, tout paraît théâtral, dans la mise en scène comme dans les dialogues. On ne ressent pas cette nostalgie intense qui aurait dû donner vie à cette histoire. Malgré tout, car Here n'est pas non plus une catastrophe loin de là, j'ai adoré le personnage de Paul Bettany. L'acteur est clairement celui qui s'en sort le mieux d'un bout à l'autre, il m'a même ému à de multiples reprises. C'est principalement lui qui m'a permis d'apprécier tout de même mon visionnage.
En conclusion, Here n'est évidemment pas un navet ni même un trop mauvais film, mais il souffre de choix qui posent question et qui dénaturent totalement ce que le film aurait pu être. Si l'idée est purement géniale, le montage gâche la mise en scène, et le numérique empêche l'émotion d'exploser. Un film raté, avec énormément de potentiel, qui tient la route grâce à son concept innovant et cinématographiquement passionnant.