Speak no evil est un thriller horrifique danois sorti en 2022, véritable film de malaise qui ne nécessitait a priori aucun remake. Pourtant, deux ans plus tard, le réalisateur d'Eden Lake est aux manettes d'une nouvelle version, bien plus édulcorée pour mieux plaire à un public fragile qui aurait besoin de réconfort (le public américain).
Deux couples ayant un enfant font connaissance lors de vacances en Italie. Lorsque l'un des deux invite le second à venir passer un week-end au calme chez eux, la petite famille accepte l'invitation sans savoir qu'ils vont subir un séjour très peu confortable. Même si l'original et le remake ont tous les deux des qualités qui n'en font pas des mauvais films, loin de là, il vaut mieux privilégier le film de 2022 pour découvrir cette histoire.
Cet article va spoiler les deux films.
L'intrigue
Dans les deux cas, le pitch de départ est plutôt classique : on suit une famille qui va se retrouver isolée et sans réseau téléphonique (sinon c'est trop facile) au fin fond d'une campagne. Là où Speak no evil est original, c'est dans l'évolution des rapports entre ces deux couples qui ne partagent pas exactement les mêmes habitudes, ce qui mène à des situations gênantes. Le film pose une question toute simple : jusqu'où irions-nous pour ne pas froisser les hôtes qui nous accueillent ? A partir de quel stade la politesse n'est plus de mise ? J'ai particulièrement adoré ce postulat, il n'est pas difficile de se mettre à la place de ces invités qui ne savent pas trop comment réagir lorsqu'ils sont face à des situations qui les dérangent.
Les deux versions de Speak no evil démarrent exactement de la même manière, parfois même avec les mêmes répliques et les mêmes plans. Pendant la première moitié, peu de différences sont à noter entre les deux films du point du vue du scénario : les invités n'osent pas dire quoi que ce soit et se laissent diriger par leurs hôtes pour ne pas paraître impolis. Le film original parvient à merveille à faire naître un sentiment de malaise chez le spectateur, et c'est malheureusement moins le cas dans le remake qui dévoile bien trop vite ses intentions à mon goût...
La subtilité
C'est l'un des problèmes principaux de ce remake : le manque de subtilité. Dans la version originale de Christian Tafdrup, on passait une majeure partie du film à douter des intentions de Patrick et Karin, car leurs réactions et leur côté sans-gêne n'étaient pas trop appuyés. Fedja van Huêt, notamment, jouait le rôle de Patrick avec beaucoup de finesse. Il était à la fois inquiétant et très sympathique. On pouvait tout à fait croire que Patrick était maladroit et que les divergences entre les deux couples étaient simplement issues de différences culturelles. Cela justifiait que le couple ait des difficultés à quitter les lieux.
Dans la version 2024, par contre, le manque de subtilité est flagrant car tout est exagéré afin que le spectateur comprenne bien dans quelle situation se trouvent les personnages. James McAvoy, aussi talentueux soit-il, en fait ici des caisses et ce n'est malheureusement pas de sa faute : il souffre d'une direction d'acteur bancale. Dès le départ, on sent que Paddy est dérangé. Quelques années après Split, où McAvoy excellait, il n'est pas difficile de voir où le film veut nous mener avec ce personnage qui accumule les mimiques flippantes et assez grossières.
Ce remake grossit donc énormément le trait, d'autant qu'il fait le choix de rendre le jeune garçon (Ant) bien plus actif que dans le film danois. Même si ça aurait pu être intéressant, tout le mystère est annulé parce qu'on comprend très vite qu'il y a un problème dans cette maison. Dans le film de 2022, au contraire, on peut comprendre que les invités soient dans le doute permanent car, en regardant les choses objectivement, les indices qui pourraient leur indiquer de fuir sont assez faibles.
Ce manque de subtilité amoindrit également le malaise dans la nouvelle version, car on sait sur quel pied danser. Là où le film danois prenait le temps d'installer des situations longues et gênantes, comme la scène de danse au restaurant, le remake choisit de forcer le malaise un peu plus fort, mais il dépasse la limite qui rendait le film de 2022 si tendu. Dans le film original, tout était insidieux et en sous-couche, là où le remake traite ses personnages de manière bien plus évidente et exagérée. Un peu comme si nous n'étions pas capables de juger nous-mêmes le comportement inadapté de Paddy et Ciara.
Le propos du film
Outre ces différences qui rendent ce remake assez fade comparé aux ambiances malaisantes de l'original, Speak no evil (2024) change radicalement le dénouement du film de Christian Tafdrup. Là où la version danoise nous adressait un véritable coup de poing dans la figure avec l'une des fins les plus horribles et mémorables du cinéma d'horreur de ces dernières années, James Watkins préfère une happy end qui rend, une fois de plus, Speak no evil bien plus fade. La dernière demi-heure oublie la brutalité et la cruauté du film danois pour s'engouffrer dans un survival un peu bête au sein de la maison. Le film de 2022 se terminait de manière très pessimiste, car le piège s'était refermé sur le couple : la stratégie malsaine de Patrick et Karin leur avait permis d'aller au bout de leur plan. C'était aussi génial qu'inattendu : la cruauté de certains êtres humains était montrée à l'état brut. Dans la version américaine, par contre, on assiste à des scènes ultra classiques qui laissent peu de place au doute : cette petite famille va évidemment s'en sortir en se débarrassant de chacun de ses ennemis. Peu de surprise, peu de suspense, même si James McAvoy donne tout ce qu'il peut avec ses gros yeux menaçants et ses cris de bête. Grande déception pour ma part.
De même, les deux versions diffèrent dans leur point de vue sur les personnages principaux. Dans la version d'origine, on sentait réellement une tension "couple contre couple". Chaque couple était uni, ce qui donnait une confrontation très duale. Dans la version 2024, tout est bien plus individuel. Louise et Ben sont fâchés et leur couple bat de l'aile, ce qui rend l'ensemble beaucoup moins cohérent et moins efficace à mon goût. Et puis, surtout, on apprend à la fin du film que Ciara était également sous l'emprise de Paddy, ce qui fout en l'air le côté malsain et gratuit qui faisait de Patrick et Karin un couple diabolique. Malgré tout, j'ai aimé l'idée selon laquelle Ciara aurait été la première victime de Paddy, ça ajoute un twist plutôt malin à l'intrigue. Cependant, il n'est pas toujours nécessaire d'expliquer le comportement des personnages. Speak no evil (2024) s'évertue à vouloir leur trouver des raisons d'agir : Ciara est sous emprise, Paddy a subi une enfance très difficile, Ben est blessé par une histoire de tromperie, etc. J'ai largement préféré la sobriété du film de 2022, plus implacable et gratuit, comme peut l'être la vie parfois.
Bref, vous l'aurez compris : j'ai aimé les deux films mais ma préférence va à l'original. Même si je ne doute pas que la version américaine soit plutôt réussie en tant que thriller indépendant de l'autre, je trouve qu'il souffre de la comparaison.