Et voilà, je viens de tomber amoureux d'un acteur. C'était ma première expérience avec Patrick Dewaere et le choix s'est porté sur Série Noire, probablement le plus réputé de sa filmographie. Le film en lui-même comporte quelques faiblesses, notamment dans l'écriture du scénario, et donne davantage l'impression d'un Patrick Dewaere show de la première à la dernière minute. Pour ces raisons, il a failli ne pas se retrouver parmi mes coups de cœur. Sauf que j'ai passé deux jours à repenser à la performance de l'acteur et que ça me colle un immense sourire : j'ai ressenti un pur plaisir à le voir faire n'importe quoi.
Série Noire, pourtant, n'est pas particulièrement fait pour donner du plaisir. Pour commencer, le destin tragique des deux acteurs principaux file forcément, a posteriori, un petit coup de cafard lorsqu'on les voit à l'écran. Quelle tristesse. Marie Trintignant, ici adolescente et mutique, incarne un personnage passif mais pourtant central : c'est Mona qui déclenche les envies noires de Frank, même si elle ne l'encourage jamais. Sa seule présence suffit, et l'actrice apporte une touche de douceur à l'ensemble. On peut tout de même s'offusquer devant des scènes terriblement osées : il serait effectivement impensable de voir aujourd'hui une fille de 16 ans apparaître entièrement nue sur grand écran, ou embrasser un acteur de deux fois son âge. Malgré tout, il semblerait que la jeune actrice ait été traitée avec tout le respect nécessaire sur le plateau, notamment par Dewaere, et c'est déjà une bonne chose pour un film vieux de 45 ans.
Plus Mona est muette, et plus Frank comble le silence avec ses délires et ses monologues. C'est là qu'intervient mon coup de cœur : Patrick Dewaere est dingue. Dès les premières minutes, le générique de Série Noire est exceptionnel. J'ai été stupéfait, intrigué, fasciné par ce grand bonhomme à l'air presque enfantin qui mime un combat puis un air de saxophone au beau milieu d'un terrain vague. Il ne lui a fallu que 20 secondes pour me faire rire et m'impressionner.
Frank Poupart, aussi dérangeant et noir soit-il, est un personnage complexe et fascinant. Patrick Dewaere est étonnant, passant d'une idée à une autre, d'une émotion à une autre. Entre grands monologues délirants, tics ou gestes absurdes, Frank est finalement attachant malgré ses démons. On sent qu'Alain Corneau a laissé un gigantesque champ de liberté à l'acteur et que Dewaere s'est approprié ce personnage à sa manière, dans une immersion totale proche de l'Actor Studio. J'y ai parfois vu du Dustin Hoffman ou du De Niro.
On ajoute à ce drôle de personnage un vocabulaire succulent : celui des années 70 en France. Certaines expressions aujourd'hui désuètes donnent un charme incroyable aux dialogues (ou monologues), j'ai noté des choses comme "Makache !", "Vous êtes complètement louf non ?" (il faut absolument repopulariser ça), "J'en suis baba comme un rond de flan" ou autres "Elle te colle tout sur l'pardingue..." qui m'ont apporté encore plus de plaisir. Lorsque ces répliques viennent se confondre avec des scènes typiquement 70's comme celle des motards dans le bar, on aurait presque rêvé que Renaud ait composé une chanson noire et déprimante pour le film.
En dehors des performances des acteurs (je n'ai pas cité Myriam Boyer et Bernard Blier, exemplaires), Série Noire porte bien son nom. On a affaire à un drame très sombre qui mêle violence et crimes froids, psychologie noire, misérabilisme social. L'ensemble n'est pas toujours très clair (où ça va ? ça veut dire quoi ?), mais l'interprétation névrosée de Patrick Dewaere emporte le tout : Série Noire est un putain de plaisir à regarder.