Le scénario est on ne peut plus basique. Un homme et son fils (dont on ne connait pas les noms) ont survécu, 10 ans plus
tôt, à une terrible catastrophe. Absolument personne ne sait ce qu’il s’est passé, si ce n’est que les survivants ont vu un grand éclair aveuglant avant que le monde n’explose. C’est donc dans
une ambiance post-apocalyptique que deux rescapés tentent de survivre et de trouver de la nourriture. Celle-ci se fait rare, la végétation a disparu. Le peu de survivants erre dans un monde
complètement dévasté, gris, mort et couvert de cendre. Face à cette catastrophe, la plupart des “miraculés” ont adopté le cannibalisme. Seules les quelques personnes à qui il reste une once
d’humanité essaient par tous les moyens de trouver de quoi se nourrir et se vêtir sans en venir à cette sauvagerie. C’est en poussant un vieux caddie rempli de toutes sortes de choses qu’ils ont
pu sauver, que père et fils voyagent sans réel but, foulant une Terre vide de sens. Même s’ils n’ont plus aucune raison de vivre, ils continuent de se battre pour survivre et éviter de devenir
les proies des autres. Ici, tout ce qui bouge est dangereux, ils vivent dans un monde de frayeur où la loi qui prime est la loi du plus fort.
Ce film montre avec un pessimisme affolant (mais c’est ce qui en fait sa force) la nature de l’être humain dans des conditions de survie. Et certains trucs
choquent, clairement. Et s’ils choquent et font peur, c’est parce qu’ils ne sont peut-être pas si loin de la vérité. Que feraient les hommes dans cette condition ? La réponse est très
probablement dans ce film. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles il a été si peu médiatisé. Car il nous rappelle que dans notre univers candide et optimiste du “tout le monde est
gentil”, on oublie parfois que la vraie nature de l’homme est inconnue. Nous sommes des milliards sur Terre et nous sommes incapables de savoir comment nous réagirions dans une telle situation de
crise. Jusqu’où irions-nous pour survivre ? De quoi serions-nous capables pour protéger les dernières choses qui nous restent ? Nous n’en savons rien, et c’est une réalité vraiment
effrayante.
Le film montre avec réalisme et de façon captivante un monde que nous ne connaissons pas, mais vers lequel l’être humain arrive peut-être. De nombreuses scènes nous
heurtent, car on est scandalisés face à si peu d’éthique. Des scènes affreuses froissent notre bonne morale, nous gênent, nous terrifient. On se sent vraiment bizarre, on souffre de voir que ces
choses abonimables sont effectivement des critères à envisager dans le caractère de l’être humain. C’est une sensation étrange, dérangeante. Le seul nom que je lui trouve est le sentiment d’un
“scandale”. C’est principalement en ceci que le film est si percutant.
L’autre raison pour laquelle ce film est si frappant, c’est que le dénouement est d’un pessimisme rare au cinéma. Bien loin des autres films apocalyptiques comme
2012 ou
Le jour où la Terre s’arrêta,
La
Route ne laisse pratiquement aucune place à l’espoir, sinon un espoir éphémère. Même la fin du film, presque positive, ne nous convainc pas à rester optimiste. On ressent
simplement une chose : il n’y a plus aucun but, plus aucun espoir. Et quoi que les personnages fassent, ça ne reviendra pas. La seule consolation qu’il leur reste, c’est d’être unis, ensemble,
pour progresser vers quelque chose d’irrémédiablement sombre. Seuls l’amour et la complicité leur permettront d’avoir envie de vivre. Pour être ensemble coûte que coûte et se protéger
mutuellement.
La confiance envers les autres a fait place à la méfiance permanente, et même à la peur de l’autre. Et finalement, c’est peut-être également un reflet de notre société
actuelle. La peur de l’autre. Le film nous présente de façon crue une triste éventualité. Derrière les faux-semblants et l’impression que le monde entier est aujourd’hui uni et que les hommes
sont solidaires les uns avec les autres, se cache une réalité toute autre. Lorsqu’on est livrés à nous-mêmes, tout ceci n’existe plus. Il n’y a plus de fraternité qui compte. Par contre, et fort
heureusement, le film est relativement positif sur ce point. Il nous laisse penser qu’en une telle situation, certaines personnes ont la force morale nécessaire pour ne pas tomber dans la
barbarie. Ce qui permet de rassurer le spectateur.
Mais cessons toute cette réflexion et abandonnons le fond du film pour parler de sa forme.
Esthétiquement, le film est vraiment magnifique. On voit un monde entièrement vide de couleurs, de son, et de vie. Certaines images sont époustouflantes tant elles
sont belles. Les paysages offrent un univers impressionnant, dans lequel on entre immédiatement. On nous présente un homme et son fils, visiblement las et découragés, mais qui avancent
précautionneusement avec un caddie rempli de toutes sortes d’objets. Ils sont sur leurs gardes, ils guettent le moindre bruit, synonyme de danger.
Le film alterne les scènes calmes, portées sur la relation père/fils, avec des scènes palpitantes de fuites et de rencontres. En quête de nourriture, les deux personnages
se soutiennent moralement et jouent un véritable cache-cache pour pouvoir s’en sortir. L’histoire est ainsi tantôt poignante, tantôt stressante et passionnante.
Le film comporte évidemment peu d’acteurs, mais ils sont tous géniaux. A commencer par l’excellent
Viggo Mortensen.
Physiquement très modifié, amaigri, vieilli, il est presque méconnaissable. Avec sa barbe, ses vêtements rapiécés et son regard attristé, on est bien loin du
Viggo Mortensen de
A History of Violence, bien que ce titre eut été adapté au contexte de
l’histoire. Il prouve une fois de plus qu’il est un grand acteur, capable d’exprimer la souffrance, la tristesse, le désespoir. Avec son sourire incomparable ou ses yeux en pleurs, il parvient à
nous transmettre une foule d’émotion. Il arrive à rendre son personnage attachant, incroyablement humain, qui se pose beaucoup de questions sur lui-même.
Kodi Smit-McPhee est également superbe dans le rôle du fils. On sent une réelle complicité entre les deux acteurs et leurs interprétations sont
touchantes. Autre excellent élément de ce casting :
Michael K. Williams. Il incarne un homme qui survit seul et qui essaie de voler le caddie
de nos “héros”. Mal lui en prendra, il sera aussi source d’une infinie pitié de la part du spectateur, qui subira un autre choc scandalo-émotionnel (
oui j’invente des mots !).
Charlize Theron est également éblouissante.
Parlons également du livre de
Cormac
McCarthy. Ce film est-il bien adapté ? Et bien oui. J'ai beaucoup entendu dire que cette adaptation cinématographique était largement en-dessous de la magnifique oeuvre
littéraire. Je ne suis pas d'accord, pour moi les deux sont au même niveau, et je trouve que le film retranscrit l'ambiance du bouquin avec une grande justesse. Notamment sur les dialogues. Dans
le livre, on est assez perturbé par l'étrange mode de communication des deux survivants. Toujours des phrases courtes, une question impliquant une courte réponse, voire la plupart du temps un
"
Je ne sais pas" assez désespérant. Les discussions (si tant est qu'on puisse les appeler ainsi) se terminent souvent par
un "
D'accord", symbole de la fin de leur conversation. Et le film est très bien adapté car on retrouve parfaitement ce
problème de communication et ce manque de sujets de conversation. De plus, l'intégralité des passages importants du livre ont été mis à l'écran, sans s'écarter du sujet ni trop le modifier. En
ceci, c'est vraiment l'une des meilleurs adaptations que j'ai pu voir.
Pour conclure, la BO de ce film est absolument magnifique. Les musiques sont touchantes, poignantes, profondes et vraiment appropriées au contexte du film.
Ce film est donc à mon goût un véritable chef d’oeuvre qui mériterait plus de considération. C’est pour moi l’un des meilleurs de 2009, sans conteste.
Voir aussi : Les meilleurs films de 2000 à 2010.