J'en profite pour refaire un peu de "pub" pour "
If we don't, remember me", un site qui propose des gifs animés tout bonnement excellents, de grande
qualité et parfois très étranges. C'est en faisant ma visite hebdomadaire sur
Iwdrm
que je suis tombé sur le gif ci-dessus et que je me suis demandé ce que pouvais bien être ce film. Quand j'ai lu "
Metropolis (1927)", ça m'a
un peu surpris car, même si j'avais déjà entendu parler du film, je ne savais pas qu'il était si vieux ! Puis je suis allé sur Wikipédia et j'ai appris de quelle façon a survécu
Metropolis pendant 80 ans. Je dois avouer que ça m'a immédiatement intrigué et que je me suis empressé de me le procurer, je remercie donc ce site de
gifs (dont je suis totalement fan) de m'avoir poussé à découvrir ça.
En quoi l'évolution de ce film est-elle si intéressante ? En fait, la carrière de
Metropolis a rencontré énormément de difficultés. Déjà, il se trouve que
Thea von Harbou, la femme
du réalisateur
Fritz Lang qui était également co-scénariste (le film est en fait une adaptation d'un de ses romans), avait des idées
politiques très proches du nazisme contrairement à son mari qui lui, s'est clairement opposé à cette doctrine. Elle a donc beaucoup influencé le scénario et
Fritz Lang a d'ailleurs déclaré ne pas avoir aimé son film. En 1933, lors de la montée du nazisme en Allemagne, il a finalement quitté son pays pour
s'expatrier aux Etats-Unis et en a profité pour réaliser deux films contre cette idéologie (
Chasse à l'homme et
Les Bourreaux meurent aussi). Bref, tout ça pour dire que lors de sa sortie,
Metropolis a été un
désastreux échec et n'a obtenu son statut de culte qu'après la
Seconde Guerre Mondiale. Le film a subi de nombreuses amputations, beaucoup de scènes ayant été
coupées (plus ou moins selon les pays). Toujours est-il qu'en 1984, lorsque le compositeur
Giorgio Moroder a entreprit de le coloriser et de
changer la BO en la rendant plus rock (ce qui est, entre nous, assez scandaleux), il ne restait plus que 80 minutes du film sur les 2h33 de départ ! Un gros travail de recherche a alors été
effectué en recoupant de nombreuses versions (fouillant parfois chez des privés), et
Metropolis a été rénové et reconstitué à environ 120
minutes en 1995, avec une bande-son toute neuve (la version a été allongée à 2h30 car les morceaux manquants étaient alors remplacés par des photos de tournage et des images qui racontaient ce
qu'il était censé se passer !). Tout espoir de retrouver les derniers fragments du film original était entièrement perdu et il était certain qu'on ne pourrait plus remettre la main dessus.
Cependant, en 2008, après plus de 20 ans de recherches (c'est pour ça que je comparais l'histoire de ce film à de l'archéologie), 25 minutes supplémentaires ont été miraculeusement retrouvées en
Argentine, donnant lieu alors à une version quasiment complète du film, soit 2h25.
Voilà pourquoi je suis totalement fasciné par l'histoire de
Metropolis, puisqu'on a effectué
plus de 80 ans de recherche pour pouvoir réunir et conserver ce patrimoine cinématographique, remettre la main sur des images plus vraiment toutes jeunes. Personnellement, je trouve ça génial. Il
est vraiment rare de parler de ce genre de choses pour le cinéma qui est une technologie relativement récente (seulement un peu plus d'un siècle !) et ce genre d'anecdotes me passionne. Pour ma
part, je n'ai pas eu la chance de voir la version "intégrale" même si celle-ci est passée sur Arte en direct il y a quelques années, avec un orchestre qui jouait simultanément les musiques
originales du film. Le genre d'énorme pépite télévisuelle qu'il ne faut pas louper, mais bon, tant pis ! J'ai vu une version un peu rognée de 2 heures, avec des cartons blancs racontant le
scénario lorsqu'un passage manquait. J'ai été légèrement déçu de ne pas avoir vu certains passages, mais dans l'ensemble je suis plutôt ravi. J'ai un peu honte de le dire, mais
Metropolis est mon premier film muet ! D'ailleurs, je ne m'étais jamais intéressé au cinéma "ancien" avant. Pour vous donner une idée : c'est le premier
film antérieur à 1960 que je vois. Je promets maintenant de réparer cette erreur en visualisant au moins les films dits "cultes" (j'ai une pile de
Charlie
Chaplin qui m'attend) car je sais que ça manque clairement à ma culture ciné.
Pour moi, ça a vraiment été une expérience totalement différente de d'habitude. Je découvre le cinéma muet et j'ai trouvé ça
tout simplement fabuleux. Je m'y suis fait assez vite même si c'est vrai que ça fait très bizarre. Le seul truc qui m'a un peu dérangé avec le style (mais c'est un problème mineur), c'est la
musique. Pendant 2 heures, la musique ne s'arrête jamais (
il faut dire que sinon, c'est le silence total !). Au début,
j'ai trouvé ça magnifique, mais au bout de 90 minutes j'avoue que ça commençait à me piquer la tête. Loin d'être insupportable, j'admets avoir ressenti une certaine impatience de voir la fin. Et
pourtant, le style est franchement génial. Ce qu'il y a de remarquable avec le cinéma muet (en tout cas avec ce film), c'est qu'il est extrêmement implicite. On voit les personnages bouger les
lèvres dans le vide, mais le réalisateur décide quelles répliques il va afficher. Pour ma part, je croyais que dans le cinéma muet, toutes les paroles étaient retranscrites (sur fond noir entre
deux scènes), alors que pas du tout. La plupart du temps, les dialogues ne sont pas traduits et à moins de savoir lire sur les lèvres (et faut être balaise pour lire de l'allemand comme ça), on
ne peut qu'imaginer ce que les personnages se disent. C'est quelque chose d'absolument fabuleux qu'on ne peut malheureusement plus appliquer maintenant. Aujourd'hui, si un personnage se met à
parler, on entend nécessairement ce qu'il dit (
sinon ça ferait con, faut avouer). Parfois, dans les films récents, on se
tape des répliques tellement banales, attendues et débiles qu'on se demande pourquoi elles sont là. Le cinéma muet permettait vraiment de "résoudre" ce problème (entre guillemets
puisqu'évidemment le problème n'existait pas) en faisant marcher notre imagination et en nous montrant seulement ce qu'il est nécessaire de raconter. Je trouve ça prodigieux, voilà.
En plus de ça, il y a forcément des différences au niveau du jeu des acteurs. Ici, les comédiens nous offrent des prestations très théâtrales,
avec des gestes exagérés et des mouvements de tête absolument pas naturels, mais ça ne choque pas du tout. Il serait d'ailleurs débile de qualifier ça de "surjeu" au sens péjoratif du terme, et
c'est ce qui en fait toute la subtilité. La caméra appuie sur les regards, sur les mouvements, et ne s'attarde finalement que peu sur les dialogues, contrairement à aujourd'hui. De nos jours, les
acteurs font un double boulot (jeu visuel + jeu oral). Du coup, la musique est ici ultra-importance, car c'est elle qui remplace les dialogues et qui s'occupe de placer l'ambiance d'un bout à
l'autre. La BO est vraiment soignée (même si je n'ai pas vu celle de 1927) et très agréable à entendre (
sauf sur la fin où ça gave un
peu).
Bref, j'ai été admirablement comblé par cette expérience de deux heures, bien plus que je ne le pensais. Mais je devrais maintenant parler
du film en lui-même. Tout le début est génial, on nous montre une société futuriste (censée se dérouler en 2026) au sein de
Metropolis, une
ville animée uniquement grâce aux machines que les hommes contrôlent. Le chef de la ville,
Joh Fredersen (
Alfred
Abel qui est vraiment excellent et imposant avec son regard noir), contrôle tout ce qui s'y passe. La majorité des Hommes sont asservis, ce sont des esclaves, des ouvriers
travaillant 10 heures d'affilée à la chaîne, dans les souterrains de la métropole. Tout ça pour assurer le bonheur de privilégiés qui vivent juste au-dessus dans des jardins suspendus. L'idée est
intéressante et fait un peu penser à
Le Meilleur des mondes de
Aldous Huxley.
L'intrigue est passionnante, le film s'ouvre sur des scènes absolument sublimes avec ces ouvriers, penauds et complètement soumis qui avancent à la chaîne vers un travail mortellement épuisant
(photo). Aucune communication n'existant entre l'impitoyable chef de la ville et les ouvriers, ces derniers commencent à se demander si une révolte n'est pas envisageable. Au sein de ce monde
souterrain se trouve une jeune femme,
Maria (
Brigitte Helm), qui prône la paix et parle d'une prophétie
selon laquelle un "médiateur" (entre le monde du haut et le monde du bas) va arriver. Convaincue qu'il est nécessaire de conserver ce pacifisme entre les deux castes sociales, elle leur assure
qu'il faut attendre ce libérateur. Tout le film est alors basé sur la réflexion suivante : "
entre le cerveau et la main, le médiateur
doit être le coeur". Et c'est là que le bât blesse, à mon goût, au niveau du scénario et de la morale du film. Avec un tel pitch de départ, on pourrait croire que les ouvriers vont
enfin se révolter pour être libres et rétablir l'égalité, mais pas du tout. A partir du milieu du film, le film s'embrouille (pas complètement non plus). Le chef de la ville, sentant monter une
révolte dans les catacombes, ordonne à un scientifique de créer un androïde ressemblant traits pour traits à cette fameuse
Maria qui fait capoter toute sa
dictature, afin de pousser le peuple à commettre des actes punissables de mort. [Entre parenthèses, cet androïde a beaucoup inspiré
George
Lucas pour donner naissance à
C-3PO dans
Star Wars]. Pour moi, à partir de ce moment,
les idées développées (que
Fritz Lang ne partageait pas, pourtant !) sont relativement accusables. L'idée générale tourne à la
collaboration des classes plutôt qu'à la
lutte des classes et finalement, la morale qui ressort du film est que les
Ouvriers (vus ici comme des gros moutons) doivent rester gentiment à leur place, que les Patrons aussi, et que la paix entre les deux castes sociales doit être conservée par l'intermédiaire d'un
médiateur. En gros, les Ouvriers représentent la "
Main" (ils travaillent et ne réfléchissent pas), et les dirigeants le "
Cerveau" (ils sont intelligents et ne foutent rien). De ce que j'ai compris, le film traduit l'idée que si chacun est "à sa place" (comme le dit
Joh Fredersen), tout va bien. Le principe est assez moyen et ce sentiment étrange qui émane du film est constamment provoqué par cette dualité, ce thème du "double", très
présent dans le film. A la
Maria gentille et douce, telle un ange, qui prône la paix entre les deux classes, est opposée la méchante
Maria qui veut à tout prix semer la révolte. Ce clone a été créé par le très méchant scientifique, l'inventeur fou
Rotwang
(
Rudolf Klein-Rogge) et se trouve être l'incarnation du Diable, avec tous les pêchés capitaux qui vont avec. Le parti pris par le film est
franchement bof et je trouve la moralité finale plus que douteuse (est-ce un avis purement personnel ?), même si la dernière scène du film est absolument magnifique, avec cette idée d'aider les
deux castes à communiquer. Mais assimiler l'androïde
Maria à
Satan, je n'ai pas du tout approuvé. En fait, j'étais
certain que le but du film était de libérer tous ces pauvres ouvriers qui se tuaient au labeur, j'ai été dérouté et carrément confus par la façon dont les choses se déroulaient. Après, on peut
toujours imaginer que
Fritz Lang a ici dénoncé ce système, mais je ne crois pas, puisqu'il a admit ne pas aimer la fin de
Metropolis.
Quoiqu'il en soit, j'en ai terminé pour tout ce que je "blâme" dans ce film. Parce que pour tout le reste, il faut bien l'admettre,
c'est irréprochable, notamment au niveau de l'image et de la beauté visuelle. De plus, le boulot réalisé pour ce film à été énorme. Deux trois chiffres en vrac : 36 000 figurants, 4189
mètres de pellicule (153 minutes), 1600 mètres cubes d'eau avec une vague de 8 mètres, l'équivalent de 30 millions d'euros investis pour seulement 15 000 spectateurs lors de la première sortie en
salles. Pour l'époque, je trouve que
Metropolis est très surprenant, très beau, avec des tonnes d'effets novateurs et avancés en terme de
science-fiction (la métamorphose
androïde/Maria par exemple). On a quelques petites merveilles de réalisation, de cadrage et de montage (pour l'époque, bien
sûr), avec plusieurs plans superbes (plan à la première personne lorsqu'on voit la main de
Freder (
Gustav
Frohlich) avancer pour attraper un tissu au sol), notamment cette "mosaïque d'yeux" (photo). C'est très beau et on peut même parler des effets spéciaux assez réalistes comme
l'inondation des souterrains, ou la ville futuriste avec des véhicules volants (qui fait penser vite fait à
Le Cinquième Elément). Et puis
bien sûr cette ambiance, avec la musique omniprésente, une ambiance de taré il faut le dire. Bref, une vraie expérience qui vous plonge pendant deux heures dans quelque chose qu'on ne reverra
plus, avec des acteurs de qualité et un scénario qui reste quand même très intéressant même s'il ne plait pas forcément (un scénario n'est pas toujours fait pour plaire et je ne critique pas ce
côté). Il n'en demeure pas moins que ce film est incontestablement une excellente oeuvre d'art, très intéressante à regarder, et qu'elle me motive à fouiller un peu plus dans ce style
cinématographique.