Ce film est, pour l'instant, mon deuxième
Kubrick préféré (juste après
Shining qui est pour moi indétrônable). Je n'ai ressenti absolument aucune longueur, ce qui est génial pour un film de 2h20. Tous les films de plus de 2h
ne peuvent pas se permettre d'en dire autant, loin de là. Les étapes qui constituent l'évolution psychologique du personnage principal s'enchaînent avec facilité et j'ai eu beau voir ce film pour
la 3e fois, j'ai toujours autant pris mon pied. Il y a principalement deux parties dans ce film : une première de 45 minutes, et le reste. Ces deux parties symbolisent deux facettes du personnage
principal. Premièrement, on nous présente le Alex "méchant", tel qu'il est au naturel. Le film débute par un plan absolument génial, nous montrant le personnage principal assis dans son bar
favori, un verre de lait à la main, fixant le spectateur de ses yeux diaboliques.
Malcolm McDowell est juste immense dans ce film du début à
la fin, parfois touchant, effrayant, poignant. Cette scène d'introduction met immédiatemment dans l'ambiance du film, avec une musique franchement géniale signée
Henri Purcell. Je mets l'extrait ici car selon moi ce plan est une pure tuerie.
C'est un film futuriste (en tout cas il l'était en 1971) qui nous montre le monde du XXIe siècle vu par
Stanley Kubrick. Un monde de violence gratuite, de haine et de vices, symbolisés par le "pouvoir" pris par la jeunesse sur la vieillesse. Alex et sa
bande sont de jeunes gens évoluant au coeur de ce futur très noir, ils se permettent tout et n'importe quoi, perpétuant les délits les plus abominables. Fous et insouciants, les jeunes sont
devenus irrespectueux envers les gens, n'hésitant pas à saccager tout ce qu'ils voient, à frapper des SDF, à entrer par effraction chez les gens pour les violer, les piller et les torturer. C'est
ce monde qui nous est ainsi présenté pendant les 45 premières minutes, et il semblerait que cette première partie ait suffit à faire fuir un bon nombre de spectateurs. Parmi les nombreuses
critiques négatives que j'ai pu lire sur le net, beaucoup d'entre elles ont des arguments du type "je ne suis pas allé au bout, à la première demie-heure je n'ai plus supporté cette violence
gratuite". Alors déjà, au niveau violence on repassera, car même si le film peut choquer par moments et qu'on comprend certaines réactions en 1971, aujourd'hui
Orange Mécanique n'est pas insupportable à regarder, loin de là. A ceux qui affirment n'avoir jamais rien vu d'aussi insoutenable, j'ai envie de vous
orienter vers un Irréversible (par exemple). Irréversible n'est pas non plus insoutenable, mais en comparaison Orange Mécanique est un conte pour enfants. Ceci dit, je ne tiens pas vraiment à
minimiser la violence montrée dans Orange Mécanique. Certains passages horrifiants peuvent quand même nous mettre mal à l'aise l'espace de quelques secondes (comme, bien sûr, l'intrusion dans la
maison et le viol (suggéré seulement) sur fond de "I'm Singing in the rain"), mais il n'empêche que les scènes restent paradoxalement assez amusantes. Evidemment, elles ne font pas rire à
proprement parler, c'est plutôt un rire jaune, un rire agacé qui nous parcourt. Car même si les scènes sont horribles en soi, le personnage principal (bien qu'il soit une ordure) est franchement
agréable et drôle. Et par ce procédé, Kubrick nous identifie au personnage principal car, plus tard, on se sentira bien mal d'avoir pu rire face à ces horreurs.

La seconde partie est pour moi la plus passionnante. Alex bénéficie d'un traitement "tout nouveau",
remède révolutionnaire qui va le forcer à devenir gentil et sain d'esprit. C'est ici précisément que réside tout le génie de cette histoire, car Kubrick imagine ici un remède-miracle affreux.
Enfin, c'est plutôt à Anthony Burgess que revient ce mérite (il ne faut pas oublier que le film est une adaptation d'un roman), mais bref. L'idée est terrifiante et permet au film de se classer
dans la catégorie des films d'anticipation : un traitement qui obligerait toute personne à se tenir tranquille, à rester docile. Les scènes de lavage de cerveau sont abominables (et c'est
d'ailleurs pour moi ces passages qui sont les plus insoutenables car il s'agit de violence morale). Grâce à un lavage de cerveau (association de la nausée à des images choc), les scientifiques
parviennent à rendre Alex bon. Mais bien évidemment, ceci pose le problème du libre-arbitre, du choix. Peut-on dire qu'Alex est devenu bon, alors que la bonté est une question de choix ? De même,
peut-on dire qu'Alex est devenu bon alors qu'il est juste contraint à ne pas être mauvais ? Autre question terrible que pose le film : et si ce lavage de cerveau était utilisé à des fins plus
maléfiques (on pourrait imaginer rendre un homme dangereux avec cette méthode). Ceci est mis en valeur par la musique de Beethoven, merveille du monde que le personnage principal ne peut plus
supporter, et pose immédiatemment les limites d'un tel traitement. Qui plus est, alors qu'on a assisté pendant près d'une heure à toute l'horreur et la cruauté dont le personnage principal était
capable, on ne peut s'empêcher d'éprouver pitié et compassion à l'égard d'Alex. Effectivement, son passage en prison lui a fait comprendre qu'il ne voulait plus être mauvais. Il se confie
d'ailleurs à un prêtre pour lui dire qu'il veut absolument "devenir bon". Sauf qu'en le forçant à devenir bon, son changement de comportement n'aura pas été un choix mais un supplice. Et c'est
alors que, sous nos yeux, Alex tombe nez à nez avec toutes les personnes à qui il a fait du mal au début du film : le clochard, ses anciens amis devenus flics (à propos, les flics ne sont pas mis
à l'honneur dans ce film...), le petit vieux devenu veuf. Sauf qu'à présent, il ne peut plus se défendre et n'a d'autre choix que de subir les différentes vengeances de tout le monde. Cette
partie du film est vraiment très dramatique, impression accentuée par l'ambiance et la voix off, ainsi que les musiques toujours aussi sublimes. Il s'agit d'une descente aux enfers terrible pour
le jeune homme qui récolte les retours de la violence qu'il avait semée. La fin de ce film est à la fois pessimiste et optimiste (il "guérit", réellement cette fois), j'avoue ne pas encore savoir
qu'en penser, et j'aimerais connaître vos avis là-dessus.
Bref, ce film est un chef d'oeuvre d'anticipation, qui s'incrit dans un univers futuriste malsain et troublant. Pour moi une oeuvre
majeure du 7e art, sans hésitation l'un des meilleurs films qu'il m'aient été donnés de voir.