Whiplash... Ce film va-t-il être le déclencheur d'un retour des articles sur le blog ? Je n'en ai aucune idée, mais il m'a redonné envie d'écrire. Je ne peux pas affirmer que ce blog va repartir comme avant, mais après 9 mois d'inactivité je ressens une envie de continuer ce que j'avais laissé en plan ici. D'ici quelques semaines il y aura même probablement une petite surprise en lien avec le top 250, mais je n'en dis pas plus. Bref, si j'ai encore quelques lecteurs, j'ai envie de vous parler de Whiplash que j'ai découvert un peu tard mais que je n'ai pas pu m'empêcher de voir deux fois. Si je l'avais vu en 2014, je l'aurais probablement mis en tête des films vus, oui, même devant Mommy qui m'a pourtant transcendé. Mais gageons qu'il sera en tête de mon top 2015 car certaines scènes du film ne veulent vraiment pas quitter mon esprit.
Si vous n'avez pas encore découvert Whiplash au cinéma et que vous avez la chance de vivre près d'un cinéma qui le passe encore, foncez. Whiplash nous présente Andrew, un jeune batteur qui souhaite à tout prix faire partie des "grands", ceux dont on parle, des légendes telles que Charlie Parker ou Louis Armstrong. Pour ceci, il intègre en tant que remplaçant une troupe de musiciens dirigée par Terence Fletcher, un professeur très sélectif aux méthodes agressives et intransigeantes.
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Je ne vais pas spoiler la fin de ce film ni même la progression du personnage principal car c'est là que réside tout l'intérêt du film et l'émotion du dénouement, mais Whiplash est un magnifique film sur l'ambition et ses désillusions. La force du film se trouve dans le face à face entre deux acteurs de talent : Miles Teller en jeune batteur qui en veut, et J.K. Simmons en chef féroce. Ce dernier a une gueule parfaite pour ce rôle de prof intraitable qui n'hésite pas à insulter ses étudiants et à leur aboyer des ordres pour les pousser toujours au-delà de leurs limites. On ressent, via la prestance et l'imposance de l'acteur, toute la puissance du personnage déstabilisateur. Simmons est impressionnant, avec son regard qui mitraille et sa voix d'un charisme fou. Chacune de ses répliques est annoncée avec une force dingue et l'impact sur le spectateur est presque aussi fort que sur le personnage d'Andrew lui-même. Quant à Miles Teller, son talent réside à la fois dans son jeu d'acteur et dans sa maîtrise de l'instrument. L'acteur est très impregné d'un bout à l'autre dans la peau de ce jeune batteur extrêmement ambitieux et j'ai été très surpris de lire que c'était lui-même qui assurait la majorité des performances du film à la batterie.
Musicalement, il est clair que le film est passionnant même si l'on n'est pas un connaisseur dans le domaine. Le film utilise quelques termes techniques pour permettre aux spécialistes de mesurer la difficulté de la tâche du personnage principal et rendre son objectif quasiment irréalisable. Cependant, même pour les personnes (comme moi) qui ne savent pas décrypter la moindre portée de notes, la mise en scène astucieuse permet toujours de comprendre globablement l'étendue de la difficulté de jouer des morceaux comme Whiplash ou Caravan. Le simple fait, par exemple, de filmer certains éléments de la partition permet au néophyte de comprendre que les exercices demandés par Terence Fletcher à ses élèves dépassent les structures communément utilisées par les amateurs. C'est assez dingue, d'ailleurs, car même si quelqu'un ne sait pas exactement à quoi fait référence, par exemple, l'expression "400 à la noire", il peut quand même saisir la complexité de la tâche grâce à la force du montage ou en voyant la réaction des musiciens. Bref, pour résumer : le film se permet des explications très techniques tout en restant parfaitement claires pour chaque spectateur. Et c'est une des grandes forces du film : car le film traite d'un jeune homme ambitieux et de son professeur taré, mais il ne s'arrête pas là. Il prend vraiment le temps de parler de musique, ce que n'importe quel film du style devrait faire.
Et sur les deux points, Whiplash remplit son contrat haut la main : au niveau de l'évolution des personnages et du combat pour dépasser ses limites, le film fait parfaitement son boulot et décrit une relation forte et unique entre deux personnages complexes. Et au niveau musical, diable, on est servis ! La réalisation permet au spectateur de se sentir à la fois proche des musiciens et proche de la musique elle-même. La BO est d'une puissance folle, entraînante et vibrante. Au milieu de la salle de cinéma, on ressent réellement le pouvoir de chaque instrument et notamment l'importance du tempo. Grâce à un montage saccadé et parfois rapide, j'ai presque eu l'impression de ressortir essoufflé de certaines scènes, comme si je vivais l'instant à fond, en même temps que les personnages. Chaque goutte de sueur ou de sang versée par Andrew est ressentie par le spectateur, et une certaine jubilation apparaît lorsque certains enchaînements musicaux frisent la démence. Sans parler des couleurs magnifiques des images.
Je ne parlerai pas de la fin du film car elle est d'une puissance monstre, très intelligente, et qu'il faut surtout la vivre. Le coeur du spectateur passe par différents tempos imprévisibles et c'est un vrai duel psychologique qui s'entame entre les deux personnages principaux. Tout le dénouement est maîtrisé de bout en bout, même le père d'Andrew prend subitement une force démesurée, permettant une multiplication des émotions à un moment décisif du film, alors qu'on ne s'intéresse que peu à lui le reste du temps. Toujours est-il qu'en plus d'être extrêmement maligne, la fin du film fut l'une des expériences de cinéma les plus marquantes de ma vie de cinéphile. L'ascenseur émotif à l'état pur.
Bref, pour résumer Whiplash, je pourrais dire que c'est un film qui parle de musiciens tout en réussissant l'exploit de parler réellement de musique, et que sa structure est elle-même comparable à un morceau de musique. Le montage et la réalisation sont millimétrés et, avec un peu de recul, on peut voir Whiplash comme une longue portée musicale de 1h45, sur laquelle le spectateur se déplace en même temps que le film. Le film alterne les moments puissants et les scènes plus calmes où on peut reprendre son souffle, notamment par l'intermédiaire de la relation amoureuse. Car, pour que la puissance se fasse vraiment sentir, un morceau de musique doit passer par quelques instants de calme et de répit. Le réalisateur l'a parfaitement compris et semble avoir écrit son film sur une partition, utilisant les moments vibrants avec parcimonie pour mieux les faire éclater au bon moment. Du génie.