Comme ce blog n'a pas été alimenté depuis environ 7 ou 8 ans, j'ai décidé que, tant qu'un nouveau visionnage ne se démarquerait pas suffisamment pour mériter un article, j'allais revenir sur des films plus vieux, déjà critiqués sur le blog par le passé. Il sera intéressant pour moi de voir l'évolution de mon ressenti qui aura "mûri" après toutes ces années. Mon point de vue de trentenaire aura-t-il modifié ma vision de certaines choses ? Certaines de mes réactions "à chaud" n'étaient-elles que des réactions éphémères, ont-elles au contraire perduré dans le temps ? Certains films que j'appelais alors chefs d'oeuvre ont-ils perdu de leur intérêt dans mon coeur ou, a contrario, certains que je n'avais pas appréciés ont-ils su y trouver leur place ?
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Pour une raison que j'ignore, j'ai choisi de commencer par In Bruges, un film sorti en 2008 et dont j'avais fait la critique ici-même. J'avais déjà adoré ce film de Martin McDonagh lorsque je l'ai vu en 2012 et aujourd'hui, je ne peux qu'en conclure que Bons baisers de Bruges reste durablement en tête comme l'un des films les plus originaux et inattendus de ce début de siècle.
À mon goût l'un des films les plus sous-estimés de ces dernières années, malgré l'engouement plutôt positif qui lui est porté en général. Je suis tenté de croire que Bons baisers de Bruges est beaucoup plus qu'un simple film "sympathique à voir". Avec le recul, c'est un film qui a indiscutablement marqué le cinéma par le ton décalé et totalement hors norme qu'il propose. Jamais je n'ai vu un film jouer aussi subtilement sur tous les tableaux en gardant une cohérence incroyable : humour, drame, thriller, tout se mélange et s'alterne avec un brio déconcertant. Ce film permet de rire franchement, puis de nous émouvoir profondément, pour enfin nous faire fondre tendrement et nous faire rire à nouveau, tout ça en l'espace de quelques minutes. La scène qui illustre sans doute le mieux cet aspect du film est incontestablement la scène du parc, l'une des plus incroyables qu'il m'ait été donné de voir. Si vous l'avez oubliée, elle se trouve sur ce lien. Cette séquence extrêmement marquante est l'essence-même de ce film : du suspense, des retournements inattendus, une profonde empathie pour des personnages extrêmement bien écrits, un sentiment de légèreté sur fond de drame poignant. Tout dans cette scène est d'une virtuosité saisissante : de la mise en scène très tendue au côté très humain des personnages, en passant par un jeu d'acteurs bouleversant. Colin Farrell pleurant sur ce banc, c'est si brutal. Si vrai. Il y a là une sensibilité folle. Je trouve ça profondément déchirant.
In Bruges est un film qui apporte une attention toute particulière à aimer ses personnages et à les rendre attachants. Ils ont tant de relief et de qualités insoupçonnables ! Aucun d'entre eux n'est cliché, aucun d'entre eux n'a déjà été vu ailleurs. Ils sont fascinants et inattendus, originaux et profonds. Un film de tueurs à gage ? Oui certes, mais peu ordinaires ! Ils ont un passé, ils ont une force et une douceur qu'on ne retrouve pas ailleurs. Même le tueur à gage "méchant et impitoyable" incarné par Ralph Fiennes se trouve être bien loin du cliché habituel de ce style de personnages. Il n'est pas impassible ni implacable. Il a ses doutes, ses craintes, son humour même. C'est très rare, de voir de tels personnages au cinéma. Et ça fait beaucoup de bien. Et puis, que dire du personnage de Colin Farrell, tueur à gage dépressif et suicidaire, rongé par la culpabilité du meurtre d'un enfant ? Ce personnage a une personnalité extrêmement complexe. C'est sublime à voir.
Ensuite, le film a été tourné dans l'une des plus belles villes que j'ai visitées, dans une atmosphère automnale magnifique qui cadre à la perfection avec l'état d'esprit des personnages. Le film est doté d'une ambiance délectable qui marque les esprits, une véritable identité visuelle qui lui donne une saveur toute particulière. S'ajoute à toutes ces qualités cinématographiques un comique de situation rarement égalé. Le côté décalé de certaines scènes est un atout indéniable de Bons baisers de Bruges. À part les frères Coen et, dans une certaine mesure, Quentin Tarantino, je ne vois guère de cinéaste qui soit parvenu à introduire un tel niveau de décalage dans ses situations. La scène qui ressort, bien évidemment, est celle dans l'hôtel, juste avant la course poursuite entre le personnage de Ralph Fiennes et de Colin Farrell. Une séquence complètement loufoque qui fait un bien fou dans le cinéma, car elle montre ce qu'aucun autre film du genre ne se permet de montrer : les faiblesses et doutes des personnages, avec un humour et un charme dingues. Martin McDonagh a compris quelque chose de simple et de limpide que peu de cinéastes ont assimilé : porter une arme n'oblige pas nécessairement un personnage à être bourré d'assurance et de sérieux, et encore moins invincible. Bien au contraire. Je pourrais citer des dizaines d'autres exemples dans le film qui montrent à quel point l'humour décalé et burlesque est omniprésent. Que penser de cette séquence hilarante et complètement lunaire, savoureusement absurde, lors de laquelle le personnage de Colin Farrell se moque gratuitement d'un groupe de personnes pour ensuite tenter d'échapper à une raclée méritée en se déplaçant de manière complètement loufoque, tel un Jack Sparrow à Bruges ? C'est du génie, je vous le dis. Allez, pour le plaisir, je vous remets la scène, c'est toujours un plaisir.
Bref, force est de constater que Bons baisers de Bruges reste l'un des films les plus brillants de ces 20 dernières années, qu'il ne vieillit pas et qu'il demeure totalement inclassable. À bien y réfléchir, il mériterait sans doute sa place dans mon top 50 rien que pour l'humour, la tendresse, le décalage et l'émotion qu'il propose. Un grand film.