Interstellar. Il était temps que je parle de ce film car, même si c'est un fait qu'on retrouve chez de très nombreuses personnes et qu'il est clair que je ne me démarque pas de la masse cinéphile sur ce point, Interstellar est un film qui m'a profondément marqué et qui figure aisément dans mon top 5 de tous les temps. Il est indiscutable, qu'on l'ait aimé ou non, que ce film a également marqué l'histoire du cinéma à sa façon, notamment dans sa façon d'aborder le thème de la conquête spatiale et dans sa volonté d'essayer d'allier science-fiction et science tout court. Alors, l'effet Interstellar, c'est quoi ?
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Commençons par l'aspect le plus évident du film : son impact visuel et émotionnel. J'ai découvert ce film comme la plupart d'entre vous au cinéma, et je dois bien le dire, Interstellar figure parmi les plus grosses claques que j'ai pu recevoir dans ma vie de cinéphile. Moi qui ai toujours considéré que Christopher Nolan avait un véritable souci pour transmettre de l'émotion - trop obnubilé par son sujet et la rigueur de son scénario pour s'en préoccuper pleinement -, comme le prouve d'ailleurs le récent et indigeste Tenet, le réalisateur a enfin montré avec Interstellar qu'il en était tout de même capable.
Je vais bien sûr évoquer la scène de lecture des messages vidéos, incontournable moment d'émotion, véritable bijou dans ce film aux ambitions extrêmes. Cette scène, sublimée bien évidemment par un Matthew McConaughey vibrant et poignant, me tire les larmes à chaque visionnage. Encore hier, je regardais le film entre deux corrections de copies, et je me suis mis à pleurer comme une fillette en voyant le jeu de l'acteur. Cette scène est magique car elle joue à la fois sur une émotion qui nous parle à tous (la séparation voire la perte de nos êtres chers) mais aussi sur une émotion qui nous parle moins, mais que notre esprit parvient parfaitement à imaginer : la brutale douleur du temps qui passe. Nous reviendrons sur ces deux points dans un paragraphe ultérieur, mais je considère que cette séquence, qui vient fournir un moment d'apaisement entre deux moments d'action extrême, est magnifiquement dosée. Le timing est impeccable.
Autre moment d'émotion indiscutable - qui utilise cette fois une autre corde sensible (les regrets) - c'est cette incroyable scène dans le Tesseract, où Cooper fait tous les efforts possibles pour supplier son alter ego du passé de rester avec sa fille. Quel moment incroyable ! En plus d'expliquer au spectateur quelques mystères mis en place en tout début de film comme le fantôme de Murphy ou le message codé, provoquant indiscutablement un excellent twist final, cette scène m'a particulièrement touché car il me semble impossible de ne pas s'attacher douloureusement au personnage de Cooper à ce moment. Il est détruit, persuadé qu'il ne reverra jamais son enfant et qu'il a commis la pire erreur de sa vie. Il a perdu 74 années à tenter de sauver l'humanité et les mots de Brand résonnent dans son esprit : "on peut tordre le temps, le ralentir, l'accélérer, mais jamais revenir en arrière". C'est donc impuissant qu'il assiste à l'événement qui a bouleversé sa vie : son départ irrémédiable associé au lourd poids de la culpabilité qui l'assaille. Il sait que c'est peine perdue, mais il lance quand même un cri désespéré, qui symbolise davantage le déchirement de son regret (contenu en lui tout au long du film) que l'espoir que son appel à l'aide fonctionne réellement.
Nous pouvons également parler décors et effets visuels, qui sont époustouflants de réalisme pour la bonne et simple raison que Nolan, depuis toujours, cherche à utiliser le moins possible les effets spéciaux pour ses films. Quelle ambition démesurée ! Quel souci de ne pas tomber dans la facilité ! Les décors sont pour la plupart des décors réels, sans fond vert. Je vous laisse vous renseigner sur le making-of du décor de la bibliothèque finale, c'est encore plus fort que le couloir pivotant d'Inception. Pour ce film, Nolan est encore allé très loin, utilisant notamment un glacier d'Islande pour la planète Mann pour un effet incroyable... On s'y croirait. Même les robots TARS et CASE ont été réalisés en dur. Ma parole.
Continuons cet article avec le scénario, la marque de fabrique de Christopher Nolan. Le cinéma de Nolan est labyrinthique. Que ce soit dans Memento, Le Prestige, Inception, Tenet ou Interstellar, il y a toujours l'idée d'un labyrinthe mental ou scénaristique qui donne un côté "intelligent" à ses films. Alors pour ma part, je ne parlerais pas "d'intelligence", car même si je ne doute pas qu'il faille de la suite dans les idées pour imaginer des scénarios aussi complexes et travaillés, le principe reste toujours le même : un scénario en béton, déconstruit puis réassemblé astucieusement par le montage, qui donne cette impression de film "malin". Alors bien sûr, on est clairement un niveau au-dessus de toute la bouillie pour demeurés que le cinéma d'action nous propose en général, et Nolan se démarque admirablement de ce côté. Par contre, en terme d'intelligence et de matière à réflexion, on est loin d'un 2001 l'Odyssée de l'espace, pour ne citer que lui. Personnellement, je qualifierais plutôt les films de Nolan de "ludiques". Il y a clairement un plaisir du spectateur à tenter de percer les mystères des films de Nolan et les débats passionnés occasionnés par ses scénarii en sont la preuve. 10 ans plus tard, les foules sont toujours aussi déchaînées sur le scénario d'Inception et ça, c'est un fait très rare au cinéma pour être souligné.
Le cinéma de Nolan est donc ludique avant tout. C'est ce qui lui permet de rester aussi grand public et ça, le cinéaste l'a bien compris. Si on regarde bien le scénario d'Interstellar, sur quoi est-il basé ? Finalement pas grand-chose : c'est l'histoire d'un pilote retraité à qui on va faire appel pour explorer les confins de l'Univers pour sauver l'humanité, et notamment ses enfants. À bien y regarder, nous ne sommes pas si loin d'un Armageddon. Cependant, Interstellar parvient à nous convaincre de son réalisme et, grâce à de nombreux éléments très puissants qui gravitent autour de ce pitch de base assez faible, il faut dire que l'ensemble du film est redoutablement bien exécuté. La figure du père cool et sauveur, par exemple, est exceptionnellement incarnée par McConaughey qui livre l'une de ses performances les plus folles. C'est un mélange de Viggo Mortensen dans Captain Fantastic, et de Bruce Willis dans Armageddon. Le père idéal, en somme.
Et puis, on n'en parle pas assez, mais quel culot faut-il avoir aujourd'hui, pour se passer de Matt Damon pour faire la promo de son film ? L'acteur n'est pas crédité dans la bande-annonce, sa présence a été volontairement cachée pour que la surprise soit la plus totale, et c'est redoutable. Malin. Effectivement, si on avait été mis au courant de la présence de Damon avant de visionner le film, alors une bonne partie de l'intrigue tombait à l'eau : il aurait été clair, après la première heure de film, que Matt Damon incarnait l'un des scientifiques présents sur l'une des trois planètes. Ça aurait foutu en l'air l'aspect ludique du scénario. Nolan a ainsi sacrifié la perspective d'une promo plus forte au profit d'une expérience cinématographique plus totale, plus marquante pour le spectateur. C'est le même principe pour la bande-annonce, d'ailleurs, qui n'utilisait que la première heure et demie du film afin de conserver intacts l'expérience visuelle et le scénario dingue d'Interstellar. Brillant.
Et enfin, merde, utiliser la relativité restreinte et générale d'Einstein comme pierre fondatrice du scénario d'un blockbuster, vous avez déjà vu ça ailleurs, vous ? Bordel, c'est une idée géniale et, encore une fois, exécutée à la perfection. Interstellar est certes un film de science-fiction, mais il ne faut pas oublier que cette histoire de temps relatif, qui se ralentit ou s'accélère à grande vitesse ou à l'approche d'un objet super-gravitationnel, est un fait scientifique avéré et bien réel. Nolan utilise une propriété bien connue de la physique comme base de scénario d'un film de science-fiction. C'est imparable. On peut parler de génie.
Poursuivons avec la BO du film, que personne ne peut prétendre ne pas avoir remarquée. Une fois de plus, Hans Zimmer nous a fourni un petit chef d'œuvre. Le talent du bonhomme n'est plus à prouver, mais quand on sait qu'il n'avait même pas eu accès au scénario avant de composer la musique (directive de Nolan qui a visiblement choisi de faire coller les images à la musique plutôt que la musique aux images), on se dit que le génie de ce compositeur va au-delà de l'entendement. Zimmer nous ravit d'un thème musical inépuisable. Vous pouvez me réveiller au milieu de la nuit pour me la faire écouter : je suis toujours partant. Un délice de puissance.
Et ce n'est pas tout, car la magie musicale, dans un film de Nolan, opère sur plusieurs niveaux différents. Car en plus d'utiliser la musique comme élément d'émotion et de puissance, le cinéaste s'en sert de manière très intelligente pour appuyer son scénario. Encore une fois - et là encore je trouve à nouveau que ces deux oeuvres du cinéma se ressemblent plus qu'on y croirait -, Nolan nous avait déjà fait le coup avec Inception. Dans ce dernier, les personnages devaient s'enfoncer dans les différentes couches de rêve en écoutant "Je ne regrette rien" d'Edith Piaf. Au niveau -3 des rêves, alors que le temps passe beaucoup moins vite, certains ont remarqué que la BO du film était tout simplement... la chanson d'Edith Piaf ralentie 60 fois. La musique devenait donc alors un élément à part entière du scénario, et si on pousse le raisonnement encore plus loin, on peut même en déduire que les personnages d'Inception entendent la BO en même temps que nous. Une idée brillante pour une immersion toujours plus grande.
Interstellar contient également une astuce de ce genre, d'une intelligence et d'une efficacité redoutables. Sur la planète Miller, les astronautes sont très proches du trou noir Gargantua et on nous explique que chaque heure passée sur cette planète couverte d'eau correspond à 7 ans passés sur Terre. Au moment où ils y posent le pied, la musique démarre. Outre la puissance phénoménale de cette composition "Mountains", la musique est accompagnée de "tics" réguliers, tels un compte à rebours. Chaque "tic" correspond en fait exactement au passage d'une journée sur Terre. La musique comme élément du scénario. Revoir la scène en ayant connaissance de cette information change la donne. Frissons garantis.
Le temps. C'est le thème obsessionnel de Nolan. Il apparaît partout dans sa filmographie (parfois de façon évidente comme dans Inception, où encore comme principe de base du montage dans Memento) et atteint son paroxysme avec Interstellar, car Nolan fait alors avec le temps tout ce qu'il est imaginable de faire avec. Dans la mise en scène, on a le droit à la totale : flashbacks, réalités parallèles montrées simultanément ou alternativement, espaces-temps superposés même. Dans le scénario bien évidemment, en utilisant l'une des propriétés les plus folles du temps : la relativité d'Einstein. Dans l'émotion : la nostalgie du temps qui passe, les regrets liés au temps qui s'échappe, le temps qu'on ne peut pas rattraper ni remonter. Le temps, le temps, et encore le temps.
Fait encore plus intéressant : le temps est brillamment utilisé dans le montage d'Interstellar et, à chaque fois que je vois le film, je suis subjugué par la manière intelligente avec laquelle le montage a été fait. C'est d'ailleurs ce qui fait une grande force du film et qui le rend aussi jubilatoire à regarder : le film ne perd jamais de temps. Les ellipses sont nombreuses et toujours utilisées à bon escient et bon sang, que c'est rafraichissant ! Un exemple pour illustrer mon propos. Entre le moment où Cooper apprend l'existence d'une navette et celui où il décolle, il se passe très peu de temps. Là où la plupart des films du genre auraient passé une bonne demi-heure à s'attarder sur la préparation de Cooper, sur la logistique du décollage, sur tous ces trucs inutiles et chiants au possible, Nolan nous pond une ellipse brutale mais efficace. On ne prend même pas le temps de voir Cooper enfiler sa combinaison et monter dans la navette, non ! Cooper dit qu'il participe à la mission ? Bam, le voilà dans le cockpit, et il décolle. L'effet est saisissant. Le spectateur à l'impression de rentrer directement dans le cœur de l'action, de vivre l'urgence avec les personnages. À la place des préparatifs du décollage, Christopher Nolan a ainsi le temps de prendre plusieurs minutes pour creuser la relation père-fille avec des adieux déchirants, apportant alors à Cooper une plus grande profondeur.
Le film regorge d'idées similaires et l'impact est incroyable. Par exemple, lorsqu'il s'agit d'aller sur la planète Miller, ça ne traîne pas ! Une fois la décision prise de se rendre sur celle-ci, la navette se pose sur l'eau quelques secondes plus tard. C'est si simple que ça. On peut aussi faire référence à la fin du film, lorsque Cooper est repêché au milieu du cosmos par les êtres en 5 dimensions. Il aperçoit le vaisseau venu pour le secourir et BAM, une seconde plus tard, le voilà allongé dans un lit. C'est prodigieux.
Finissons avec l'aspect le plus présent dans les débats qu'on peut lire partout sur Interstellar : l'aspect réaliste de la physique utilisée dans le film. Au risque de vous surprendre, je trouve que cet aspect est d'une importance dérisoire. Même si la physique du film est basée sur des théories scientifiques précises, nous parlons tout de même de cinéma et de science-fiction. Ce film n'a pas vocation à être un documentaire et, même s'il prend plaisir à nous montrer qu'il s'appuie sur des théories valables, il n'en reste pas moins... un film... de science-fiction. Alors pourquoi les gens prennent-ils tant à cœur ce sujet ? Pour titiller la bête, probablement.
Bien sûr, qu'Interstellar comporte des incohérences ! Bien sûr que cette bibliothèque, c'est un délire scénaristique et cinématographique. Mais Nolan laisse un peu de place à notre imagination, à notre âme d'enfant émerveillé. Oui, le trou de ver ne devrait pas agir de la sorte. Cependant, la représentation du trou de ver dans ce film est une proposition nouvelle et jamais vue auparavant, avec un visuel très fort ; cette navette qui longe la frontière entre les deux univers puis qui vient percuter l'un d'entre eux, cette vision de l'espace complètement tordu et retourné (qui est le principe même du trou de ver) : c'est visuellement percutant et inédit. Cette scène est tout simplement hallucinante. Le cinéma, c'est aussi nous faire rêver. En exagérant volontairement les données pour accentuer le principe d'Einstein, Nolan nous fait rêver. Et ça, beaucoup l'ont oublié. Le cinéma est un spectacle avant tout ; une exagération de la vie.
Quant à la fameuse bibliothèque, parlons-en. Combien de fois ai-je lu "Oh la la, Cooper tombe dans une bibliothèque en 5 dimensions, ce n'est pas cohérent ! Normalement quand tu tombes dans un trou noir, tu te désintègres en moins d'une seconde !". Attention à ne pas désintégrer votre imagination et voyez plus loin ! Nous sommes des êtres en 4 dimensions et le film nous parle de personnes en 5 dimensions, on ne peut donc pas les comprendre. Les interprétations pour cette fin sont multiples. La plus évidente serait de considérer qu'en entrant dans le trou noir, Cooper devient un être en 5 dimensions et réalise alors que "les autres", ces "êtres" qui sont évoqués pendant tout le film, ne sont pas des extraterrestres, mais le fruit de l'évolution des êtres humains. La 5e dimension (temporelle) leur permet de jouer sur le temps afin d'aider l'humanité à s'en sortir. A son échelle, Cooper se sert de la gravité (qui transcende le temps et les dimensions) pour donner les éléments qui permettront à sa fille de résoudre l'équation ultime et de sauver l'espèce humaine.
Cette théorie est très belle, même si elle contredit un fait indiscutable : un homme qui entre dans un trou noir devrait être écrabouillé sur-le-champ. Voici donc une autre interprétation que je n'ai jamais lue ailleurs : pourquoi Cooper ne serait-il pas mort ? Pourquoi la bibliothèque ne serait-elle pas uniquement la représentation de son esprit ? On peut envisager que l'esprit de Cooper passe d'un monde en 3 dimensions à un monde en 5 dimensions, et que c'est la mort qui crée ce passage. Ca aurait d'ailleurs beaucoup de sens. Ne peut-on pas voir la mort comme un ultime trou de ver permettant de traverser les dimensions au-delà de l'espace-temps ? Je vous rappelle que lorsque la pression du trou noir devient trop forte, Cooper est amené à s'éjecter hors du vaisseau. De là dire qu'il s'agit en fait de l'éjection de son esprit hors de son corps qui explose, il n'y a qu'un pas.
Imaginez, cherchez votre explication, et rêvez, mais ne restez pas trop terre-à-terre avec ce genre de films. C'est du cinéma. Un vecteur d'émotion.
Bref, j'ai dit tout ce que j'avais à dire sur Interstellar. Mon propos final, c'est qu'avant d'être un film prônant la science, Interstellar prône l'émotion. Une fois qu'on l'a compris, on en ressort époustouflé.
Pour + de Nolan :
N'hésitez pas à commenter un peu plus bas pour partager votre ressenti sur le film, ou à aller voir mes tops cinéma dans lesquels Interstellar figure évidemment !