Ca fait déjà plusieurs mois que je suis Kheiron en tant qu'humoriste, notamment à travers ses centaines d'extraits Youtube de son spectacle "60 minutes avec Kheiron" basé sur une impro totale et que je vous conseille vivement de découvrir, et je ne compte plus les heures de rire passées devant son sens de l'improvisation et son humour politiquement incorrect savoureux. L'artiste franco-iranien ayant commencé à percer - si je ne me trompe pas - dans la série Bref, il semble s'affirmer maintenant de plus en plus au cinéma et c'est donc curieux que j'ai lancé Nous trois ou rien, le premier film qu'il a réalisé.
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Je n'en attendais rien de spécial et j'ai été agréablement surpris. Nous trois ou rien raconte l'histoire du père de Kheiron, Hibat Tabib, militant pour la démocratie contre le shah en Iran dans les années 70. Kheiron incarne donc son propre père, et c'est Leïla Bekthi qui tient le rôle de sa mère Fereshteh. Même si le casting m'effrayait un peu au départ, ayant des préjugés négatifs sur Leïla Bekhti depuis que j'ai vu - ou plutôt subi - Tout ce qui brille il y a quelques années, je dois bien admettre que ce film m'a fait changer d'avis sur elle. Elle est impeccable d'un bout à l'autre avec un mélange de douceur et de force qui font de ce personnage la femme admirable et courageuse que Kheiron a voulu montrer. De même, Gérard Darmon et Zabou Breitman brillent à chacune de leurs apparitions, à la fois drôles et émouvants, incarnant le soutien inconditionnel que tout parent devrait apporter à son enfant.
Évidemment, la démarche du cinéaste est touchante, louable, et il parvient à partager avec le spectateur son admiration pour ses parents et pour leur lutte. Parfois, cependant, le film sombre un peu trop dans le "gentillet", et c'est plus ou moins le seul reproche qu'on pourrait faire au film. Au bout d'un moment, cette accumulation de personnages héroïques aux comportements parfaits apporte une légère mièvrerie à l'ensemble, même si cette intention est compréhensible de la part du réalisateur qui livre ici des choses très personnelles. Il n'en demeure pas moins que Nous trois ou rien ne tombe jamais dans le pathos ni dans le ridicule et que la plupart des séquences sonnent juste, formant une sorte de feel good movie au ton résolument sérieux. Un film hybride, en quelque sorte, qui traite d'une histoire dramatique avec, paradoxalement, une agréable légèreté. Nous trois ou rien est assez délicieux à regarder, il faut bien le dire, car il alterne les moments d'émotion inoubliables et les passages humoristiques très réussis.
L'humour fait toujours mouche. Enfin... presque. Si j'ai beaucoup ri en regardant le film, notamment grâce à l'utilisation ingénieuse du phrasé d'Alexandre Astier (surprenant et irrésistible dans le rôle du shah) ou les situations absurdes parfois très drôles, il y a quand même un élément qui m'a agacé. Je ne sais pas si c'est à cause de l'actrice que je n'apprécie guère ou si c'est à cause de leur écriture foireuse, mais tous les passages incluant Farida Ouchani ont été pour moi très gênants à regarder. Outre l'interprétation de cette actrice que j'ai trouvée extrêmement mauvaise, c'est surtout l'aspect un peu bêbête et cliché du personnage qui ne comprend rien au monde qui l'entoure qui m'a passablement gonflé. Fort heureusement, ce personnage très secondaire n'est que peu visible à l'écran. Mis à part cette erreur de casting (ou d'écriture, au choix), j'ai trouvé l'ensemble du casting merveilleux, que ce soit par la présence de Kyan Khojandi, Khereddine Ennasri, Arsène Mosca, ou encore Jonathan Cohen.
De plus, j'ai été agréablement surpris par la qualité de la réalisation et du montage de Nous trois ou rien, qui m'a plusieurs fois pris par les sentiments ou tout simplement bluffé par son inventivité. La narration est fluide, claire et concise ; les situations sont toujours présentées rapidement et il n'y a pas de dialogues "en trop", comme on le voit parfois trop souvent dans le cinéma français. Certaines séquences m'ont abasourdi car je ne les attendais absolument pas, comme ce passage musical incroyable sur fond de "Opening" de Philip Glass. Ecoutant assez souvent cette musique, je me suis souvent fait des réflexions du genre "Pourquoi cette merveilleuse musique n'est-elle pas utilisée au cinéma ?". Kheiron l'a fait, ça m'a laissé bouche bée. D'autant plus que la séquence est incroyable, avec un montage qui m'a rappelé les grandes scènes à la Mommy ou Six Feet Under. C'était brillant.
J'en profite par ailleurs pour signaler que la BO du film est folle, que ce soit avec cette utilisation de Philip Glass - idée de génie - qu'avec la présence de la musique "Mir-e Nowruz" d'Ahmad Ali Rezayi, chanson magnifique qui semble d'ailleurs chère au coeur de Kheiron puisqu'elle sert également de conclusion à ses spectacles.
Pour conclure sur les points positifs, je retiendrai très longtemps une fulgurance (de montage, encore) qui m'a pris aux tripes. Il s'agit du moment où Hibat pleure parce qu'Aziz est hospitalisé. Le personnage a alors un flash - qui dure à peine quelques secondes - d'Aziz heureux en train de se faire porter par la foule. J'ai trouvé ce moment parfait. Il résume toute la tristesse du moment, la nostalgie du personnage, et accentue l'émotion sans un seul mot. C'était habile et inattendu, et ce sont toutes ces petites choses qui font de Nous trois ou rien un film unique en son genre et plutôt maîtrisé.
En résumé, le film de Kheiron est touchant, superbement interprété par un panel d'acteurs tous aussi brillants les uns que les autres. L'avalanche de bons sentiments est parfois trop forte, malheureusement, mais il est difficile d'en vouloir au cinéaste qui a clairement mis tout son coeur et toutes ses tripes dans le récit de cette histoire de famille. Le film est d'autant plus respectable que son propos politique est appuyé par un montage parfois malin et une réalisation assez inattendue de la part de l'humoriste qui, à la base, est plutôt spécialiste de la scène. Je recommande donc ce film et c'est presque à contre-coeur que je ne le placerai pas dans mon top 300, car il reste parfois légèrement trop sage et manque à mon goût de scènes véritablement crues.