Je l'ai enfin vu et je l'ai adoré. Matrix Resurrections n'est clairement pas fait pour plaire à tout le monde et c'est d'ailleurs l'objectif assumé de Lana Wachowski avec ce 4e volet. Dans la pure tradition de la saga et de ce qui a fait son succès, Matrix 4 est un mindfuck total et, mieux que ça, c'est un fuck tout court. Il est à l'opposé de tout ce qu'on aurait pu en attendre, et c'est finalement assez logique. Complètement déstabilisant, ce nouvel opus est à mon goût une réelle réussite, même s'il est entaché de quelques défauts.
Si vous n'avez pas vu le film, je vous déconseille la lecture de cet article qui en spoilera l'intégralité. Par ailleurs, je pense qu'il est préférable d'aller voir Matrix Resurrections sans en connaître le synopsis et les bandes-annonces.
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L'idée d'une suite
C'est parti, donc, pour une petite critique de Matrix 4. Je n'aurais jamais pensé écrire ces mots un jour puisque les soeurs Wachowski ont toujours affirmé que la trilogie Matrix resterait close. Quelles ont été les motivations derrière ce 4e volet ? Là-dessus, les choses ne sont pas claires. Par ailleurs, j'ai beaucoup de difficultés, dans cet article, à articuler ma pensée afin qu'elle traduise exactement ce que j'ai pensé de Matrix Resurrections. Bizarrement, l'idée d'une suite à la trilogie m'a immédiatement plue, dès que j'en ai entendu parler il y a plusieurs mois. Habituellement, je suis farouchement contre l'idée de faire des suites 20 ans plus tard, notamment sur les trilogies à succès. Par exemple, je suis ravi que Robert Zemeckis ait toujours lutté pour ne pas sortir de Retour vers le futur 4. Et puis, il suffit de voir ce qu'il s'est passé pour Indiana Jones 4, Die Hard 4, Jurassic World, Pirates des Caraïbes 4, pour se rendre compte que c'est souvent une très mauvaise idée.
Malgré tout, voir sortir Matrix 4 m'a séduit tout de suite. La raison principale : voir une Wachowski aux commandes du projet. Je ne suis pas un fan hardcore de leur travail. Même si je voue un culte à la trilogie Matrix et à Cloud Atlas, j'ai détesté Jupiter Ascending que j'ai trouvé grotesque, et je n'ai pas vu leurs autres oeuvres (Bound, Speed Racer et Sense 8). Cependant, je suis fasciné par leur imagination débordante et leur volonté de ne pas rendre leurs films trop accessibles. Scénaristiquement, leur travail est généralement solide - du moins, la trilogie Matrix reste pour moi une référence en terme d'écriture - et il ne faut pas oublier qu'elles sont à l'origine du scénario de V pour Vendetta. Bref, même si Lilly Wachowski n'a pas souhaité se joindre au projet, j'avais une confiance aveugle en Lana Wachowski pour faire de Matrix 4 une oeuvre déstabilisante, à contre-pied de ce qu'on aurait pu en attendre. Et c'est exactement ce qu'il se passe avec ce film : j'ai passé 2h30 à me demander ce que je regardais, sans jamais savoir où l'histoire voulait aller. A l'apparition du générique final, je ne savais pas si j'avais compris, je ne savais pas si j'avais aimé. Mon sentiment était plus du côté de la fascination et de l'exaltation. Putain, que c'est bon de voir ça au cinéma de nos jours, à l'ère d'un MCU qui contrôle les masses de spectateurs et ressortant constamment la même bouillie infâme.
Les motivations de Lana Wachowski ne sont pas claires pour Matrix Resurrections. Visiblement, c'est la mort récente de ses parents qui l'ont décidée à sortir une suite à la mythique trilogie. Dans son processus de deuil, l'idée de ressusciter des personnages enterrés depuis 18 ans lui a fait du bien, et je trouve cette démarche parfaitement compréhensible. D'ailleurs, le film est dédié à ses parents dans le générique final. Cependant, il est question dans la première demie-heure du film d'une seconde théorie selon laquelle Warner Bros lui aurait forcé la main pour rempiler, sous peine de lancer Matrix 4 sans elle. Je ne sais pas à quel point cet élément du film correspond à la réalité, mais si c'est bien le cas, alors Lana Wachoswki leur a sorti un merveilleux doigt d'honneur avec ce 4e volet.
De toutes façons, et quand bien même cet aspect serait purement fictionnel, la réalisatrice vient de balancer un énorme doigt d'honneur à une grande majorité du public, notamment les consommateurs de produits Marvel dont le film se moque frontalement. Même si ma salle de cinéma était presque vide lors de ma séance (une trentaine de personnes), il s'y est produit un phénomène qui m'a fait jubiler. En effet, au début de la séance, un groupe de jeunes s'est installé bruyamment dans la salle avec du popcorn. Ils ont tout simplement quitté la projection au bout d'une heure. Rien que ça, c'est révélateur du côté "fuck it" de Matrix 4, qui va à l'encontre de cette bouillie qu'attend parfois le public de nos jours.
Bref, comme il m'est difficile d'expliquer facilement ce qu'est ce 4e volet, je vais en parler en suivant une liste évoquée dans le film lui-même, lorsque les personnages se posent la question suivante : "Matrix, c'est quoi ?".
Un mindfuck antisystème
Le plaisir d'être pris à contre-pied : voilà ce que j'ai ressenti dès l'ouverture de Matrix 4. Il y a cette merveilleuse sensation d'être surpris à chaque scène et de ne jamais savoir où le film se dirige. Je me répète : ça fait un bien fou. Matrix poursuit ce qu'il a toujours fait : aller à l'encontre de ce que le public attend. Je me rappelle encore de l'époque où Matrix Reloaded est sorti et où les masses de spectateurs se rendaient déjà au cinéma en pensant voir une classique suite de film d'action bourrin. Chacun d'entre eux espérait en prendre plein les yeux, mais Matrix Reloaded a contrecarré le public en lui explosant plutôt le cerveau, et en allant à l'opposé de tout ce qu'il attendait. C'était complètement dingue, et c'est pourquoi Matrix Reloaded reste pour moi le meilleur de la trilogie. Il a repoussé les limites en détruisant les codes habituels de la narration et du principe de "suite" au cinéma.
Matrix Resurrections fait précisément la même chose, et il y a d'ailleurs un côté foutage de gueule tout à fait jouissif dans ce film. C'est un peu comme si Lana Wachoswki nous disait "il y a 18 ans, on vous a montré ce qu'il était possible de faire à vos cerveaux avec Matrix Reloaded. Depuis, vous avez été à nouveau abrutis par des superproductions bas de gamme (MCU) et vous êtes redevenus des moutons. Voilà donc Matrix Resurrections". Le film ne démarre pas comme on aurait pu le deviner. Ce n'est ni un préquel, ni une réelle suite, ni un reboot ou un reload. C'est plutôt une mise en abyme assez intelligente qui vient nous retourner la tête une fois de plus. L'idée de Matrix Resurrections est géniale : nous entrons dans un monde où la trilogie Matrix existe en tant que jeu vidéo. La culture Matrix est donc intégrée directement au scénario du film et on nous fait croire que Thomas Anderson n'est finalement que le concepteur de ce jeu. Puis, petit à petit, le spectateur se rassure en réalisant que ce Thomas Anderson évolue lui-même dans une autre version de la Matrice. Il va alors devoir à nouveau réintégrer le monde réel pour connaître la vérité. Matrix Resurrections aurait presque pu s'appeler Matriception tant le concept des mondes imbriqués est parfaitement introduit dans ce film.
En plus de cette idée de départ complètement folle et inattendue, le film prend un malin plaisir à se foutre de la gueule du système de superproductions actuel, en dénonçant à la fois les dérives des sagas de type Marvel (à travers le personnage du Mérovingien, complètement délirant dans ce volet) et la vision qu'ont les spectateurs de Matrix. Les personnages se posent effectivement la question en début de film : pour les gens, c'est quoi, Matrix ? Les réponses fusent : c'est un film qui retourne le cerveau, c'est un film où ça flingue et ça envoie des effets spéciaux (le bullet time), c'est une allégorie transgenre, c'est de l'émotion, etc.
Matrix 4, quant à lui, sera finalement le film de la nostalgie. J'ai absolument adoré les références aux trois premiers volets, avec des images pseudo-subliminales qui viennent s'intégrer au récit. Pour un spectateur comme moi, extrêmement sensible à la nostalgie, ces parallèles effectués entre ce volet et les 3 précédents ont eu le plus bel effet. Cependant, Matrix, est-ce seulement un mindfuck qui se moque des moutons ?
Les effets visuels et le bullet time
Et bien non, bien sûr, ce n'est pas que ça. Matrix, et Lana Wachowski ne l'oublie pas dans ce Resurrections, c'est aussi un univers visuel et des effets spéciaux subversifs. De ce côté, j'admets que le côté visuel m'a légèrement déçu. Même si le film regorge de scènes d'une beauté époustouflante (je parle notamment de l'affrontement final complètement dingue avec notamment un plan à moto qui m'a mis dans étoiles dans les yeux), j'ai été assez désarçonné par la qualité visuelle de Matrix 4. A mon goût, on est bien loin de la précédente trilogie en terme d'innovation et d'inventivité, et je trouve que ça pêche un peu. J'ai clairement ressenti que ce 4e volet était un bon cran en-dessous et ça m'a parfois gêné. Le combat entre Morpheus et Neo, pour ne parler que de lui, est assez moche et pas très bien chorégraphié. On est à des années-lumières du combat qui les opposait dans le premier Matrix, où les prises de vue, les temps morts et les mouvements de caméra étaient réellement subversifs et bluffants. Dans Matrix Resurrections, le montage est parfois trop sec et la réalisation fait souvent défaut (j'ai trouvé l'action parfois illisible alors qu'elle était propre et spectaculaire dans la trilogie). Ici, aucune scène ne m'a semblé mémorable visuellement. Enfin, presque.
Car, mine de rien, les scènes de bullet time m'ont marqué. Encore une fois, Lana Wachowski se moque de son propre concept en détournant le bullet time astucieusement. Plusieurs séquences montrent des personnages évoluant dans des temporalités différentes et je les ai trouvées magnifiques, mais loin d'être innovantes malgré tout. La scène lors de laquelle Neo se met à courir au ralenti pour arrêter une balle tirée vers Trinity, contrebalancée par le personnage de Neil Patrick Harris qui marche et parle à vitesse normale, m'a franchement fait jubiler sur mon siège. Encore une fois, on peut presque entendre Lana Wachoswki nous glisser à l'oreille : "Vous savez, votre bullet time... et bien voilà ce que j'en fais". C'est brillant.
L'allégorie transgenre et l'émotion
Beaucoup ont partagé cette théorie pendant presque une décennie : Matrix serait une métaphore du changement, notamment depuis que les Wachoswki ont déclaré être des femmes et ont effectué leur changement de sexe (en 2012 pour Lana et 2016 pour Lilly). Matrix Resurrections intègre également cette théorie à son scénario puisqu'il est évident que ce film met les femmes à l'honneur en inversant certains rôles masculins et féminins. Ce n'est plus un homme qui est à l'origine de la rebellion mais une femme (Bugs, jouée par Jessica Henwick). Ce n'est plus un homme qui joue le rôle du capitaine réfractaire aux idées de Neo, mais Niobé. Et surtout, ce n'est plus Neo qui fait office ici d'Elu, c'est bien Trinity. J'ai beaucoup aimé cette dernière inversion, notamment à la fin du film où on comprend finalement que c'est Trinity qui jouera le rôle décisif de cette histoire.
Et là, je dois parler d'émotion, car Matrix Resurrections n'en est pas non plus dépourvu. La fin du film m'a profondément ému et une fois de plus, je ne m'y attendais pas. Les retrouvailles entre Neo et Trinity m'ont bouleversé et c'est réellement avec Matrix 4 (et non avec la trilogie) que j'ai compris à quel point ce couple de cinéma était un couple inconique et puissant. On croit définitivement à cette union magnifique entre les deux personnages, et la nostalgie a opéré une fois de plus sur moi. Cette idée que deux êtres soient si liés qu'ils ne pourront jamais se séparer, et que leurs chemins finiront toujours par se retrouver d'une manière ou d'une autre, est sublime. La scène lors de laquelle ils échappent aux hélicoptères et se retrouvent face au soleil, puis sautent dans le vide est une merveille. Visuellement époustouflante et, surtout, magnifiquement accompagnée par la musique. J'en ai encore des frissons.
La musique
Je vais terminer par cet aspect du film, parce qu'on en parle assez peu, mais j'ai adoré la musique dans Matrix Resurrections. J'ai apprécié d'une part les références aux précédentes compositions de Don Davis, qui ponctuent certaines scènes d'une aura nostalgique puissante, et d'autre part les nouvelles musiques de Johnny Klimek et Tom Tykwer (qui a déjà travaillé avec les Wachowski sur Cloud Atlas en tant que réalisateur et compositeur). Le côté cyberpunk est toujours ultra-présent, mais on découvre également de nouvelles mélodies plus douces et plus nostalgiques qui m'ont franchement plues. Il y a tout d'abord la musique du trailer 'White Rabbit", que j'ai adoré redécouvrir dans le film et qui apporte un côté humoristique. Car, au-delà de tout ça, Matrix 4 s'amuse et nous amuse avec ses codes, et j'ai profondément adoré l'humour proposé. Toute la séquence avec Lambert Wilson est fun à souhaits, dans sa volonté de tirer sur Marvel. J'ai aussi éclaté de rire comme un con lorsque Neo tente de s'envoler sans succès, et qu'il ponctue son échec d'un petit "Ouais, non, ça va pas le faire". Encore une fois, Lana Wachoswki se moque de ses propres codes et c'est jouissif. Et puis bon, j'en parlerai bientôt plus en détails sur le blog, mais Keanu Reeves est un bijou.
Niveau musique, j'ai aussi apprécié My Dream Ended Here que, je pense, je vais me repasser un moment. C'est une merveille d'émotion, de nostalgie inexplicable et, rien que pour ça, je ne peux pas laisser dire que Matrix 4 est musicalement pauvre, comme je l'ai parfois entendu ici et là. Je ne résiste pas à mettre cette musique ici, elle est magistrale.
Pour conclure, j'ai trouvé Matrix Resurrections moins prenant et moins important que les trois premiers volets, en ce sens qu'il peut tout à fait disparaître sans détruire la saga. Mais c'est par ailleurs la volonté de Lana Wachowski donc cette faiblesse est paradoxalement une force. Il me semble plus anecdotique et moins fort philosophiquement, et quelques défauts (réalisation, rythme, chorégraphies des combats) m'empêchent de le placer dans mon top 300. 2h30, c'est à mon goût trop long et je pense que le film aurait été parfait sur 2h.
Cependant, je l'ai trouvé merveilleux par bien des aspects, et cette critique n'est qu'une critique "à chaud" après un unique visionnage. Il est évident que chaque film de la saga Matrix nécessite 2, 3, 4 visionnages pour être parfaitement assimilé et il n'est donc pas impossible qu'au fil du temps, toutes les qualités novatrices et "what the fuck" du scénario prennent le dessus et finissent par en faire un film culte, au même titre que les trois autres. Matrix 4 fut stimulant, déstabilisant, cool et inattendu. C'est déjà bien plus que ce que la plupart des films nous proposent depuis 20 ans.