Nocturnal Animals est un thriller réalisé par Tom Ford, extrêmement bien interprété et au montage plutôt malin. J'avais hésité longuement à aller le voir au cinéma en 2016 et je regrette de ne pas l'avoir fait. Dans cet article, je vais commencer par une critique du film assez détaillée (sans pour autant révéler les points cruciaux du récit), pour ensuite enchaîner sur mon interprétation de la fin du film en full spoiler.
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Critique
Le film s'ouvre avec un générique des plus perturbants qui annonce d'office le ton du film. Avec cette atmosphère à la David Lynch, Tom Ford capte notre attention dès les premières secondes pour mieux nous emmener dans son univers. Nocturnal Animals, c'est l'histoire de Susan (Amy Adams), une femme qui profite de l'absence de son compagnon pour lire le roman de son ex-mari Edward (Jake Gyllenhaal, dont elle n'a pas de nouvelles depuis plusieurs années), qu'elle reçoit chez elle un jour par surprise. Constatant que le livre lui est dédié, elle va devoir replonger dans son passé douloureux pour comprendre le lien qui existe entre ce roman et sa vie. Le génie de Nocturnal Animals est d'entremêler - généralement sans transitions, ou de manière floue - trois temporalités différentes. Premièrement, on suit le présent de Susan, dans lequel elle est plongée dans la lecture du fameux roman. D'autre part, plusieurs scènes évoquent son passé, 20 ans plus tôt, alors qu'elle était mariée à Edward. Enfin, une troisième timeline nous montre la fiction relatée dans le roman, au fur et à mesure que Susan en parcourt les lignes.
Un jeu s'opère alors pour le spectateur, qui doit reconstituer le puzzle afin de comprendre comment ces trois histoires s'imbriquent les unes dans les autres. Il faut effectivement être bien concentré pour suivre correctement le déroulement des événements, le montage du film s'avérant extrêmement astucieux à de nombreuses reprises. Clairement, la partie la plus passionnante, qui est d'ailleurs le cœur du film, réside dans l'intrigue du roman, qu'on découvre en même temps que Susan. Tom Ford a eu l'excellente idée de prendre Jake Gyllenhaal pour jouer les deux rôles (celui d'Edward dans la vie "réelle", et celui de Tony Hastings dans le roman). Ceci est une interprétation de Susan qui, dès les premières lignes, comprend que le personnage du roman fait référence à l'écrivain lui-même et, donc, qu'il existe une sorte de connexion autobiographique entre les deux.
Sans rentrer dans les détails, j'ai adoré l'atmosphère de tension permanente qui règne dans ce film ou, disons plutôt, dans le film à l'intérieur du film. L'intrigue centrée sur Tony Hastings permet à Nocturnal Animals (titre du film mais aussi du roman) de former une magnifique mise en abyme. Toute la partie sur l'autoroute est absolument glaçante, grâce notamment à Jake Gyllenhaal qui apporte à son personnage une incroyable détresse, mais surtout grâce à Aaron Taylor-Johnson qui livre une performance terrifiante. Globalement, l'ensemble du casting s'en sort à merveille. J'ai été ravi de retrouver Michael Shannon, que je n'avais pas vu depuis un bout de temps et dont chacune des apparitions est un véritable bonheur. Il incarne ce flic cancéreux avec une grande force, à la fois malicieux et taciturne, et je trouve cet acteur réellement dingue.
Qui plus est, plus le film avance et plus le côté thriller haletant et tendu se transforme en drame poignant dans les trois temporalités. A mesure qu'on devine les liens qui existent entre ces trois histoires, le spectateur ne tient plus en place jusqu'à la conclusion aussi mystérieuse que subtile. Bref, je ne peux pas en dire plus mais Nocturnal Animals est envoûtant, superbement interprété et il est difficile d'en détourner son attention. Que ce soit par les musiques stressantes, le choix des couleurs et bien évidemment, la narration énigmatique, le film est fascinant et extrêmement agréable à suivre. Et au milieu de tout ça, Tom Ford nous glisse également une belle critique du monde de la bourgeoisie et du luxe, qui snobent ceux qui sont considérés comme "faibles". Voir le personnage d'Amy Adams arborer pendant tout le film ce regard triste évoqué par Edward (qu'elle exploitait déjà à merveille dans Premier Contact) traduit à la perfection l'idée que son personnage meurt à petit feu. Un petit chef d’œuvre.
Interprétation
Il est difficile de parler davantage de ce film sans le spoiler, je vais donc poursuivre en partageant mon point de vue sur la fin du film qui m'a beaucoup interrogé. Il ne faut donc pas poursuivre votre lecture si vous ne l'avez pas vue. Je tiens à signaler que je n'ai absolument pas lu le roman Tony and Susan dont le film est une adaptation, je ne m'appuierai donc que sur le film pour tirer mes conclusions. Si des lecteurs du roman veulent m'éclairer de leurs lumières en commentaires, j'en serai ravi.
A la fin du film, on apprend plusieurs choses qui m'ont complètement surpris. Tout d'abord, on réalise que le roman n'est qu'une métaphore de la perte subie par Edward lorsque Susan l'a quitté 20 ans plus tôt. Par l'intermédiaire d'un flashback, on apprend en effet que Susan s'est faite avorter d'Edward et que celui-ci le découvre alors qu'elle est dans les bras de son amant. Selon moi, le meurtre de la femme et de la fille de Tony Hastings (le personnage du roman) représente naturellement tout ce qu'Edward a perdu lorsque Susan est partie : sa femme, et son futur enfant. On peut parfaitement imaginer que, parallèlement à son alter ego du roman, qui décide de faire justice lui-même, Edward a un désir de vengeance. Susan, par ailleurs, s'interroge au beau milieu du film sur un panneau indiquant "REVENGE", comme un signe envoyé pour elle.
Ce n'est finalement qu'à la fin du film que cette vengeance prendra forme, lorsqu'Edward décide d'organiser une rencontre avec Susan au restaurant, pour finalement lui poser un lapin. En plus de lui montrer qu'il n'a plus besoin d'elle, et qu'il a finalement réussi à écrire son roman alors qu'elle ne croyait pas en lui, il lui montre qu'il n'est pas une personne faible. Il lui fait également vivre l'enfer qu'il a probablement vécu suite à leur rupture ; le fait d'être rejeté par la personne qu'on aime - car, clairement, Susan retombe amoureuse d'Edward après la lecture du roman. Ainsi, c'est au tour de Susan de sombrer dans une forme de dépression, comme en témoignent ses larmes juste avant le générique final.
Cependant, après réflexion, cette interprétation assez évidente de la fin du film ne me convient pas. Il existe à mon avis une autre vision de cette fin, qui correspond davantage à la psychologie d'Edward et au destin funeste de Tony Hastings. Selon moi, Edward n'aurait pas été capable de faire souffrir Susan 20 ans plus tard. A quoi bon, après tout ? Pour une petite histoire de vengeance personnelle ? Non, je trouve que ça ne tient pas debout.
Personnellement, j'ai envie de croire qu'Edward finit par se suicider à la fin du film, plutôt que de se présenter au rendez-vous. Le film nous montre de manière évidente qu'avant même la rupture, Edward présentait des signes de dépression (le fait, par exemple, de ne pas être reconnu pour ses talents d'écriture, même par sa femme). A mon avis, le jour de sa rupture avec Susan signe pour lui une sorte d'arrêt de mort. Je trouve tout à fait révélateur le choix de ne jamais nous montrer Edward dans le temps présent. Tom Ford a choisi volontairement de ne montrer Edward qu'à travers les flashbacks et le personnage du roman. Il n'existe pas dans la troisième temporalité, à part dans les lignes qu'il a écrites.
J'imagine parfaitement un Edward tourmenté par ses démons, incapable de remonter la pente après sa séparation et la découverte de l'avortement. En l'espace de quelques jours, il a tout perdu, comme Tony Hastings. Par ailleurs, il est bon de remarquer que, lors de sa rupture, Edward se trouve à proximité d'une voiture verte (les couleurs ne sont pas là par hasard). Ce vert est extrêmement important, puisqu'on le retrouve par la suite sur les chaussures de Ray (Aaron Taylor-Johnson), l'agresseur du roman. Ce qui peut ne sembler qu'un détail ne l'est clairement pas, puisque Tom Ford prend soin, en début de film, d'effectuer un gros plan sur les chaussures vertes de Ray. Ray représente ainsi l'agression qu'Edward a subie lorsque Susan l'a quitté, et le souvenir douloureux de ce jour terrible.
Dans le roman d'Edward, Tony ne parvient pas à se débarrasser de Ray sans y laisser des plumes (un violent coup de pied de biche au visage, puis le suicide dans le désert). Il n'est pas stupide de penser que, dans la réalité, Edward n'a pu se débarrasser de ses pensées et de ses démons (la dépression post-rupture) qu'en se donnant la mort. Cela expliquerait également les larmes de Susan, qui comprend à la dernière seconde que l'amour de sa vie n'est plus là.
Bref, voilà donc mes deux interprétations de la fin de Nocturnal Animals et je serais vraiment ravi d'en débattre dans les commentaires. Je préfère la deuxième version, qui me semble coller davantage au personnage d'Edward et aux larmes finales de Susan.