Enfin, j'ai vu mon premier Kurosawa ! J'ai décidé de commencer par Rashōmon parce qu'il me fait clairement de l'œil depuis des années. Je m'en étais fait toute une montagne sans raison particulière, persuadé que je devais attendre "le bon moment" pour le voir. Fort heureusement, je me suis imposé son visionnage cette année en me fixant quelques objectifs... et j'ai bien fait !
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Ce film a permis au cinéma japonais de commencer à s'exporter à une époque où le Japon souhaitait justement s'occidentaliser, puisqu'il a remporté à la surprise générale plusieurs prix au début des années 50 (le Lion d'Or de Venise et un Oscar, tout de même !). Je ne vais pas refaire l'histoire du film car le cinéma de Kurosawa, en particulier Rashōmon, a été analysé des milliers de fois par des personnes plus compétentes que moi. Inutile donc de préciser que ce fut le premier réalisateur à oser pointer sa caméra directement sur le soleil dans un long-métrage, ou encore que Rashomon fut précurseur en terme de narration avec sa mécanique des points de vue multiples.
Je tenais surtout à faire cet article pour ceux qui n'auraient pas encore découvert Rashōmon et qui, comme moi, laissent traîner ça depuis trop longtemps. Je vous encourage pleinement à voir ce film de 1h28, il est très accessible, ludique, et il vous interrogera de manière quasi philosophique sur l'être humain et ses vices. L'idée du film est simple : un meurtre a été commis dans la forêt, et plusieurs versions s'affrontent. Les témoins et éventuels auteurs du crime se succèdent au tribunal pour raconter leur version des faits et chacune est différente. Ainsi, le film nous présente pas moins de 4 récits différents, basés sur le même fait, que le spectateur aura plaisir à interpréter pour se faire sa propre idée.
J'ai particulièrement apprécié les décors très simples du film, car les scènes se déroulent en trois lieux seulement, correspondant à trois temporalités différentes. Nous avons tout d'abord un groupe de 3 hommes qui se protègent de la pluie sous un bâtiment en ruines. Deux d'entre eux relatent au troisième toutes les déclarations entendues au tribunal. J'ai adoré l'ambiance de ce décor, avec cette pluie battante qui oblige les protagonistes à poursuivre leur discussion. La pluie ne cessera pas tant qu'ils n'auront pas retrouvé, d'une manière ou d'une autre, foi en l'humanité.
Il y a bien sûr le lieu du meurtre ; une forêt magnifiquement filmée, où se déroulent sous nos yeux les différentes versions du crime. Puis, enfin, le tribunal, où chaque personnage décrit aux juges sa vision de l'histoire. On n'entendra jamais la voix des juges, un peu comme si les accusés et témoins assistaient à leur jugement dernier, dans le cadre d'un procès contre l'humanité toute entière.
Quant à elle, la narration est claire, limpide et j'ai adoré comme chacune des versions racontées s'appuie sur les éléments de la précédente, apportant à chaque fois davantage de détails et d'éléments clés (les flèches, le chapeau, le poignard). Le spectateur peut ainsi se faire un avis de plus en plus précis sur le meurtre, sans en savoir trop dès le début.
Cependant, outre la résolution de cette histoire criminelle, la grande force de ce film réside dans sa seconde lecture, bien plus subtile qu'il n'y parait. Le sujet principal du film est l'honneur ; honneur que chaque personnage essaie de conserver par ses mensonges. Rashōmon n'est pas un simple film d'enquête et d'énigmes. Il est surtout un brillant réquisitoire contre la perversité de l'être humain qui, coûte que coûte, orientera toujours ses paroles de façon à paraître plus respectable aux yeux des autres. La morale du film est par ailleurs assez déprimante : Rashōmon nous montre l'incapacité de l'être humain à se montrer totalement honnête. Il nous incite à la méfiance de l'autre, chaque parole prononcée n'étant qu'une version édulcorée de la vérité.
Bref, Rashōmon est magnifique autant par son propos que par sa photographie ; la lumière est exquise et le noir et blanc donne une grande force visuelle à ce film. Il faut le voir absolument.