J'avais hésité à aller voir Jane Got a Gun au cinéma en 2015 et, maintenant que je l'ai découvert, je regrette de ne pas avoir tenté l'expérience. Même si, semble-t-il, je suis à contre-courant de la critique sur ce film, j'en suis sorti incroyablement satisfait. Il a fait un flop monumental au box office, puis a été démonté par une grande partie du public (il n'y a qu'à jeter un oeil sur l'ensemble des commentaires postés sur Vodkaster pour s'en rendre compte ; c'est quasiment unanime). Seulement, je ne comprends pas cette déferlante de haine, là où j'ai pris un pied démentiel à suivre ce scénario bien plus malin qu'il en a l'air.
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Pour voir le jour, Jane Got a Gun a subi un nombre incalculable de déboires et je me demande même comment le film a pu se faire. Pour les détails, je vous conseille de lire l'article de Critiks Moviz qui fait un listing précis et chronologique de toutes les étapes par lesquelles le projet est passé. C'est assez dingue.
Je craignais de découvrir un western un peu faiblard comme on en voit beaucoup ces dernières années et, je l'avoue, je ne croyais pas en Natalie Portman pour assurer ce rôle de cow-girl. A tort. Jane Got a Gun, effectivement, n'est pas un western conventionnel (contrairement à ce que j'ai pu lire un peu partout) car il se base sur de nombreux éléments mélodramatiques. C'est d'ailleurs ce point qui a dérangé beaucoup de spectateurs, mais qui m'a personnellement plu dans le film. Il ne faut pas s'attendre à du Sergio Leone, c'est clair, car le duel de cow-boys à l'ancienne n'est pas le véritable sujet du film.
Malgré tout, le film de Gavin O'Connor (réalisateur que je ne connaissais pas du tout) emprunte quelques codes au genre, notamment sur le travail très soigné de la photographie. Jane Got a Gun m'en a mis plein la vue en terme d'ombres et de lumières et j'ai été relativement subjugué par la maîtrise de certains plans, qu'ils soient de jour, de nuit ou de crépuscule. L'idée de représenter les personnages par leurs silhouettes, notamment, est un classique du western que O'Connor utilise à merveille tout au long de ces 95 minutes (durée assez courte pour un western, par ailleurs, mais suffisante ici).
De même, les décors sont somptueux et j'ai aimé retrouver cette atmosphère délicieuse propre aux grands films de Leone. On ressent réellement la chaleur étouffante, mise en évidence par les paysages désertiques, le ton sépia et quelques jolis plans en contre-plongée. Certaines prises de vue rendent même hommage à l'allure de Clint Eastwood dans les années 60 ; un atout charme indéniable.
Mais parlons du scénario, puisque c'est vraisemblablement ce point qui est reproché au film. Le démarrage de Jane Got a Gun ne me laissait que peu d'espoirs sur la qualité du scénario, que j'espérais au minimum "convenable". En effet, l'utilisation de flashbacks a priori inutiles m'a clairement donné une mauvaise impression de départ. J'avais le sentiment que le film dévoilait trop en avance les enjeux dramatiques du personnage principal et qu'il y aurait peu de place au mystère.
Pourtant, et c'est sans doute là que le film m'a paru grandiose, le déroulement des événements m'a constamment surpris et, si on examine correctement la construction de la trame, on remarque que les révélations sont dosées à la perfection. Après avoir posé ses bases, Jane Got a Gun ne cesse de donner de la profondeur et du caractère aux personnages de l'intrigue et je me suis laissé saisir. Je ne sais pas si c'est le titre qui m'a induit en erreur, mais ce western présenté par certains comme "féministe" ne l'est pas tant que ça ; les hommes sont également au centre de cette histoire et j'ai adoré comme chaque scène nous permet, doucement mais sûrement, d'en savoir plus sur les relations qui lient tous les protagonistes. Plus le temps avance et plus les enjeux dramatiques s'imposent pour chaque personnage. Les flashbacks trouvent finalement leur utilité (mis à part certains, assez niais et mièvres, qui demeurent à mon goût le seul défaut du film) et on comprend au fur et à mesure les rancœurs et motivations de chacun.
Beaucoup ont reproché le nombre trop important de dialogues et de révélations dramatiques, contre trop peu de duels et de fusillades qui font la renommée du genre depuis plus d'un demi-siècle. C'est également un point de vue que je ne partage pas, pour la simple raison que Jane Got a Gun n'avait pas - je pense - vocation à imiter ses aînés. J'ai pris plaisir à découvrir que chaque personnage n'était pas tout noir ou tout blanc, et qu'ils pouvaient nous surprendre à tout moment en révélant ne pas être exactement ce qu'on attendait d'eux. Le film, d'ailleurs, est parfaitement résumé dans la séquence d'ouverture à travers le conte que Jane narre à sa fille. Tour à tour, le spectateur accuse chacun des protagonistes de ce triangle amoureux d'être "le méchant", rejetant la faute tantôt sur Dan, sur Bill, sur Jane. Et à chaque fois, cette faute est contrecarrée par un argument imparable qui, au final, permet de les disculper totalement. Non, vraiment, j'ai trouvé le scénario admirable et très bien pensé.
Même le "grand méchant" du film, incarné avec originalité par un Ewan McGregor toujours au sommet de son talent, aura son moment de lumière lors de l'une des scènes finales. Par ailleurs, Ewan McGregor est exquis d'un bout à l'autre. Il est loin de tous les bad guys sales et ignobles auxquels le western nous a habitués depuis 60 ans, et c'est un réel vent de fraîcheur au sein de ce film. Je ne me lasse pas de cet acteur magistral.
Pour conclure, je voudrais quand même ajouter que ce qui a été reproché au film - à savoir l'absence de temps forts et de vraies fusillades - est à mon goût infondé puisque, même sur ce plan, le film m'a entièrement conquis. La fusillade finale est selon moi une vraie merveille, notamment grâce à une musique savoureuse qui m'a complètement retourné les tripes. Une séquence mémorable, envoûtante et - j'ose le dire - sublime.
Bref, je ne comprends pas l'acharnement. Jane Got a Gun est brillamment interprété (Natalie Portman, bien évidemment, est très investie dans ce rôle), joliment filmé et cadré mais, surtout, intelligemment construit. Si on enlève les quelques scènes de flashback cul-cul qui m'ont, je l'admets, passablement gonflé et empêchent le film d'être un coup de cœur intégral, on est en présence d'un western efficace, déroutant et émouvant.