La maman et la putain - Version restaurée - Critique

La maman et la putain - Version restaurée - Critique

      Après toutes ces années à entendre parler de ce film très difficile à voir sinon en qualité médiocre sur Youtube, je m'étais toujours refusé de le découvrir tant que je n'en dénicherais pas une belle version. Il faut dire qu'on parle là d'un film de la Nouvelle Vague de près de 4h, et qu'il faut donc être sacrément motivé pour avoir envie de s'y lancer. L'occasion est enfin venue, puisque le film vient tout juste d'être restauré en version 4k pour une sortie nationale ce 8 juin 2022. Une chose est certaine : pouvoir enfin découvrir ce classique sur grand écran, presque 50 ans après sa première sortie (qui plus est, en qualité optimale) est un sacré événement dans le cinéma français.

Tags Critique analyse explication du film

     Même si le nombre de copies pour cette superbe remastérisation est décevant (environ 70 seulement sur toute la France), je vous invite fortement à vous rendre dans une salle de cinéma pour vous plonger dans ce film de 3h50 de Jean Eustache, car l'occasion est probablement unique. D'un point de vue purement visuel, le travail fourni pour obtenir le meilleur rendu possible est incroyable et je dois dire que j'ai été ébloui par la qualité de l'image. Rien à voir, en effet, avec ces extraits ou même cette version qu'on trouvait encore l'année dernière sur Youtube, et je suis ravi d'avoir été patient pour m'attaquer à La maman et la putain au moment adéquat. 

 

     Mais parlons du film en lui-même. Il est évident que pour les cinéphiles peu friands du style de la Nouvelle Vague, La maman et la putain apparaîtra comme un énorme supplice de quatre heures. Le visionnage est effectivement déconseillé à ceux et celles qui auront trouvé le temps long sur des films comme Vivre sa vie de Godard ou encore Ma nuit chez Maud de Rohmer, car La maman et la putain rassemble toutes les caractéristiques de ce type de cinéma : des scènes souvent tournées en extérieur, dans des décors réels tels que des cafés, des rues de Paris, ou encore dans des appartements parisiens. Les personnages passent le plus clair de leur temps à discuter et ne font aucune autre action, si ce n'est une embrassade par-ci, par-là.

 

     Le film n'est donc qu'un enchaînement ininterrompu de conversations entre les protagonistes, sans musique extradiégétique, et, pour certains, il peut donc vite devenir imbuvable. Par ailleurs, le jeu des acteurs est assez particulier et La maman et la putain respecte les codes du genre à la lettre : Jean-Pierre Léaud notamment semble constamment débiter un texte appris par cœur, récité à la virgule près. Il y a peu de place à l'émotion dans les dialogues qui sont prononcés de manière très monocorde, hormis à la toute fin du film où une tirade flamboyante viendra justifier (en partie) le fait d'avoir écouté parler des personnages pendant trois longues heures.

 

La maman et la putain - Version restaurée - Critique

      Cette succession de séquences, certains pourront les trouver anti-cinématographiques, tant la mise en scène est quelconque et n'apporte rien de particulier en terme de mouvements de caméra. On assiste la majeure partie du temps à de simples champs / contrechamps, parfois figés sur le personnage qui parle, parfois sur celui qui écoute. De temps à autres, un monologue est tourné en une seule prise et l'effet est alors à double tranchant pour le spectateur qui peut tout autant être hypnotisé par ce débit constant de paroles que sombrer dans l'ennui le plus total. Personnellement, La maman et la putain m'a passionné pendant une grosse moitié ; je n'ai pas vu passer les deux premières heures malgré l'immense vacuité des thèmes abordés. Les qualités visuelles et sonores ont beaucoup aidé, grâce à l'immensité de l'écran de la salle de cinéma, et je me demande si je serais parvenu au bout de ce film si je l'avais regardé dans de moins bonnes conditions. C'est principalement pour cette raison que je vous encourage à profiter de la sortie en salles pour vous plonger dans cette "intrigue" somme toute assez banale.

 

     Passées les deux premières heures, j'ai commencé à trouver le temps long et c'est essentiellement le charme fou de Bernadette Lafont qui m'a permis de ne jamais décrocher. Je ne la connaissais que de nom, mais elle apparait ici comme une incroyable comédienne, me rappelant parfois le naturel de Valérie Benguigui dans ses intonations et ses expressions. Les deux actrices ont d'ailleurs tristement disparu la même année. Malgré tout, la dernière heure du film m'a laissé plutôt froid et indifférent car je me suis rendu compte que cette interminable succession de conversations ne présentait finalement que peu d'intérêt, quel que soit le dénouement du film. L'évolution du triangle amoureux est plutôt classique et il est assez difficile de ressentir quoi que ce soit pour tous ces personnages qui, malgré leur inspiration quasiment autobiographique, ne semblent jamais ancrés dans le réel. Je le regrette beaucoup, mais la tirade finale ultra-dramatique m'a semblée totalement ridicule. Même si elle reste intemporelle et résonne particulièrement de nos jours à l'ère du féminisme, la scène est too much et j'ai eu le sentiment qu'elle ne servait finalement qu'à justifier le titre du film, Alexandre devant finalement faire un choix entre la "maman" et la "putain". 

 

     Ma seule réaction après ces 3h30 de dialogues et monologues basés sur des thèmes qui me passionnent très peu (globalement : le cul) aura malheureusement été la suivante : "tout ça pour ça ?". J'ai eu cette sensation assez gênante de voir une montagne accoucher d'une souris et je ne suis pas sûr d'avoir vraiment tiré quelque chose de ces quatre heures. Etaient-elles bien nécessaires ? Je pose la question, car à bien y réfléchir, il me semble que Ma nuit chez Maud parvient en moitié moins de temps à traiter 10 fois plus de thèmes bien plus intéressants que ceux évoqués dans La maman et la putain.

 

     Bref, j'ai passé un excellent moment, j'ai notamment adoré cette impression de m'être rendu au cinéma pendant les années 70, me délectant des conversations incessantes entre tous ces personnages et cette succulente diction parisienne propre à ces années-là, qu'on retrouve aujourd'hui avec émotion dans les documents de l'INA. J'ai aimé l'idée d'avoir partagé leurs vies au détour de quelques dialogues. J'ai également apprécié le fait que l'homme (Jean-Pierre Léaud), imbu de lui-même, ne sache faire autre chose que de s'écouter parler pendant la première moitié du film, pour laisser progressivement la parole à ses partenaires féminins qui peuvent enfin s'exprimer pleinement lors du dernier acte. Mais vraiment... quatre heures pour raconter ça ? Je ne pense pas retenter l'expérience un jour, même si elle m'a semblé globalement savoureuse.

 

 

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I
Coucou, merci pour ce beau partage! C'est très intéressant!
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S
Salut, pas de souci, je suppose que le film ne restera pas en salles très longtemps.