Pour poursuivre cette semaine consacrée aux années 60, j'ai souhaité découvrir Les Innocents, dont j'entends parler depuis très longtemps, probablement depuis que j'ai su qu'Amenábar avait été grandement inspiré par ce classique de Jack Clayton pour réaliser son film d'horreur Les Autres en 2001. A n'en pas douter, Les Innocents est un chef d'œuvre du cinéma fantastique à ne pas manquer. J'ai été ébloui par l'image, désorienté par le scénario et bluffé par le jeu des acteurs.
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Tout a déjà été dit sur le sujet ailleurs, dans diverses analyses facilement consultables sur le web et qui montrent à quel point Les Innocents a marqué le cinéma par son inventivité. Mon objectif ici sera donc simplement de vous donner envie de le (re)voir en quelques lignes et quelques images, sans trop en révéler. Il n'y aura aucun spoil majeur dans cet article, ni sur Les Innocents, ni sur Les Autres.
I/ Le scénario
Le scénario, signé notamment par Truman Capote et William Archibald, issu du roman Le tour d'écrou d'Henry James, est particulièrement malin. Le pitch est simple et peut aisément laisser penser que Les Innocents a aidé à poser les bases du film d'horreur moderne : une femme, Miss Giddens, accepte un poste de gouvernante dans une grande demeure. Chargée de s'occuper des enfants à l'aide de la nourrice Miss Grose, elle va commencer à voir apparaître des fantômes dans le manoir.
L'intrigue est palpitante et, surtout, extrêmement bien écrite et pensée. Le film peut se lire avec plusieurs interprétations, toutes aussi valables les unes que les autres, et c'est un tour de force. Le spectateur ne cessera de se demander si ces apparitions fantomatiques sont réelles ou simplement hallucinatoires, forcé de changer régulièrement d'avis selon les indices disséminés ici et là. En plus d'être un film d'épouvante pur et dur (certaines scènes sont vraiment flippantes, comme dans la 2e image ci-dessous où la situation a bien failli me glacer le sang), Les Innocents se veut aussi un drame psychologique dont les réponses ne seront pas toutes données, mais où la possibilité d'un traumatisme est à envisager. Ainsi, une grande place est laissée à l'imagination et il est agréable pour chacun de se forger sa propre théorie sur cette histoire et ce dénouement. Il est assez rare au cinéma de tomber sur des films qui soient aussi réussis dans leur double lecture et, à chaque fois que ça arrive, j'en suis ravi (ça n'a rien à voir, mais Take Shelter fut à mon goût l'exemple parfait du film qui oscille entre drame psychologique et film fantastique). Le scénario, d'ailleurs, est si cohérent qu'il intègre astucieusement le double sens du mot "innocent".
II/ Décors et personnages
Je comprends à présent en quoi Les Autres s'est inspiré des Innocents, notamment en terme de décors et de personnages. J'en donne quelques exemples en images ci-dessous mais j'aurais pu en choisir des dizaines d'autres tant le cadre, les personnages et l'ambiance sont similaires. Pas étonnant qu'Amenábar ait puisé ici son inspiration : Les Innocents propose des décors propices à l'épouvante (une grande demeure aux carrelages froids et à motifs, de grands escaliers de bois, mais également un immense jardin contenant un lac), tout comme des personnages parfaitement bien écrits. Les deux acteurs qui incarnent les enfants sont si brillants qu'ils m'ont parfois fait dresser les poils sur le bras. En début de film, ils semblent étranges voire louches et, en fin de film, tout est habilement remis en question.
Les similitudes entre les deux films sont nombreux : les enfants présents dans celui d'Amenábar semblent parfois calqués sur Flora et Miles, que ce soit dans leur attitude, leur façon de s'exprimer ou de répondre à leur mère / gouvernante. La relation ambiguë entre la gouvernante et la nourrice ne sont pas sans rappeler non plus le désespoir de Grace dans Les Autres, dépassée par les événements comme l'est Miss Giddens dans le film de Jack Clayton (l'actrice Deborah Kerr est exceptionnelle). De même, on voit clairement qu'Amenábar a emprunté à Clayton l'idée de la menace qui apparaît derrière une vitre ou dans un miroir, ces éléments étant fréquemment utilisés dans les deux œuvres pour créer des situations d'angoisse.
III/ Image, lumière et son
La première chose qui m'a saisi dans Les Innocents est indiscutablement la qualité visuelle du film dont le noir et blanc parvient à créer beaucoup de mystère, avec des jeux d'ombres efficaces et des ambiances flippantes. Les plans sont beaux - il n'y a pas d'autre mot - notamment ceux qui illustrent des séquences de nuit. L'éclairage à la bougie permet en effet d'instaurer un climat de tension. La photographie est globalement superbe et on assiste à quelques plans qui en mettent plein les yeux, avec un travail exquis de la lumière. On la doit à Freddie Francis, qui a également été (entre autres) le directeur de la photographie de The Elephant Man vingt ans plus tard. Difficile de faire mieux, donc, en matière de noir et blanc.
Le travail sur le son est également prodigieux. L'idée de la petite berceuse (soit fredonnée, soit jouée dans une boîte à musique) qui fait apparaître les fantômes est utilisée avec parcimonie et efficacité. Mais surtout, j'ai adoré les séquences où la musique impose une atmosphère lourde et inquiétante, notamment lors des apparitions ayant lieu sur le lac. Le fantastique et réel ont des ambiances sonores radicalement différentes, créant alors deux tonalités pour donner la sensation que les scènes d'horreur se produisent dans un autre espace-temps. La scène de la première apparition, en haut de la tour, en est un exemple frappant d'un point de vue sonore (la chanson fredonnée cesse subitement, la musique devient angoissante) comme visuel (la lumière devient éclatante, l'image est ralentie).
IV/ Réalisation et montage
Je termine par le plus important pour pouvoir qualifier le film de chef d'œuvre comme je l'ai fait en début d'article : la qualité de la réalisation. J'ai été bluffé de voir de si belles idées se mettre en place, notamment la sensation d'être présent aux côtés des personnages (la scène du lac dont j'ai parlé plus haut est incroyable). Ce sentiment est accentué par un choix de faire assez peu de coupes, donnant l'impression que les scènes se passent en temps réel. Le montage est donc très efficace avec généralement des mouvements de caméra qui échangent les points de vue et les placements des personnages. Jack Clayton utilise beaucoup le contraste entre premier plan et arrière-plan, présentant souvent les personnages dans un même cadre, l'un reculé par rapport à l'autre avant de prendre sa place au cours de la séquence.
Et puis, bien sûr, le montage est parfois plus dynamique, allant même jusqu'à tenter quelques "jumpscares", à l'ancienne certes, mais maîtrisés. L'un d'entre eux m'a fait sursauter, et pas qu'un peu ! J'ai également noté quelques idées intéressantes, comme un plan zénithal (vue de dessus) qui n'est pas sans rappeler quelques scènes de Psychose, sorti un an plus tôt.
Bref, je doute que beaucoup soient allés au bout de cet article mais, si c'est le cas, j'espère qu'il vous aura donné envie de découvrir Les Innocents, si ce n'est déjà fait. Un vrai chef d'oeuvre.