Si même Damien Chazelle se met à faire de la merde, on n'est pas sortis de l'auberge. Babylon était l'un des films que j'attendais le plus cette année, notamment parce que ses 3 premiers films ont été pour moi des sans fautes. Whiplash m'a atomisé la gueule en 2014 au point de le placer dans mon top 50, puis La La Land a également failli faire partie de ce top en 2016. First Man, en 2018, a été pour moi l'un des plus beaux films de l'année et sa BO me hante encore par moments. C'est donc plutôt confiant (malgré les 3 heures que dure le film et le casting assez bancal, mais j'y reviendrai) que je suis entré dans la salle de cinéma hier soir pour découvrir le nouveau film d'un de mes réalisateurs chouchous. Verdict : ce fut une puissante déception.
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Pour commencer, la première partie (avant l'apparition du titre BABYLON assez surprenante) est interminable. Dès le départ, je ne me suis pas senti impliqué dans cette histoire et je ne comprends pas l'intérêt de cette introduction aussi longue que balourde, qui m'a donné une impression de catalogue de personnages complètement fades ou grotesques. Après la virtuosité et l'énergie dont Damien Chazelle a fait preuve dans Whiplash, la délicatesse et la poésie présentes dans La La Land, la finesse et la mélancolie qui émanent de First Man, j'ai été très contrarié par la vulgarité et la grossièreté qui dominent Babylon.
Damien Chazelle m'a surpris dans le mauvais sens du terme en s'essayant à la comédie, que j'aurais imaginée plus fine et maline que ça. L'humour présent dans Babylon (et notamment dans la première heure) est à mon goût catastrophique, entre jets de merde d'éléphant, femme qui pisse sur un homme obèse à poil, vomissements exagérés où l'on met en évidence les morceaux de bouffe qui dégoulinent, je ne comprends pas comment Damien Chazelle a pu opérer ce virage improbable dans sa filmographie. Alors, certes, ça fera peut-être marrer les ados qui traînent dans les salles ("ah ah le monsieur obèse tout nu qui se fait traiter de gros tas et se prend des gifles, des barres !"), mais pour un amateur de ses 3 premiers films, j'ai eu l'impression de me faire chier dessus de la même manière que les personnages en début de film.
Même sans la vulgarité, l'humour présent dans Babylon est souvent bas de plafond et repose essentiellement sur des personnages qui ont vocation à être loufoques ou extravagants. Personnellement, ce genre d'humour gras ne me touche pas. Ce n'est pas un problème en soi, et la parodie / caricature à outrance est parfois efficace lorsqu'elle est faite de manière cohérente ou intelligente. Il est impossible, en effet, de ne pas voir dans Babylon un hommage à des films comme Le Loup de Wall Street ou Once upon a time in Hollywood, dont le casting est par ailleurs réutilisé (Margot Robbie, Brad Pitt, c'est à se demander si le premier rôle n'avait pas d'abord été proposé à DiCaprio !). Le problème, c'est lorsque Chazelle cherche à faire sortir ses personnages de leur monde loufoque et humoristique pour tenter de les rendre touchants, pour essayer de leur donner une dimension poétique et nostalgique, comme pour raccorder à un La La Land dont Babylon semble pourtant l'anti-thèse. Ca ne marche absolument pas.
Quoiqu'il en soit, passée cette première heure poussive, qui n'est qu'une accumulation de plans hystériques qui n'apportent absolument rien à l'histoire ni à la compréhension du spectateur sur le réel sujet du film, j'ai cru que Babylon décollerait après l'apparition du titre. Lorsque celui-ci s'est affiché en gros à l'écran au bout de 45 très longues minutes, j'ai soufflé et j'ai décidé de laisser une deuxième chance au film, comme si l'introduction était un mauvais moment à passer avant de connaître enfin la vraie histoire de ces personnages.
Ca a marché une demi-heure, environ. Et là, je dois bien l'admettre, cette demi-heure était incroyable. On assiste littéralement au Margot Robbie show, et ENFIN, l'hystérie de la mise en scène devient diablement efficace. J'ai absolument adoré l'évolution subite du personnage de Margot Robbie, qui m'a fait énormément rire, non grâce au talent de l'actrice mais plutôt pour la frénésie et l'humour de répétition imposé par les plans de caméra successifs. Toute la séquence qui présente la première tentative de tourner une scène avec des micros, lors de l'apparition du cinéma sonore, est géniale. La situation est drôle, l'enchaînement des plans identiques sur l'arrivée de Nellie LaRoy sur scène est parfaitement exécuté. J'ai trouvé ça brillant, d'autant que ça montre à quel point il y a eu un avant/après, non seulement pour le spectateur mais également pour tous les métiers de cinéma.
La présence d'Olivia Hamilton avec son porte-voix, également, apporte un incroyable bonus à toutes ces scènes, notamment lorsque son personnage découvre que Nellie est capable de pleurer sur commande à la larme près. Ces scènes étaient délicieuses, et l'humour finement dosé.
Passée cette demi-heure de folie, j'ai bien cru que Babylon finirait par me cueillir totalement, avant de me rendre compte que Damien Chazelle allait passer tout le reste du film à tenter de recréer une idylle à la La La Land, à travers une romance assez improbable et complètement inefficace entre Manny et Nellie. A partir de là, Damien Chazelle fait constamment référence à ses précédents films, comme si le fait de leur ressembler allait apporter à Babylon les mêmes qualités. Tout y passe : des plans incessants sur les trompettes aux innombrables "whip pans" inutiles (ces fameux plans où la caméra fait des allers-retours extrêmement rapides entre deux personnages), en passant par des thèmes musicaux très similaires à ceux de La La Land (certains enchaînements de notes sont, par moments, identiques !) alors que ce n'est jamais justifié. Cette idée de romance fait un énorme flop car les deux personnages sont relativement détestables et que Damien Chazelle ne nous donne jamais l'occasion de nous y attacher.
Je passe rapidement sur la séquence grossière et interminable avec Tobey Maguire. Rien que la présentation du personnage est grotesque et malvenue, puisque le personnage nous est révélé de dos, avec un plan circulaire qui semble nous crier "Attention, y'a un acteur connu qui arrive, attention, c'est bientôt, oui, tadaaaam !!". Tobey Maguire ainsi que son personnage sont particulièrement mauvais. L'acteur, outrancièrement maquillé, cabotine comme jamais, c'en est presque insupportable à regarder. Qui plus est, je ne comprends pas du tout l'intérêt de cette séquence qui s'éternise - je pense - pendant près de 20 minutes, si ce n'est une occasion pour Chazelle de nous balancer au visage un autre flot de vulgarité gratuite. Aucun intérêt.
C'est d'ailleurs là-dessus que je finirai cet article : au fond, que raconte Babylon ? Je cherche la réponse depuis hier, et je ne la trouve pas. Au debut, on croit que Damien Chazelle tente un délire hystérique et grossier, puis il semble vouloir nous proposer une immense fresque sur Hollywood et le passage du muet au parlant, avant de nous faire croire que Babylon est en fait une romance à la La La Land, pour finalement nous faire réaliser que le film est une grande lettre d'amour au cinéma en général. C'est un mélange improbable de toutes ces thématiques et, à la fin, aucune d'entre elles n'est bien traitée.
Pour le délire de comédie hystérique, la sauce ne prend pas à part lorsque Margot Robbie se retrouve en roue libre (et encore, c'est souvent très débile : la folie du personnage est principalement montrée à travers... des cheveux hirsutes ; cliché extrêmement basique). Pour la fresque hollywoodienne sur l'apparition du cinéma muet, c'est un ratage total dans le sens où on ne nous donne jamais l'occasion de nous attacher aux personnages. D'autres films comme Sunset Boulevard ou même The Artist ont traité ce thème avec infiniment plus de subtilité et de sensibilité. Je n'ai pas encore parlé de Brad Pitt mais franchement, j'en ai ras le bol de ses rôles quasiment tous identiques depuis presque 10 ans. Si l'acteur est toujours aussi charmant, je pense qu'il était l'un des pires choix possibles pour incarner Jack Conrad, tant sa palette de jeu était attendue du début à la fin. Pour le côté romance, j'en ai déjà parlé : ça ressemble plus à une tentative vaine de renouer avec le plus grand succès de Chazelle (La La Land), mais ça ne fonctionne jamais. Quant à la conclusion du film et à l'amour manifeste que le réalisateur porte pour le cinéma (encore heureux !), on assiste à la fin du film à l'une des scènes les plus débiles que j'ai pu voir de ma vie. Damien Chazelle nous pond le montage épileptique le plus lourd et le moins subtil qui soit, j'ai presque failli en rire tant c'était risible. Comment peut-on avoir réalisé trois chefs d'œuvre, puis se ridiculiser de la sorte avec ce dénouement catastrophique ? L'hommage balourd à 2001 l'Odyssée de l'espace est confondant de gêne.
Bref, peu importe ce que Damien Chazelle a tenté de faire avec Babylon, ça ne méritait certainement pas de l'étaler sur trois longues heures. En ressortant de la salle, j'ai eu l'impression d'avoir perdu mon temps car Babylon n'apporte strictement rien au spectateur, ni au cinéma en général. Damien Chazelle, je t'aime pour tout ce que t'as fait jusqu'à maintenant, et tu restes pour moi un immense chouchou. Mais là, t'as fait n'importe quoi.