Je continue de laisser sa chance à Wes Anderson en souvenir des folles émotions qu'il a pu me procurer il y a 10 ans, mais il faut bien admettre que je ne comprends plus ce cinéaste. Wes Anderson, qui était pour moi le roi de la poésie douce, capable de susciter des sensations fortes avec son sens du cadre et ses histoires touchantes, est devenu un simple faiseur de décors qui s'enchaînent sans queue ni tête. Dans cet Asteroid City, il y a quand même du mieux, car une scène est parvenue à me toucher et à m'envoyer ailleurs, l'espace de quelques minutes. C'est une scène de plus, par rapport à The French Dispatch.
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Je vais commencer par les points positifs. Evidemment, je suis obligé de saluer les qualités visuelles d'Asteroid City, notamment grâce à cet incroyable don qu'a Wes Anderson pour créer des décors uniques, charmants, remplis de détails qui marquent la rétine, des couleurs éclatantes et des tons saturés qui font du film un objet tout à fait original. Les décors ont dû représenter un travail titanesque, d'autant que Wes Anderson limite au maximum les effets numériques pour obtenir ce rendu carton-pâte absolument exquis. Le chef décorateur Adam Stockhausen, son assistant Stéphane Cressend, ainsi que leur équipe constituée de 200 personnes (!) ont fourni un travail magnifique et il serait malhonnête d'affirmer que le rendu n'est pas visuellement époustouflant.
Tout le travail sur les couleurs et la photographie est également épatant, certaines prises de vue attirent le regard notamment sur les crépuscules ou les ambiances de nuit. Et puis, bien sûr, il y a la caméra, les cadrages millimétrés, la symétrie et les travellings qui font que quiconque peut reconnaître une œuvre de Wes Anderson en un seul plan. C'est précis, c'est efficace, mais.
Mais tout ça, c'est au service de quoi ? On a connu une époque où toutes ces techniques et tous ces effets servaient une histoire, des dialogues, des situations. On a connu une époque où l'on pouvait pleurer en voyant le personnage de Bill Murray atteindre son but dans La vie aquatique sur un joli fond de Sigur Ros, ça avait du sens, c'était puissant, on comprenait où le film nous avait emmené. On a connu une époque où la poésie suprême était atteinte en une scène, lorsque Gwyneth Paltrow descendait d'un bus dans La famille Tenenbaum et suscitait des émotions puissantes sur la musique de Nico, car on comprenait la psychologie de chaque personnage, qu'on ressentait la dépression de l'une et l'amour de l'autre dans un ralenti somptueux. Une époque où j'y consacrais même des articles complets. On a connu une époque où, le temps d'une danse sur la plage avec Françoise Hardy, on se prenait une vague de nostalgie en plein visage dans Moonrise Kingdom. On a connu une époque où le deuil était une affaire de tristesse et de famille, à bord du magnifique Darjeeling Limited.
Mais maintenant, que reste-t-il de tout ça ? Rien, j'ai l'impression. On ne comprend pas la psychologie des personnages car ils semblent sans émotion et sans âme. C'est même encore plus grave : ils se ressemblent tous, tels des robots soumis aux cadrages et travellings qui sont devenus la pire des contraintes pour le cinéaste. En dehors des habitués comme Edward Norton, Tilda Swinton, Adrien Brody ou encore Jason Schwartzman qui ont très bien compris qu'ils auraient éternellement le même rôle à jouer chez Wes Anderson, à quoi bon ramener des acteurs comme Tom Hanks, Scarlett Johansson ou Bryan Cranston si c'est pour leur faire jouer... rien du tout ? Ils déclament leur répliques d'un ton mécanique et on ne sait même pas vraiment où ça mène, ni quel est le but de leurs personnages. On les écoute simplement parler et, au fond, on finit par se foutre complètement de ce qu'ils racontent car on ne comprend ni les enjeux, ni l'issue probable de toute cette histoire.
Asteroid City est, comme la plupart des derniers films de Wes Anderson, une succession de saynètes qui n'ont ni queue ni tête car elles ne présentent que des petites situations qu'on ne peut pas mettre en lien les unes avec les autres. C'est à se demander si le réalisateur ne devrait pas se repencher sur le court-métrage, tant le scénario semble vide. A vrai dire, le film aurait pu être intéressant avec un fond, un thème et une trame bien définie, mais Asteroid City ressemble à un remake de Moonrise Kingdom. On y retrouve le narrateur qui raconte l'histoire d'un ton monocorde (et on est presque surpris de ne pas y voir Bob Balaban), alors que ça n'a strictement aucun intérêt pour la compréhension de l'histoire et que ça ne fait pas particulièrement plus de sens lorsque le film met en abyme une scène de théâtre. On y retrouve la classique bande de jeunes surdoués, curieux de nature et de sciences, mais aussi les décors de tente et les adultes tout aussi perdus qu'irresponsables. On se coltine à nouveau cette fâcheuse manie de tourner les scènes téléphoniques en split screen, ce qui n'a plus rien d'étonnant à présent. Sauf que ça ne marche pas, car on a l'impression d'avoir vu ça plusieurs fois dans d'autres oeuvres. C'est vrai, comment trouver ces plans originaux quand on se souvient les avoir vus ailleurs ? En voici quelques exemples, je n'ai mis que quelques minutes à les trouver donc il y en a sûrement des dizaines d'autres...
Bref. Asteroid City n'a pas d'âme, il n'a de charme que ses décors. Je ne parviens pas à comprendre comment un type comme Wes Anderson, qui avait traité le deuil de manière si émouvante dans des films comme A bord du Darjeeling Limited ou La famille Tenenbaum, parvient à le rendre aussi plat et anecdotique dans Asteroid City, avec tout d'abord la scène d'annonce de la mort d'une mère à des enfants (c'est quoi l'idée de cette scène ? Faire rire ?) puis ce délire inutile et sans saveur des cendres dans le tupperware. Je ne comprends pas, je ne comprends pas. N'y a-t-il vraiment plus aucune émotion dans le cinéma de Wes Anderson ?
Et pourtant... Pourtant, Asteroid City est parvenu à me saisir à un instant précis. Le comble, c'est que le film est venu m'émouvoir et m'apporter une poésie magique à peu près au seul moment où nous avons affaire à des effets numériques, et où les personnages principaux sont mis à l'écart. Je parle de la scène de l'extraterrestre, qui est absolument délicate et qui, pour la première et dernière fois lors de mon visionnage, m'a hypnotisé. C'est une scène uniquement musicale, une scène qui prend son temps sans gros travellings, une scène sans dialogues. C'est un pur instant de poésie qui m'a fasciné et pour lequel je me suis dit : "Merde, il reste encore un soupçon de magie dans le cinéma de Wes Anderson."
La scène dure 2 minutes, et c'est la seule chose que j'ai pu sauver de ce film. Le reste, je l'aurai oublié dans quelques jours, probablement même demain, tant ça ne raconte rien.
Je suis déçu, une fois de plus, mais je commence à avoir l'habitude.
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