Bon. Trois ans après la sortie du premier volet de Dune, que j'avais boudé, j'ai enfin vu ces deux premiers opus. Rien ne me donnait envie : ni l'univers, ni le duo Chalamet / Zendaya, ni la durée des films, ni l'aspect "SF dans le désert" qui lasse, ni l'engouement démesuré que cette adaptation made in Villeneuve suscite majoritairement depuis 2021. Sauf qu'en 2024, ça recommence avec la Deuxième partie, et que les gens crient leur plaisir deux fois plus fort. Je ne pouvais donc pas faire la sourde oreille plus longtemps, il fallait que je sache. Le nom du réalisateur étant pour moi synonyme de qualité, je craignais terriblement que cette saga ne le fasse baisser dans mon estime...
Critique analyse explication du film
... et putain, que c'était bon ! Même avec toute la mauvaise foi du monde, il me serait impossible de nier que Dune première partie (que j'ai découvert dimanche) et Dune deuxième partie (que j'ai enchaîné hier soir) forment une épopée aussi spectaculaire que marquante. A vrai dire, j'ai tellement de choses à en dire que j'ignore par quel bout commencer. Tout d'abord, Dune a mis un certain temps avant de me choper complètement. Contrairement à la plupart des spectateurs qui, semble-t-il, ont vécu Dune comme une incroyable expérience cinématographique sur le moment, la révélation m'est venue seulement 24 heures après mon visionnage de Dune Première partie. Ce premier volet m'a plutôt convaincu dimanche sans pour autant me transcender, puis la moutarde est montée progressivement au fil des heures. Hier matin, je sentais que mon avis avait déjà changé sur l'expérience que j'avais vécue : le film m'avait profondément marqué. Ce matin, la révélation fut encore plus forte. C'est furieux tout en étant doux, lent tout en étant explosif. L'identité visuelle et l'identité sonore sont extrêmement marquées et rendent cette expérience (a posteriori) complètement folle. Même si elle fut lente à venir, ce fut une claque à retardement.
Les images repassent dans ma tête. Des centaines d'images. La musique et l'atmosphère me hantent de manière inconsciente. Je suis passé, en deux jours, de "film sympa mais un peu mou" à "expérience unique à l'ambiance obsédante, envoûtante, sidérante". Il m'a fallu presque deux jours pour me rendre compte que Dune était exceptionnel en terme de narration visuelle et d'atmosphère sonore. Deux jours pour réaliser qu'il s'était ancré en moi lentement, comme les effets secondaires d'une drogue qui n'agiraient qu'après un certain délai. Plus j'y repense, et plus l'ensemble me paraît maintenant totalement dingue. Merde, je n'avais pas prévu d'être aussi tranché et emphatique avant d'écrire cet article mais c'est pourtant vrai : ce qu'a fait Villeneuve est totalement dingue.
Pour une personne comme moi, qui ne connait strictement rien à l'univers de Frank Herbert - ni les romans que j'avais arrêté de lire après 30 pages, ni la version de Lynch, ni le documentaire sur la tentative avortée de Jodorowsky - et qui n'avait pas du tout envie de s'y intéresser, ce que vient d'accomplir le cinéaste est une véritable prouesse. Grâce au style de Villeneuve (dont j'adore le travail de manière générale), grâce à son incroyable narration visuelle, j'ai été pris de passion pour cette intrigue pendant 5 heures sans jamais m'ennuyer. Et encore, "sans jamais m'ennuyer" est une honteuse litote puisqu'en réalité, j'en ai savouré chaque instant. J'aurais bien un petit bémol en terme de durée quand même : les deux films sont peut-être un peu longuets dans leur dernière heure. Mais c'est honnêtement la seule chose que j'irais reprocher, car le boulot effectué par toute l'équipe est phénoménal.
J'ai absolument tout compris à cette histoire pourtant complexe. Tout est limpide : que ce soit le fonctionnement des différents peuples, personnages ou créatures, leurs relations, les stratégies politiques ou encore les règles qui régissent cet univers difficile à appréhender : Denis Villeneuve nous fait passer tout ça avec une élégance et une fluidité constantes, sans aucune surexplication. Pas de voix off (ou alors quelques mots, à peine), pas de personnage qui explique tout dans les moindres détails, non. Tout passe par l'image, tout est incrusté et disséminé dans le scénario et les dialogues avec subtilité. Le réalisateur n'a pas besoin de nous rabâcher 100 fois les mêmes trucs pour qu'on assimile l'intégralité des enjeux, il ne nous prend ni par la main, ni pour des cons, et ça fait un bien fou. Par l'utilisation habile des images et du montage, par son sens accru du réalisme, il nous emmène en immersion sur Arrakis et j'y ai cru à chaque instant. Je me suis réellement senti sur cette autre planète. J'ai pratiquement vécu cette expérience comme un documentaire, comme si une équipe de journalistes avait suivi Paul et Chani durant quelques mois. J'ai ressenti la chaleur du désert mais aussi l'énorme danger qu'il représente.
Le travail sonore est merveilleux. C'est à mon goût l'immense qualité du film (pour simplifier, parlons de Dune comme d'un seul film de 5 heures, ce qu'il est : les deux films peuvent s'enchainer sans problème dans une continuité parfaite, là encore Villeneuve ne nous prend pas pour des débiles avec des "previously" inutiles). La qualité du son est dingue. Les effets sonores m'ont bluffé d'un bout à l'autre, et ce n'est pas étonnant lorsqu'on se penche sur le travail réalisé notamment par Mark Mangini, le sound designer. Dans une interview, il explique sa manière de produire des sons pour Dune, et je dois dire que j'étais bouche bée devant l'intelligence des idées. Les sons créés pour accompagner les éléments de SF (comme, par exemple, les véhicules qui volent comme des frelons) sont des mixages de plusieurs bruits identifiables par le spectateur : utilisation de ronronnements de chats, d'une toile de tente qui flotte au vent, de battements d'ailes d'insectes. En apportant aux oreilles du spectateur des sons qui lui sont familiers, Dune nous donne une impression de proximité avec cet univers. On s'y attache, on y croit. A contrario, pour que le film reste ancré dans la SF, les bruits créés par des choses connues ont été transformés, pour donner l'illusion d'un monde parallèle. Les bruits de pas dans le sable, par exemple, ont été modifiés et ne résonnent pas comme ceux que nous connaissons chez nous. Avec cet incroyable travail autour du son, on se sent donc proches des éléments inventés de toutes pièces (ceux qui n'existent que dans l'univers de Dune), et paradoxalement, nous semblons étrangers aux choses qu'on est censés déjà connaître.
Et puis, si on parle de son, il faut souligner la BO de l'immense Hans Zimmer qui permet à cette saga de se démarquer par son ambiance unique qui titille puissamment nos tympans. Les musiques donnent à cet univers toute son âme et je ne comprends pas comment certains peuvent se plaindre de leur omniprésence. Dune semble habité, hanté par cette musique qui participe à l'aura mystique du film. Des heures après le visionnage, on y repense, car ces deux opus ne sont pas des produits de consommation, qu'on oublie puis qu'on jette en sortant de la salle de cinéma. Les musiques restent. Excusez-moi, mais ceci est une merveille :
Les images restent, elles aussi. La réalisation de Denis Villeneuve est impeccable, et le mot est bien trop faible. Elle est impériale, grandiose, épique. Vraiment épique. Quelle lisibilité dans les scènes de combat ! C'est ultra propre, tout en restant réaliste et sobre. Le travail sur les couleurs est également prodigieux, que ce soit l'atmosphère orangée de ces dunes d'Arrakis comme la stupéfiante séquence de présentation de Feyd-Rautha chez les Harkonnen, sur une planète en noir et blanc. Certains visuels sont époustouflants, notamment les effets de lumière. Le soleil est partout : que ce soit sur les scènes en intérieur avec les rayons qui s'étendent sur les murs froids, comme en extérieur avec les séquences d'éclipses ou de rêveries. C'est magnifique.
Finissons par le casting, qui me faisait pourtant si peur. On se retrouve avec une tripotée d'acteurs et d'actrices de haut niveau, tellement qu'on ne sait plus où donner de la tête. Il y a tant de têtes d'affiche que j'ai arrêté de compter les sourires que m'ont apporté toutes ces apparitions. Javier Bardem est fou, drôle. Dave Bautista est effrayant, brutal. Rebecca Ferguson est hallucinante notamment dans son évolution, tout aussi passionnante en mère inquiète dans la première partie qu'en Révérende Mère flippante dans la deuxième. Elle m'a envoûté et impressionné. Oscar Isaac, Josh Brolin, Charlotte Rampling, Stellan Skarsgård, Jason Momoa, Austin Butler m'ont tous convaincu dans leurs rôles respectifs, ils apportent à cet univers une sacrée identité. Même Florence Pugh, Léa Seydoux et Anya Taylor-Joy, qui apparaissent pourtant si peu, tirent leur épingle du jeu avec des personnages qui marquent en quelques minutes. Il ne s'agit même que de quelques secondes pour Taylor-Joy, dans un unique plan d'une intense poésie. Là encore, Villeneuve nous laisse, comme des grands, le soin d'identifier le personnage qu'elle incarne, uniquement grâce à la narration visuelle, sans aucune surexplication. C'est parfait. Mon seul regret est sans doute le peu de temps accordé à Christopher Walken, immense acteur devenu trop rare.
Et puis nous avons Zendaya et Timothée Chalamet, deux comédiens en qui je n'avais aucune confiance. Mais là... Que dire ? J'ai été soufflé par leurs deux prestations absolument iconiques. Zendaya, que je n'avais pas particulièrement appréciée dans Malcolm et Marie, trouve ici un rôle qui lui sied à merveille. Chani est une femme fascinante, forte, l'actrice incarne cette Fremen avec douceur et férocité. Timothée Chalamet, quant à lui, est l'acteur qui m'a le plus impressionné durant ces 5 heures. Je n'ai constaté aucun faux pas dans son jeu, il est constamment juste. On croit à son personnage de gringalet sous-estimé, autant qu'en sa transformation rapide qui le rend plus impitoyable et sanguinaire. L'évolution de Paul, qui n'est pas sans rappeler Daenerys dans Game of Thrones, est puissante et donne envie de voir le troisième volet. Scénaristiquement parlant, j'ai adoré toute la confusion qui règne sur son identité de messie / faux messie. Chalamet est crédible dans les moments les plus épiques comme les plus sauvages en fin de Deuxième partie. Son regard et son jeu m'ont captivé et j'ai même du mal à imaginer un autre acteur incarner ce Paul Atréides. On va dire que j'exagère encore, que je m'emballe. Oui, et alors ?
Bref. Vous l'avez compris, j'ai adoré ça et j'en redemande. J'ai autant raffolé des scènes romantiques et oniriques que des scènes purement épiques comme l'incroyable chevauchée du ver des sables (c'était fou). Un vent de Mad Max Fury Road règne sur cette saga et je ne vois pas pourquoi Dune n'accèderait pas, lui aussi, au même statut "culte" qui semble coller à la peau du film de Miller. Dune apporte un vent de fraîcheur dans le monde du blockbuster américain. Il est subtil, fort, contemplatif, il montre aux spectateurs qu'ils sont en droit de réclamer mieux que ces bouillies qu'on leur sert depuis plus de 10 ans. Vivement la suite.