Y'a pas photo : lorsqu'Alex Garland le veut, il est capable de faire des merveilles. Après Ex Machina et Annihilation, deux films très ambitieux mais loin d'être parfaits, et surtout après l'ignoble Men, le cinéaste remonte dans mon estime avec ce Civil War qui va dérouter plus d'un spectateur.
Le phénomène est d'ailleurs déjà visible dans les premiers commentaires négatifs qu'on peut lire sur des sites tels qu'Allociné : une partie du public semble être passée totalement à côté du réel sujet du film, déçus de ne pas voir développés les enjeux politiques de cette guerre civile américaine fictive. On ne peut pas tellement leur en vouloir, car le marketing autour du film pousse dans cette direction. Que ce soit dans l'affiche, dans le titre lui-même ou encore dans la bande-annonce, la guerre et la politique sont mises en avant alors que le film va bien au-delà d'une simple histoire de conflit (dont on se ficherait presque, finalement), ce qui m'a positivement charmé et étonné.
Critique analyse explication du film
Civil War est un film sur l'image et sur le métier de photographe de guerre. Le conflit présenté dans le film n'a aucun intérêt particulier dans l'intrigue, car c'est tout le cœur du sujet ! En effet, la caméra suit un groupe de journalistes dont le travail consiste à se détacher un maximum des images qu'ils immortalisent. Ils doivent rester neutres en permanence, mettre de côté leurs émotions, ne pas prendre parti, pour être à la fois distants émotionnellement et proches de l'action. Leur rôle est simplement de décrire les événements tels qu'ils sont, sans essayer de les comprendre ni de les modifier. Alex Garland nous place en immersion à leur côtés et fait alors le choix le plus malin qui soit : nous non plus, nous ne prendrons pas position dans ce conflit, nous ne chercherons pas à le comprendre. Il ne sera qu'effleuré pour qu'on puisse se concentrer sur cette équipe de reporters shootés à l'adrénaline, et plus le film avance, plus on a l'impression d'être des leurs.
Ce point de vue est extrêmement novateur et subversif au cinéma, car il est très rare que la guerre soit abordée sous cet angle. Habituellement, les films de guerre dénoncent ceux qui agissent. Ici, on ne peut s'empêcher d'être davantage gênés par ceux qui n'agissent pas. Le casting est absolument parfait car chacun des quatre acteurs est attachant et magnifiquement interprété. Kirsten Dunst, bien évidemment, est d'une justesse permanente qui n'étonne plus. Wagner Moura est également parfait pour le rôle, apportant parfois un semblant d'humour qui sert le film. Quant à Cailee Spaeny, c'est une jeune révélation tout à fait épatante. Son rôle récent dans Priscilla m'a paru totalement anecdotique à côté de celui-ci, où elle m'a bluffé. De même, bien qu'il soit peu surprenant de le voir dans un tel rôle, la brève apparition de Jesse Plemons donne lieu à une séquence glaçante qu'il va être difficile d'oublier.
Qui plus est, Garland sort enfin de ses tics de surenchère parfois grossiers, on a clairement franchi un cap depuis Men et sa laideur. Ici, tout est beau visuellement, que ce soit au niveau de la photographie (évidemment) comme la mise en scène lumineuse. Le réalisateur s'octroie quelques scènes époustouflantes de poésie, comme cette traversée d'une forêt incendiée ou encore ce moment de silence, de flottement post-explosion, qui m'a happé en début de film.
Je ne peux que vous encourager à voir Civil War car il est déstabilisant et nous emmène parfois là où on ne l'attend pas, dans un propos sur le pouvoir des images et l'horreur de l'inaction face à des actes inhumains. Un film passionnant pour son point de vue, fascinant dans sa non-explication, marquant par ses images. Qu'il est bon d'être pris à contrepied de la sorte !