La plupart des réalisateurs ont ce qu'on appelle un "plan signature". Comme son nom l'indique, il s'agit d'un plan (ou une idée) qu'on retrouve dans la majorité de leurs films, et qu'ils apposent comme une marque de fabrique. Certains cinéastes sont très connus pour le leur, comme Tarantino et son "trunk shot" (le coffre de voiture), d'autres moins. Certains, même, semblent ne pas vraiment en avoir car, après mes recherches, il m'a été impossible de trouver un gimmick de réalisation chez des cinéastes comme David Fincher ou David Lynch par exemple, pour ne citer qu'eux.
Ma fascination pour les plans-signatures est née lorsque Gravity est sorti au cinéma il y a quelques années. Je me souviens avoir vu le film 5 fois au cinéma puis, quelques semaines plus tard, revoir Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban. Tout à coup, j'ai été frappé par la ressemblance entre deux scènes de ces films. Ceux-ci, pourtant, sont a priori radicalement différents.
Pour illustrer tout ceci, j'ai réalisé une petite vidéo ce week-end afin de rassembler l'essentiel de ce que j'ai trouvé sur le sujet. Il manque sûrement des dizaines de cinéastes (ceux que je connais moins), donc ne m'en voulez pas pour mes malheureux oublis. Si vous voyez que le plan-signature d'un réalisateur manque à l'appel dans cette vidéo et cet article, n'hésitez pas à venir étoffer cette liste qui compte tout de même 29 cinéastes.
Vous pouvez voir cette vidéo comme un jeu : le but est de retrouver les réalisateurs présentés, ainsi que leurs gimmicks associés. Pour les non-joueurs, je vais indiquer les réponses dans la suite de l'article :
Solutions
Dans cette vidéo, nous avons, dans l'ordre :
Alfonso Cuarón - Through the glass shot
Le cinéaste mexicain utilise régulièrement cette technique qui consiste à faire passer la caméra à travers une vitre, notamment dans Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban, mais aussi dans Gravity. J'étais quasiment sûr que cette astuce avait été utilisée également dans Les fils de l'homme (dans la scène de la voiture notamment), mais impossible de retrouver ce plan. Je l'ai peut-être rêvé.
Jean-Luc Godard - Cabriolet Shot
Dans de nombreux de ses films, Godard filme un groupe de personnages depuis l'arrière d'une voiture, souvent une décapotable.
Quentin Tarantino - Trunk shot
Tarantino est réputé, en plus de son fétichisme des pieds, pour ce plan-signature qui nous permet de l'identifier immédiatement : une vue depuis l'intérieur d'un coffre avec les personnages en contre-plongée. S'il s'agissait systématiquement d'un coffre au début de sa carrière, le cinéaste a ensuite diversifié son effet, comme à la fin d'Inglourious Basterds par exemple.
Darren Aronofsky - Extreme Close Up
Les gros plans rapprochés, cuttés et répétés, sont monnaie courante chez Aronofsky. L'exemple le plus frappant est dans Requiem for a dream où le procédé est utilisé à foison. Il aime particulièrement filmer des plaies qu'on triture.
Martin Scorsese - Steadicam shot
Plan très reconnaissable dans la filmographie de Scorsese, on retient surtout celui des Affranchis. Le plan est devenu culte à lui tout seul. L'idée est de suivre un personnage avec un Steadicam, une grosse caméra astucieusement stabilisée qui permet des mouvements fluides et aériens (je résume grossièrement). Cette technique a notamment été popularisée avec Shining de Kubrick.
Stanley Kubrick - Symmetric shot
Puisqu'on en parle, le voici. Kubrick a de très nombreux gimmicks de réalisation mais il est surtout connu pour la symétrie de ses plans qui domine dans la majorité de ses oeuvres.
Gus Van Sant - Follow Shot
Si on pense à Gus Van Sant, il nous vient nécessairement en tête ce plan d'un personnage qui marche, suivi par la caméra. Le plan est même présent dans Will Hunting, qui n'est pourtant pas très marqué par la patte du cinéaste.
Wong Kar-wai - Smoking shot
La cigarette dans le cinéma de Wong Kar-wai est presque omniprésente. Régulièrement, le cinéaste utilise des plans qui montrent les personnages en train de fumer, souvent d'assez près. La clope donne généralement aux personnages un air cool, ou leur offre des instants de réflexion.
Wes Anderson - Tracking shot
Wes Anderson est bourré de tics, son cinéma est d'ailleurs presque exclusivement fait de gimmicks de réalisation. Parmi les dizaines auxquels on peut penser, le plus évident est sans doute le travelling. Tout y passe : travelling avant, arrière, à gauche, droite, en haut, en bas...
Sofia Coppola - Bored in bed
Chez Sofia Coppola, les personnages s'ennuient beaucoup, et souvent au lit !
Terrence Malick - Sun behind the trees
J'aurais pu choisir des dizaines d'autres plans-signatures de Malick, comme la femme qui danse sous le soleil couchant, par exemple. Cependant, j'ai choisi de mettre en valeur sa manière de filmer les rayons du soleil à travers les arbres.
Gaspar Noé - Stroboscopic effect
Il suffit de voir le générique d'Enter the void pour savoir immédiatement qu'on va regarder un film éprouvant. Gaspar Noé utilise régulièrement les effets ultra-clignotants pour mettre mal à l'aise le spectateur.
Damien Chazelle - Whip-pan shot
Littéralement, whip signifie fouetter. C'est un peu l'impression que donnent ces plans de Damien Chazelle, lorsque la caméra passe d'un personnage à l'autre de manière très énergique, pour mettre en valeur la musique et le rythme de ses films. On a même un petit making-of du procédé technique sur le tournage de La La Land dans la vidéo ci-dessous :
Xavier Dolan - Slowmotion textile
Xavier Dolan est un grand adepte de ralentis magnifiques, notamment sur des draps ou vêtements qui flottent au vent.
Tim Burton - Twisted tree
Tim Burton a également une patte bien à lui. Lorsqu'on tombe sur un grand arbre tordu, il y a fort à parier qu'on a affaire à Tim Burton ou à quelqu'un qu'il a influencé. On aurait pu également citer les pâtés de maisons colorées.
Brian De Palma - Split-screen
Le split-screen est la spécialité de De Palma. Ces plans consistent à couper l'écran en 2 ou 4 (ou plus) afin de montrer différentes scènes qui se passent simultanément dans des endroits différents. Cette astuce très maline fait souvent son petit effet...
Michael Bay - US flag
Le cinéma de Michael Bay est rempli de drapeaux américains.
John Woo - Flying doves
Je ne connais pas bien John Woo (encore une lacune à combler) mais je sais qu'il a une obsession pour les colombes : elles apparaissent dans chacun de ses films.
Yasujirō Ozu - Tatami shot
De même, je ne connais pas du tout le cinéma d'Ozu, mais je suis souvent tombé sur le "tatami shot", qui consiste (sauf erreur de ma part) à poser la caméra très près du sol.
J.J. Abrams - Lens flare
J.J. Abrams est connu pour son utilisation abusive du lens flare : cette ligne de lumière souvent bleue qui traverse l'écran lorsque la caméra est éblouie. Il s'en est même excusé en expliquant que c'était sa passion et qu'il ne pouvait pas faire autrement.
Je sais que je suis raillé tous les jours avec ça. Mais je vais tout vous dire : il y a des fois où je suis en tournage et je me dis : 'cette scène serait géniale... avec un lens flare.' Je sais que j'en mets trop, et je m'en excuse. J'en suis conscient maintenant.
Sergio Leone - Eyes zoom
Sergio Leone est le spécialiste des zooms et gros plans sur les yeux de ses personnages, procédé qu'a repris Tarantino par la suite.
Emir Kusturica - Hanging Scene
Kusturica manque rarement l'occasion de placer une scène de pendaison dans ses films. La plus mémorable reste sans doute celle d'Arizona Dream avec des collants, totalement absurde.
Spike Lee - Dolly Shot
C'est le plan-signature de Spike Lee : la tête du personnage est fixe dans le cadre, car la caméra y est attachée, pendant que le reste du décor bouge et tourne autour de lui.
Christopher Nolan - Backshot
Nolan a assez peu de gimmicks de réalisation en tant que tels. On parle plutôt de son utilisation du temps, du montage non linéaire. Malgré tout, il aime beaucoup filmer les personnages immobiles et de dos, se tenant face à quelque chose d'impressionnant.
Alfonso Cuarón - Elastic shot
C'est ce plan dont je parlais en début d'article : celle du bras télescopique que vous pouvez retrouver en fin de vidéo. Dans Gravity, il s'agit de Ryan accrochée à un bras de la navette tandis que dans Harry Potter, c'est Hermione qui est malmenée par le Saule Cogneur dans un drôle d'effet élastique.
Ingmar Bergman - Side to Face
Chez Bergman, on a souvent affaire à ce plan qui contient deux personnages : l'un est de profil au premier plan, l'autre est de face au second plan.
Alfred Hitchcock - Stairs
Il y avait tant de choses à montrer chez Hitchcock ; l'effet Vertigo aurait fait l'affaire comme plan-signature, mais j'ai déjà fait une vidéo à ce sujet récemment. J'ai donc choisi les escaliers, qu'on retrouve souvent comme déclencheurs d'un événement important.
Ethan & Joel Coen - Suitcase issue
Dans la plupart des films des frères Coen, il est question d'une valise ou d'une mallette contenant une chose convoitée. La plus mémorable est celle de No Country for Old Men, qui donne lieu à l'une des plus belles scènes de tension du cinéma.
M. Night Shyamalan - Television shot
M. Night Shyamalan propose un cinéma assez technique, précis et réfléchi. Dans la plupart de ses films, les médias jouent un rôle très important. La télévision, ou plus globalement toute sorte d'écran, apparaît quasiment dans chacun de ses films. Parfois, des choses s'y reflètent, car les reflets font également partie des gimmicks de Shyamalan.
Steven Spielberg - Rearview mirror shot
On termine avec Spielberg et ses rétroviseurs, qu'on retrouve dans une majorité de ses films et ce, depuis ses débuts : l'objet est d'une importance capitale dans Duel.
Et voilà, j'en ai fini avec ces plans-signatures. Combien en aviez-vous trouvé ?