Ces retrouvailles avec Céline et Jesse faisaient partie de mes grandes impatiences. Aujourd'hui, j'ai enchaîné Before Sunrise (1995), puis Before Sunset (2004) et enfin Before Midnight (2013). J'ai passé la plus douce et romantique des journées. La saga Before, c'est tout d'abord une délicieuse idée de Richard Linklater, dont le procédé d'étirer un projet sur plusieurs années est devenu un petit gimmick, comme en témoigne l'hallucinant Boyhood qui avait été tourné sur une durée de 12 ans. Pour la trilogie Before, le concept est légèrement différent mais tout aussi passionnant : on suit la relation entre Céline et Jesse, étalée sur trois films espacés de 9 ans chacun. Chacune des temporalités est en temps réel ou presque, ce qui permet une authenticité maximale.
Me consacrer à cette trilogie pendant toute une journée fut extrêmement facile et agréable, tant la poésie amoureuse émanant de ces trois films est touchante. Il faut dire aussi que leur durée est assez faible (4h40 au total), et qu'aucune séquence n'est à jeter. J'avais peur d'une chose : que ma sensibilité ait évolué en 10 ans. Je n'avais vu ces trois films qu'une seule fois il y a plus d'une décennie et je craignais d'avoir perdu cette réceptivité à la magie romantique de Before Sunrise. Me voilà donc enfin rassuré : je ne suis pas encore totalement devenu un vieux con.
Before Sunrise
Je ne suis pas allé jusqu'à respecter les titres des films, et je n'ai donc pas regardé Before Sunrise avant le lever du soleil. C'est tout excité et des étoiles plein les yeux que j'ai lancé le DVD du premier opus sur les coups de 10h. Presque deux heures plus tard, j'ai pu constater avec quelques frissons que mon amour pour Before Sunrise n'avait pas changé d'un iota. Il conserve donc indiscutablement sa place dans mon top 50, car le concept du film fait chavirer mon cœur. Sa force réside dans le fait de pouvoir s'identifier aux personnages : on rêverait toutes et tous d'être le Jesse ou la Céline de quelqu'un.
Before Sunrise est fort car il ne s'embarrasse pas de musiques mélodramatiques ni d'histoires rocambolesques : on a juste affaire à deux êtres que le hasard de la vie réunit dans un train, et qui vont développer des sentiments au rythme de leurs discussions toutes simples. Les regards des deux acteurs permettent de créer une authenticité qu'il est difficile d'égaler dans le genre de la comédie romantique. Presque sans artifices cinématographiques, ce couple se forme sous nos yeux et chaque scène transpire le coup de foudre évident. Je ne vais pas le répéter pour chaque volet donc je le dis une bonne fois pour toutes : Julie Delpy et Ethan Hawke sont constamment vibrants et crédibles, à tel point que Céline et Jesse semblent réels. On croit sans difficulté à cette rencontre inhabituelle, à cette connexion qui se crée en quelques instants, à cet amour qui se scelle en quelques heures.
Et puis, bien sûr, les dialogues. Before Sunrise, comme ses deux suites, est un film de dialogues. Au début, on pourrait croire que l'ennui va poindre chez le spectateur puisque les deux jeunes gens se promènent au hasard dans Vienne sans connaître la ville, et qu'on se demande bien ce qu'ils vont bien pouvoir se dire durant 1h30 sans créer un effet de répétition ou de lassitude. Pourtant, 1h30 plus tard, on a si joliment été embarqués dans ces discussions magnifiques et passionnées qu'on peine à croire que le temps soit passé si vite. Entre véritables moments de poésie (la scène sur la chanson Come Here de Kath Bloom est une merveille en terme de jeux de regards) et conversations stimulantes, pas un seul moment n'est de trop. Et c'est sans compter sur la réalisation de Linklater qui laisse le temps aux acteurs et aux personnages de s'exprimer, avec de longs plans-séquences qui les suivent au détour d'une ruelle ou d'un parc.
Par rapport à mon dernier visionnage, quelque chose a changé et je m'en suis aperçu : j'ai vieilli et je n'ai plus le même âge que Céline et Jesse. En 2010, j'avais environ 22-23 ans, soit le même âge que les personnages, et je me retrouvais totalement dans ce désir de croire en l'amour fou et magique. Presque 15 ans plus tard, je suis maintenant plus vieux que les personnages et je porte sur eux un regard plus cynique : je ne partage plus vraiment leur naïveté. Néanmoins, ce n'est pas un défaut et ça ne m'a pas rendu cette romance moins touchante, car le fait de voir cette jeunesse profiter de ces moments d'innocence et de pureté est terriblement bouleversant. Bref, Before Sunrise est magnifique.
Before Sunset
Après une petite pause, j'ai repris mon marathon vers 13h avec Before Sunset, le film le plus court de la trilogie car il sert surtout de transition pour conclure un arc qui avait été laissé en suspens à la fin de Sunrise. Toutes les qualités que j'ai énoncées pour le premier volet peuvent être attribuées à l'ensemble de la trilogie, je ne vais donc pas me répéter pour ce qui est de la mise en scène, du jeu d'acteur ou de l'écriture (scénario et dialogues sont parfaits).
Before Sunset est moins naïf et plus mûr que le précédent, à l'image des deux personnages qui ont évolué et dont la vie a pris un triste chemin. Encore une fois, ce film parlera à la majorité des spectateurs. En effet, qui n'a jamais rêvé de connaître une histoire d'amour impossible ? La vie, ce n'est pas du cinéma, mais le cinéma peut parfois être un fantasme de vie. Before Sunset est magnifique et rejoint la grande tradition des romances sur fond de rendez-vous ratés. Le film joue avec la nostalgie pour apporter encore plus d'émotion : le sentiment amoureux qui vient à nouveau frapper les personnages est décuplé car il est l'aboutissement de 10 années de frustration pour les personnages. Et bon sang, que cette histoire est belle !
Encore une fois, les personnages touchent juste à chaque instant, sans jamais en faire trop. J'ai adoré le soin avec lequel Linklater et ses co-scénaristes ont créé une sensation d'authenticité en ne brusquant pas les choses. Jesse et Céline ont été brisés par cette rencontre 9 ans plus tôt, et surtout par leur rendez-vous raté 6 mois plus tard. Les deux ont des fêlures et, même si chacun semble avoir construit quelque chose pour avancer dans sa vie, ils n'ont pas tourné la page, ils n'ont pas oublié l'événement de leur vie, celui qui nous a été conté dans le premier film. S'ils font leur maximum pour éviter d'aborder le sujet afin de ne pas révéler leurs faiblesses, on sent, au fur et à mesure que le film avance, une urgence des deux côtés. Lorsque ces blessures éclatent en fin de film dans la voiture, on assiste à un moment d'émotion pure, renforcée par la justesse d'Ethan Hawke et Julie Delpy. C'est bouleversant.
Plus on se rapproche de la fin du film (qui dure seulement 1h20 pour renforcer la sensation que le temps passe trop vite et qu'ils sont à deux doigts de refaire la même erreur qu'en 1994), et plus ils retardent le moment de se quitter, pour une conclusion des plus magnifiques qui vient contrecarrer le mauvais sort. Non, ils ne referont pas la même erreur deux fois. Before Sunset est un bijou sur tous les points.
Before Midnight
J'ai enchaîné le dernier volet de cette trilogie immédiatement après le précédent, vers 14h30. Tout comme les deux autres, je n'avais vu Before Midnight qu'une seule fois au cinéma il y a plus de 10 ans. En 2022, j'avais éprouvé une grande déception : celle de ne pas voir sortir un quatrième opus pour respecter la suite logique des 9 ans d'écart. Cependant, il m'a fallu attendre aujourd'hui pour changer d'avis sur le sujet : un quatrième film n'aurait servi à rien car Before Midnight conclut toute cette histoire à la perfection, et qu'il n'y a rien à ajouter.
Après l'innocence, puis la maturité, ce dernier film est celui de la désillusion. C'est du génie. Rares sont les romances cinématographiques à étudier "l'après". C'est d'ailleurs souvent un reproche qui est fait aux comédies romantiques, qui enjolivent toute la magie d'une rencontre sans jamais oser en aborder les suites. Ici, Linklater ose déconstruire toute cette naïveté qui faisait la force des deux premiers films : finis les petits nuages, on retombe les pieds sur terre 9 ans plus tard. Before Midnight vient nous rappeler que la magie qui existe aux débuts d'une relation s'estompe toujours avec le temps, et qu'il faut accepter de voir cette relation changer pour devenir autre chose. Non, le sentiment amoureux ne dure pas toute une vie, car les difficultés viennent le briser à coups de disputes et de désaccords. Par contre, il peut laisser place à une confiance qui renforce les liens et les rend plus solides.
Si les conversations de Before Midnight sont un peu moins passionnantes car le réalisateur laisse, cette fois, la parole à de nombreux autres personnages, le film se concentre toujours sur le couple Céline / Jesse avec puissance et authenticité. Il était difficile de faire plus brillant pour conclure cette histoire, avec raison et cohérence. Pour le spectateur, voir ce couple pourtant "magique" s'effondrer ou se fragiliser laisse un goût amer, mais ça permet aussi de prendre conscience que toute relation amoureuse finit toujours par ne plus être idéalisée. Oui, il est dur de voir Céline balancer à Jesse qu'elle ne l'aime plus, surtout lorsqu'on repense aux 3 heures de romantisme que constituent les deux premiers films, mais c'est la dure réalité et il faut l'accepter. Cela permet de jouer sur la nostalgie et de montrer qu'un couple peut rester fort face à tous ces changements. Before Midnight est donc, lui aussi, une merveille d'écriture.
Voilà pour cette trilogie, dont j'ai enfin réussi à parler sur ce blog (j'attendais ce moment depuis 2013). Je suis ravi d'avoir consacré ma journée à suivre Céline et Jesse à travers les rues de Vienne, de Paris, de la Grèce. Ce fut intense et magique.