J'avais découvert Mysterious Skin aux débuts de ce blog en 2010 et je l'avais détesté, notamment parce que le synopsis sur la jaquette du DVD était trompeur. M'attendant à un film fantastique sur des enlèvements extraterrestres, je m'étais retrouvé devant un drame violent et provocateur sur fond de pédophilie. Ce fut une surprenante déception. Il m'a fallu bien des années avant de retenter ma chance en connaissance de cause. Je suis content d'avoir revu Mysterious Skin ce soir. Premièrement, parce que j'ai revu mon appréciation à la hausse (ce n'était pas difficile) et deuxièmement, parce que je suis maintenant certain de ne plus jamais le revoir.
Cet article spoile l'intégralité du film.
Réévaluer ce film à la hausse ne signifie pas pour autant que je me suis mis à l'adorer et à le trouver génial. J'y reviendrai plus loin. Malgré tout, cette fois-ci j'étais préparé à ce que j'allais voir et j'ai trouvé un peu plus de sens à cette intrigue. Mysterious Skin étudie les conséquences de la pédophilie sur deux jeunes garçons en passe de devenir adultes. L'un se souvient de tout et semble avoir forgé sa personnalité sur les violences qu'il a subies, l'autre est dans le déni et se protège en croyant avoir été enlevé par des extraterrestres (soit dit en passant, cette histoire fantastique ne trompe personne : tout spectateur un minimum perspicace aura compris ce qui est arrivé à Brian dès les premières minutes).
On explore donc la psychologie de ces deux jeunes, à travers leur façon de réagir face aux violences endurées et de gérer un traumatisme commun. Le sujet (dénoncer la pédophilie) fait évidemment l'unanimité et il est difficile d'endurer certaines scènes du film, puisque Gregg Araki a fait le choix de montrer les actes sexuels de manière relativement explicite : elles sont brutales et sans ménagement.
Le film est globalement cohérent quant au traitement psychologique de ses personnages, contrairement à ce que je disais il y a 14 ans. A l'époque, je prétendais que l'évolution de Neil n'avait aucune logique, et je reviens évidemment sur ces propos puisqu'il est juste complètement détruit psychologiquement, au point d'avoir transformé ces agressions d'enfance en addictions d'adulte. Mysterious Skin traite du sujet de la prostitution de manière frontale, ajoutant davantage de couches de violence à mesure que Neil sombre dans un cercle horriblement vicieux.
Le casting est irréprochable, et c'est sans doute l'atout principal du film. J'ai été particulièrement heureux de redécouvrir Elisabeth Shue ; j'avais oublié qu'elle jouait ici la mère de Neil, et quel plaisir de la voir ! De même, Joseph Gordon-Levitt et Brady Corbet sont exceptionnels pour leurs débuts de carrière, jusqu'à une rencontre finale qui vient clore cette histoire avec un profond pessimisme. C'est d'ailleurs l'un des premiers soucis du film, à mon goût : Araki passe 1h40 à nous montrer à quel point ces enfants sont détruits, sans avenir, broyés. A aucun moment, par contre, il n'entrevoit la possibilité d'une reconstruction, aussi difficile soit-elle. Le film se termine sans espoir pour ces deux jeunes adultes, et la question de savoir ce qu'il adviendra d'eux ne semble pas du tout intéresser le cinéaste. C'est bien dommage, car ça laisse un peu l'impression que le but de Mysterious Skin est de choquer avec des scènes très crues, pour ne rien faire de tout ça ensuite.
On en vient alors au principal reproche que je ferai au film, et pour le coup je n'en démordrai pas, même si je le vois 12 fois : Mysterious Skin a un côté malsain qui me dérange beaucoup. D'aucuns diront que l'aspect provocateur est justement la force de cette œuvre, car elle permet d'imprimer la rétine avec des séquences extrêmement osées, comme celle du fist-fucking raconté dans les détails, mais ce n'est pas mon reproche. En fait, la morale de Mysterious Skin m'interroge énormément et me fait froncer les sourcils, car Gregg Araki franchit (dès le début du film) une limite que je ne parviens pas à tolérer : il y a une volonté de rendre le consentement de Neil assez flou.
Au début du film, par exemple, Araki nous raconte que cet enfant de 8 ans, avant même d'avoir subi une quelconque agression, se masturbe et éjacule (!) en voyant sa mère coucher avec son coach (Bill Sage, également parfait dans le rôle). Dès le départ, on nous annonce donc clairement que Neil (petit garçon de 8 ans hein) éprouve une attirance sexuelle pour cet homme, et désolé mais ça ne passe pas, je trouve ça scandaleux. Je ne parviens même pas à qualifier ça de maladroit. On est au-delà de la provocation, et cette scène gâche à mon goût tout le propos du film. Si ça peut rester compréhensible plus tard, lorsque Neil a 19 ans et raconte qu'il garde un "bon" souvenir de son bourreau parce qu'il lui donnait l'impression d'être un petit garçon important, je trouve impardonnable de sexualiser ainsi un enfant en prétendant qu'il y aurait une forme d'amour consenti. En ceci, Mysterious Skin semble parfois malsain, s'écartant souvent de l'envie de "choquer pour marquer le propos". Certaines scènes sont un choc dans le mauvais sens du terme car elles posent question sur la morale douteuse du film. C'est d'ailleurs le même problème que j'ai avec des types comme Larry Clark, qui sont dans une volonté de sexualiser des enfants ou ados dans un but qui frôle la gratuité. Fort heureusement, Mysterious Skin n'est pas toujours gratuit, mais un peu quand même.
Bref, voilà tout pour Mysterious Skin, dont je comprends mieux aujourd'hui certains aspects du propos, et accepte en partie la violence crue et froide qui empêche néanmoins tout type d'émotion. Il m'en reste un arrière-goût de morale douteuse.