Après Gladiator II et Here, j'enchaîne les déceptions au cinéma puisque The Substance n'a pas, lui non plus, comblé mes attentes. Bien qu'intéressant sur de nombreux points, ce film assez vide et ultra référencé n'atteint jamais la qualité des films qu'il cite. Le propos est balourd et le concept de base manque cruellement de cohérence.
Cet article est réservé aux gens qui ont vu le film.
Un concept qui ne tient pas
L'un des principaux problèmes de The Substance est son manque de clarté sur son concept de base. Le film a beau nous marteler sans cesse que les deux femmes ne sont qu'une seule et même personne, ce postulat n'est malheureusement jamais montré à l'image. Au contraire, Coralie Fargeat dissémine des indices tout au long du film qui semblent prouver que Elisabeth et Sue sont en fait deux entités distinctes. Il manque, en effet, une règle fondamentale qui aurait pu rendre le film terriblement excitant : la certitude que la conscience d'Elisabeth voyage d'un corps à l'autre d'une semaine sur l'autre. Cela aurait pu donner un film passionnant sur l'image que cette femme a d'elle-même et sur le regard des autres, qu'elle aurait pu étudier et comparer à chaque switch.
A la place de ça, The Substance fait tout pour nous indiquer le contraire, ce qui gâche à la fois la cohérence et la puissance de ce switch. D'aucuns diront (à raison) que le film nous rappelle sans cesse cette fameuse règle : "vous ne formez qu'une", sauf que ce n'est absolument jamais montré à l'écran, ni visuellement, ni dans le caractère et les réactions des deux personnages. A la limite, l'idée est suggérée lors du premier transfert puisque la caméra passe en vue subjective, donnant alors l'impression que c'est bien la conscience d'Elisabeth qui a été propulsée dans ce nouveau corps, mais cette idée géniale est très vite abandonnée, comme si elle était trop ambitieuse.
Vous pourrez dire ce que vous voudrez, ce qui nous est montré à l'image est pourtant clair : les deux femmes n'ont pas du tout la même personnalité, ni les mêmes envies, alors qu'Elisabeth (la soi-disant seule et unique) devrait au contraire utiliser ce deuxième corps comme une chance pour continuer à réaliser son rêve. Ici, on a plutôt affaire à deux femmes qui s'affrontent et ne vont clairement pas dans la même direction, qui ne s'accordent aucune forme d'entraide, qui se haïssent. Cela pourrait avoir du sens puisque Sue a horreur de son image réelle, tandis qu'Elisabeth est jalouse à en crever de sa version rajeunie. Mais, si les deux corps partageaient la même conscience, comment Elisabeth pourrait-elle être jalouse d'elle-même et se détruire ? Cela n'a de sens que si elle se sent extérieure à Sue.
D'ailleurs, il est impossible que Sue et Elisabeth partagent la même conscience puisqu'aucune des deux ne se souvient de ce que l'autre a fait la semaine précédente. Il n'est jamais montré, à un seul moment dans le film, que leur mémoire est partagée. Chacune découvre avec effroi, au réveil, ce que l'autre a engendré pour lui faire vivre un enfer. J'ai lu des internautes prétendre que le personnage a des troubles de la personnalité ou des amnésies, ce qui n'a aucun sens et prouve juste un aveuglement face à ce que le film échoue à montrer. Même l'histoire du motard ne prouve rien, au contraire : Elisabeth ne reconnait pas le motard mais uniquement le casque sur lequel Coralie Fargeat concentre sa caméra à de multiples reprises, afin qu'on comprenne bien que c'est le casque qui est reconnu et non l'homme.
Pour conclure sur cette dissociation (montrée par les images, les personnages et la narration) qui gâche l'intégralité du concept du film, la preuve ultime est faite en fin de film, lorsque les deux femmes se battent littéralement l'une contre l'autre, chacune visiblement bien incarnée séparément dans chacun des deux corps. Ce combat à mort entre les deux personnages aurait été tout simplement impossible en cas de conscience partagée. Bref, The Substance échoue donc à tenir un concept de base qui aurait pu être passionnant, et l'idée tombe donc totalement à l'eau. En effet, Elisabeth aurait dû cesser de prendre la substance en comprenant que ce n'était pas elle qui devenait plus jeune, mais une autre entité qui prenait sa place la moitié du temps. Aucun bénéfice pour Elisabeth, en somme.
Un film inégal et très référencé
Ceci étant posé comme base de mon immense déception, je ne vais pas non plus défoncer le film comme j'ai pu le voir ici et là, car The Substance se révèle très efficace sur de nombreux points. Toutes les parties centrées sur Elisabeth fonctionnent, notamment l'introduction du film mais également toute la dimension vengeresse du personnage dans la deuxième moitié. La vengeance est hyper cool, j'ai souri en voyant que les tripes à la mode de Caen (ma ville de cœur) et le boudin pouvaient susciter l'horreur la plus glauque. De plus, Demi Moore prouve une fois de plus qu'elle est une actrice exceptionnelle. Elle est toujours juste malgré une direction d'actrice parfois maladroite (on y reviendra plus bas), d'autant que sa transformation est particulièrement réussie en terme de maquillage et de prothèses. Par contre, et c'est en ceci que le film est inégal, toutes les séquences tournant autour de Margaret Qualley sont très superficielles. La plupart du temps, il s'agit de scènes graveleuses qui mettent en avant les atouts physiques de l'actrice en gros plan, dans des clips sur fond de musique immonde. Margaret Qualley, dans ce film, n'a que peu d'occasions de montrer ses talents de comédienne... Tourner un film féministe de manière anti-féministe, c'est assez curieux.
Concernant les références que le film accumule, j'ai adoré tout le début du film, c'est-à-dire les 45 minutes qui précèdent le premier switch. J'ai vraiment cru, lors de ce démarrage, que The Substance allait me plaire au moins d'un point de vue formel. Le film emprunte à de nombreux chefs d'œuvre, en particulier à ceux de Kubrick ou Aronofsky, et j'ai été particulièrement sensible aux gros plans sur les seringues qui font penser à Requiem for a dream, ou encore aux plans symétriques qui rappellent un Shining. Le souci, c'est que les références et hommages sont de plus en plus poussifs au fur et à mesure que le film avance. Coralie Fargeat prend un peu de tout et assaisonne son film de dédicaces en veux-tu en voilà. Si on peut comprendre que The Substance prenne Shining pour exemple, la répétition de scènes similaires au film de Kubrick devient de plus en plus lourde à mesure que le film avance. Un clin d'œil, c'est bien, mais 4 ou 5, c'est grossier. En voici trois que j'ai repérés, mais il y en a d'autres (Ainsi parlait Zarathoustra de 2001 L'odyssée de l'espace est carrément utilisée lors d'une scène-clé, comble de la prétention pour une réalisatrice qui débute tout juste).
De même, on retrouve énormément d'Aronofsky. Requiem for a dream est une allusion très claire avec la prise de drogue clipesque, et le gros plan sur la pupille qui se dilate. Mais alors : hommage ou pompage ? La limite est fine. Et s'il n'agissait que de cet emprunt, ça serait passé. Mais Coralie Fargeat copie également les gros plans sur les plaies qu'on triture, avec cette seringue qui pénètre dans la même blessure encore et encore, comme le faisait le personnage de Jared Leto dans le film d'Aronofsky. Et comme si ça ne suffisait pas, on a aussi droit à une revisite de Black Swan dans le trouble identitaire et la souffrance du corps. Cela fait beaucoup. Demi Moore nous fait parfois du Natalie Portman avec cette femme tourmentée par elle-même, allant jusqu'au ridicule lorsqu'Elisabeth gratte ses propres plaies ou se frotte le visage pour détruire son maquillage. Quelques gros problèmes d'écriture et de direction d'actrices rendent le film lourd voire grossier.
Enfin, le film référence le cinéma de Cronenberg, notamment Videodrome ou encore La mouche. La transformation finale d'Elisabeth est clairement inspirée de la métamorphose du personnage de Jeff Goldblum dans La mouche, notamment la découverte du visage monstrueux dans le miroir. Néanmoins, tout le côté body horror de The Substance est très réussi graphiquement, avec un bel effet choc. Les prothèses, maquillages et costumes sont incroyables, crédibles, aussi dégueulasses et choquants que possible, et j'ai même apprécié l'outrance assumée du dernier quart d'heure du film qui, au moins, apporte quelque chose de surprenant pour conclure toute cette intrigue en parlant de faux-semblants et de sourires de façade. Franchement, c'est une conclusion qui claque.
L'extrême lourdeur d'un propos assez vide
Pour terminer cet article, je voudrais mentionner le manque cruel de subtilité dans The Substance. Malgré son côté outrancier parfaitement assumé, le film est une catastrophe pour ce qui est de faire passer son message, horriblement lourd et superficiel. La métaphore qui consiste à torturer littéralement le corps d'Elisabeth pour bien montrer "qu'il faut souffrir pour correspondre aux standards de beauté" est confondante de lourdeur. On est parfois quasiment dans la même grossièreté qui m'avait tant déplue dans Men d'Alex Garland. Un propos balourd, forcé, outrancièrement évident. Avait-on besoin de 2h20 pour parler de féminisme de la sorte ? Autant j'ai adoré voir tous ces hommes déglingués par Coralie Fargeat, puisque les personnages masculins sont tous des ordures dont la dégueulasserie est montrée à l'extrême (la scène des gambas), autant le propos sur l'image, le culte de la jeunesse, la destruction du corps de la femme pour exister, est d'une balourdise...!
The Substance, malheureusement, est un film superficiel sur la superficialité. Un sacré paradoxe.
Au-delà de ces thématiques pour lesquelles la réalisatrice sort les gros sabots et les talons aiguilles, de nombreuses scènes sont surexplicatives et j'ai régulièrement eu l'impression d'être pris pour un abruti. Un exemple parmi tant d'autres : parlons de la scène lors de laquelle Elisabeth recroise le médecin qui lui avait fourni la Substance... Lors de cette scène, on comprend très rapidement que le vieux monsieur qui parle à Elisabeth est la version "matricielle" du jeune homme du début. Sa réplique est sans équivoque, tout comme le gros plan sur sa tâche rouge au poignet, il n'y avait pas besoin de plus pour que le spectateur identifie ce personnage. Sauf que non, le film vient nous l'expliquer comme si nous avions dormi pendant la première heure, à coup de flashbacks (ok on a compris), puis en faisant tomber la carte du mec (on a compris bordel), puis en mettant en évidence sa cicatrice dans le dos (!!!). De même, le film ressort régulièrement des rappels de lui-même comme si nous étions des demeurés. Je pense par exemple à cette scène pendant laquelle Elisabeth retrouve le cadeau offert par Harvey (Dennis Quaid). Le spectateur un minimum attentif sait parfaitement d'où vient ce cadeau, mais il a fallu que la réalisatrice rajoute le visage de Dennis Quaid en surimpression sur le cadeau, au cas où on serait trop stupides. Quel manque de subtilité, quel manque de finesse !
Bref, The Substance est tout de même intéressant pour son choc body horror, notamment sur la dernière partie du film assez folle. Malheureusement, le film ne raconte pas grand-chose et passe 2h20 à le faire avec lourdeur. Beaucoup de bruit pour rien.