La Passion de Jeanne d'Arc - de Carl Theodor Dreyer - Critique enflammée

La Passion de Jeanne d'Arc - de Carl Theodor Dreyer - Critique enflammée

      Dans Vivre sa vie de Godard en 1962, Nana pleure devant le visage en larmes de Renée Falconetti en regardant La Passion de Jeanne d'Arc. Contre toute attente, cette larme d'Anna Karina m'a été transmise, et c'est sur ma joue qu'elle a coulé ce soir. Je ne m'attendais absolument pas à apprécier ce drame de 1927 retraçant le procès et la mort de Jeanne d'Arc, et je me retrouve pourtant tout chamboulé par cette pure merveille. A vrai dire, j'avais anticipé le visionnage de ce film un peu comme une corvée, craignant que le thème ne me parlerait pas et que j'allais m'ennuyer ferme. Quelle erreur !

 

Les larmes de Renée Falconetti.

Les larmes de Renée Falconetti.

Les larmes d'Anna Karina devant celles de Renée Falconetti.

Les larmes d'Anna Karina devant celles de Renée Falconetti.

      Ça y est donc enfin. 13 ans plus tard, je comprends ce que Nana a pu ressentir devant ce film, et mon visage ne fut pas si éloigné de celui qu'affichait Anna Karina il y a plus de 60 ans. Dès les premières minutes, j'ai été hypnotisé par La Passion de Jeanne d'Arc comme je le suis rarement devant un film (surtout un film des années 20). Pour réaliser ce film, Dreyer s'est appuyé sur des documents historiques authentiques, dont les transcriptions originales du procès de Jeanne d'Arc en 1431, qui ont été conservées depuis 600 ans. En ayant accès à ces documents et à leur traduction française, Dreyer a pu reprendre presque mot pour mot les nombreux dialogues entre Jeanne et les juges. Il a ainsi pu reproduire assez fidèlement les accusations et les interrogatoires qui ont abouti à l'exécution de la jeune femme de 19 ans.

      Toute cette authenticité donne au film une intensité dramatique particulièrement puissante, d'autant que le réalisateur renforce l'émotion visuelle avec une mise en scène exemplaire. En effet, Dreyer insiste sur le visage de Jeanne d'Arc, jouée par l'exceptionnelle Renée Falconetti qui est ici plus que bouleversante. Chaque émotion semble vouloir faire voler ses yeux en éclats, c'est purement magnifique à voir. Face à elles, ses bourreaux grimaçants font bloc contre elle, on peut évidemment y voir une critique de la logique inquisitoriale de l'époque, voire du système patriarcal odieux qui a mené à la torture de la jeune femme, seule face à tous ces hommes autoritaires.

 

La Passion de Jeanne d'Arc - de Carl Theodor Dreyer - Critique enflammée
La Passion de Jeanne d'Arc - de Carl Theodor Dreyer - Critique enflammée
La Passion de Jeanne d'Arc - de Carl Theodor Dreyer - Critique enflammée

      Au départ, La Passion de Jeanne d'Arc devait être un film parlant : réalisé la même année que Le chanteur de Jazz (premier film non-muet de l'Histoire du cinéma), le film a été pensé avec des dialogues. Seulement, Dreyer n'a pas pu faire aboutir ce projet à cause de problèmes techniques et La Passion de Jeanne d'Arc est donc resté un film muet malgré la grande quantité de dialogues. J'ai presque envie de dire que c'est une chance, car ça donne à cette reconstitution encore plus de puissance : notre attention est rivée sur les expressions de l'actrice et c'est sublime. 

     Mais la grande force du film, c'est la musique. A l'époque de la sortie du film, il n'existait pas de musique officielle puisque les projections étaient généralement accompagnées d'orchestres qui ne jouaient pas toujours les mêmes airs. Cependant, en découvrant La Passion de Jeanne d'Arc pour la première fois, le compositeur Richard Einhorn a décidé d'écrire une musique pour le film en 1994, connue sous le nom de "The Voices of Light" et qui est celle qu'on peut entendre dans la plupart des versions actuelles du film.

      Cette musique est une merveille.

      De la première à la dernière minute, j'ai savouré chaque seconde de cette bande "originale". Les voix comme les mélodies sont parfaites et m'ont permis d'entrer dans chaque séquence avec une grande émotion. Il est probable que sans cette composition admirablement écrite de Einhorn, je sois passé à côté d'une partie du film. Mais avec celle-ci, ça change toute l'expérience : les musiques sont intenses et émotionnellement puissantes, et je suis en quelques sortes tombé amoureux de certains airs. Depuis que j'ai commencé à écrire cet article, je me repasse en boucle la partie qu'on peut entendre dans le film à 19:55 et 31:45 (voir la vidéo plus bas, ou directement la musique via ce lien). Ça me colle tout simplement d'immenses frissons. C'est beau, juste beau. Presque nostalgique.

 

La Passion de Jeanne d'Arc - de Carl Theodor Dreyer - Critique enflammée

      Pour conclure, je voudrais parler de la restauration du film qui est, encore une fois, miraculeuse. La Passion de Jeanne d'Arc, en effet, n'aurait jamais dû nous parvenir. Il s'agit encore d'un cas exceptionnel de film sauvé in extremis par on ne sait quelle coïncidence. Le premier négatif du film avait subi plusieurs charcutages : tout d'abord une censure qui avait provoqué des coupures dans le film, mais surtout un incendie (terrible ironie). Dreyer n'a, ensuite, pas été capable de reconstituer son film proprement. Alors que toutes les copies "officielles" semblaient avoir en partie disparu, un double du premier négatif a été retrouvé par hasard en 1981 dans un hôpital psychiatrique d'Oslo... Cette copie n'avait donc même pas subi la censure de l'époque, et La Cinémathèque française a pu restaurer le film comme il l'était à l'origine. Un véritable rescapé, en somme. 

 

      C'est donc avec toute l'émotion que ça suscite que je vous propose de découvrir le film en 4k sur Youtube, dans une version absolument magnifique, avec la merveilleuse bande-son : "The Voice of Light". Une pépite que je compte bien revoir (ou réécouter) régulièrement.

 

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E
Merci infiniment de m'avoir pointé vers ce film, dont je ne savais pas qu'il était en accès libre sur YouTube. <br /> Je viens de le voir à l'instant, et je me suis moi aussi pris une belle claque ! Quelle intensité !! Et la musique est exceptionnelle, je te suis volontiers là-dessus. L'apothéose sur le bûcher m'a vraiment bousculé, plus que le reste du film ne m'y avait préparé. <br /> De Dreyer j'avais été un peu échaudé par Vampyr, postérieur de quelques années (et partiellement parlant) mais qui, à part quelques belles idées visuelles et des jeux d'ombres assez saisissants, m'avait globalement laissé de marbre.<br /> Là, j'ai été subjugué par la beauté des (très) gros plans, par la tristesse du regard de Renée Falconetti, et par quelques plans qui me semblent assez fondateurs - notamment ce qui est devenu un gimmick de nos jours, ça commence par la caméra à l'envers puis celle-ci pivote sur un axe vertical pour se remettre à l'endroit. Je me suis dit que c'était peut-être la première fois que quelqu'un avait l'idée de ce plan !<br /> Merci encore donc pour ce coup de cœur partagé !
Répondre
S
Et bien vu pour le plan avec la caméra qui se retourne, je me demande si c'est vraiment la première apparition de cette idée au cinéma !
S
Merci de valider ce coup de cœur, et ravi qu'il t'ait autant plu qu'à moi ! <br /> La musique y fait vraiment pour beaucoup, je trouve.