Rush n'avait pas grand chose pour me plaire : une affiche moche, une histoire d'ego masculins shootés à la vitesse, et surtout un sujet qui ne me passionne absolument pas. La F1, clairement, je m'en tamponne, et je craignais d'assister à deux heures de bagnoles qui tournent en rond, dans le bruit et la sueur, iconisant des comportements de type "moi homme, moi conduire vite". Depuis des années, je lève un sourcil à chaque fois que je vois le succès critique du biopic de Ron Howard : avec une moyenne de 4,3 sur Allociné, le film s'élève au même niveau que des chefs d'œuvres comme Sixième Sens, Citizen Kane, E.T. ou même Shining ! Jamais je n'aurais pensé rejoindre cette horde d'avis positifs.
Et pourtant, le con dans l'histoire, c'est bien moi avec mes préjugés à la noix, puisque Rush m'a passionné du début à la fin. Ron Howard a relevé haut la main un sacré défi : celui de rendre ce duel captivant, sans jamais tomber dans le virilisme ou l'avalanche de détails sportifs. En effet, il est plutôt question ici de rage de vaincre, d'obsession, et même de peur de mourir. Pour ne rien gâcher, Rush m'en a mis plein les yeux avec sa mise en scène soignée : c'est bien du vrai cinéma.
James Hunt et Niki Lauda, c'est un duel de tempéraments : le feu contre la glace, le risque contre la technique. Chacun est incarné avec talent par les deux acteurs principaux, qui rendent ce face-à-face palpitant. Chris Hemsworth m'a proprement épaté, je n'attendais pas autant de subtilité chez Hunt, que je m'étais imaginé plus agressif, buté voire bêta. L'interprète de Thor est ici particulièrement doux dans ses regards et ses expressions, ce qui rend James Hunt humain : on ressent les fragilités derrière son visage de séducteur arrogant. En face, Daniel Brühl incarne un Niki Lauda parfait, avec un jeu beaucoup plus intériorisé. On sent que Lauda est en réflexion permanente, calculant les risques, capable de rester calme et de ne pas répondre aux provocations de son adversaire. Brühl est exceptionnel durant deux heures, son personnage est fascinant.
J'ai été d'autant plus charmé que je m'attendais à un duel acharné, sans foi ni loi. J'avais imaginé des coups bas, de la haine, des disputes explosives. Or, la relation entre Hunt et Lauda est principalement faite de respect mutuel, malgré les différences majeures entre les deux personnages. Pour quelqu'un comme moi, qui n'ai aucune connaissance en Formule 1, au point de n'avoir jamais entendu parler de l'accident de Lauda – oui oui, ignare à ce point ! –, Rush fut un véritable plaisir de la découverte, une très agréable surprise. Le duo fonctionne à merveille.
Pour soutenir ce casting, deux actrices de talent viennent relever le récit, en contrepoints à cette rivalité obsessionnelle. Suzy et Marlene, certes, ne sont présentées que comme compagnes des deux pilotes et n'ont pas d'existence en dehors de ce cadre. Cependant, leur rôle est d'une grande importance : elle révèlent les failles de leurs partenaires masculins et font figure de lucidité dans leurs vies.
Olivia Wilde est aussi élégante et sèche que d'habitude, elle incarne à la perfection la désillusion d'une femme qui comprend vite qu'elle ne pourra pas sauver Hunt de ses démons intérieurs. Suzy finira par abandonner, pour fuir le caractère autodestructeur de son compagnon. Alexandra Maria Lara, quant à elle, apporte tout le contraire : Marlene est une jeune femme qui ne lâche rien et restera un soutien jusqu'au bout, malgré les difficultés. L'actrice joue avec une belle simplicité, sa présence est douce et calme.
Pour finir, il faut absolument parler de la mise en scène : celle-ci est sensorielle. Les séquences sur circuit ne sont jamais explicatives, tout est montré par l'image et l'action est toujours lisible. Même les commentateurs, que je m'attendais à voir déblatérer et brailler durant de longues minutes, sont régulièrement coupés ou tus en plein milieu de l'action. De fait, ils sont inutiles : la tension passe par l'image et la musique.
J'ai été étonné, au bout d'un moment, de réaliser que la caméra ne filme pratiquement jamais l course : elle nous la fait ressentir. Ron Howard propose des plans en immersion, puisque la caméra est souvent dans le cockpit, voire parfois sous le casque, afin de coller au plus près des sensations des deux pilotes. Et de temps en temps, au contraire, elle se pose en bord de route, au ras du sol, afin de nous faire ressentir l'extraordinaire vitesse des bolides. Chaque plan est pensé, et la photographie est soignée. J'ai également adoré les points de vue sur les entrailles du moteur, avec des plans au plus proche de la mécanique : pistons, soupapes, pneus, levier de vitesse, tout y passe.
Le montage permet de ressentir à la fois la tension, la vitesse, l'énergie de chaque course. Entre les vibrations métalliques et les tremblements du cadre, on se croirait nous-mêmes propulsés à 280 km/h. C'est bluffant.
Bref, Rush est une belle surprise, je n'en attendais pas tant d'un biopic sur deux pilotes automobiles, sujet qui ne m'a jamais intéressé, ni de près ni de loin. C'est un film que je reverrai avec grand plaisir.