Qu'est-ce que j'ai pu être bête ! J'ai vu ce film pour la première fois il y a quelques années, et je ne l'avais vraiment pas aimé.
J'avais trouvé ça infiniment chiant, sans intérêt, incompréhensible. Et dire que je lui avais même attribué le nom de "navet", j'ai honte... Alors peut-être étais-je extrêmement fatigué ce fameux
soir, peut-être n'étais-je ni assez mûr, ni assez ouvert cinématographiquement (à l'époque : "c'est lent = c'est chiant", aujourd'hui c'est presque le contraire), et peut-être que le grand écran
change carrément la donne. Certainement ces trois choses à la fois, en fait, parce que je viens de le revoir au cinéma et j'ai pris une grosse claque et je qualifierai dès à présent 2001, L'Odyssée de l'Espace de chef d'oeuvre culte, et Stanley Kubrick de génie quasiment
visionnaire.
Autant le dire tout de suite : si mon cinéma du coin n'avait pas programmé ce film, je ne l'aurais peut-être jamais revu. Dans ma tête, j'avais
terriblement lutté pour le finir, j'avais tenu jusqu'au bout de façon presque miraculeuse. Et pourtant, aujourd'hui je n'ai absolument pas souffert, c'est même plutôt le contraire. Je suis
d'ailleurs ravi d'avoir radicalement changé d'avis sur ce film. J'étais à fond dedans, du début à la fin, si bien que je n'ai pas vu passer les 2h20. Même le gros trip final, qui m'avait tant
rebuté la première fois, m'a subjugué. Faut dire que depuis quelques temps, j'ai appris à apprécier ce genre d'images un peu psychédéliques. Des images qu'on ne comprend pas nécessairement, mais
qui nous clouent sur notre fauteuil. Bon, par où commencer pour parler de ce film ? Eh bien par le début : on a tout d'abord droit à quelques minutes de son sans image, une musique assez bizarre
qui dure un certain moment. On ne sait pas bien pourquoi, mais on s'en fout : ça fout dans l'ambiance direct. Ensuite, le film s'ouvre avec un sublime plan, la Terre vue de l'espace avec la
musique culte (
Ainsi parlait Zarathoustra de
Strauss) qui monte en intensité
jusqu'à l'apparition du titre. Magnifique, frissonnant. Puis vient cette première partie concentrée sur une bande de singes il y a 4 millions d'années. Première chose qui me frappe : la
photographie du film hallucinante. Les paysages sont sublimes, les images m'en ont mis plein la vue, et je raffole vraiment de ça, surtout au cinéma. Les plans sont longs, lents, certes, mais
aujourd'hui je les ai savourés. Le mystère du film apparaît après quelques minutes : un énorme monolithe noir, posé ici au milieu de l'immensité désertique et qui affole d'abord les singes.
Ceux-ci, attirés par leur curiosité, touchent l'objet lisse et pas naturel, avec méfiance. A partir de là, il semblerait qu'ils aient acquis une intelligence plus importante. L'un d'entre eux
réalise que les ossements situés sous ses pieds peuvent lui servir d'outil, et c'est ainsi qu'a lieu le premier meurtre de toute l'histoire de l'humanité. Alors évidemment, l'idée d'un monolithe
qui transmet la connaissance est excellente, je trouve, mais ce n'est pas la seule chose à retenir de ce prologue. J'ai éprouvé beaucoup de compassion et de tristesse pour la malheureuse victime
de ce premier meurtre, allez savoir pourquoi. C'est finalement le premier acte de violence extrême commis au sein d'une communauté et ça fait frissonner.
Bref, à cette magnifique entrée en matière se succède un bond en avant dans le temps puisqu'on se retrouve alors en 2001, au coeur de
l'espace. Deuxième chose qui m'a frappé : la qualité des images et des effets spéciaux. Le film date de 1968 et on pourrait croire qu'il a été fait aujourd'hui. Et encore, je suis sûr
qu'aujourd'hui ça serait moins bien réalisé. J'ai trouvé l'incroyable réalisme des images impressionnant, elles paraissent plus vraies que nature (effet renforcé par la lenteur du film qui
retranscirt le calme et le vide de l'espace). Les effets spéciaux sont loin d'être ridicules, ils sont au contraire sublimes et égalent largement ceux de maintenant. Comment est-ce possible ?
Encore une fois, le génie de Kubrick fait ses preuves, car une grande virtuosité de réalisation se superpose ici à l'intelligence du propos du film. Les plans sont lents, mais ils sont beaux et
le film est clairement un film contemplatif. Visiblement, je n'aimais pas ce style il y a quelques années, alors qu'aujourd'hui je raffole de ça. Qui plus est, je me suis efforcé de me remettre
dans le contexte de la sortie du film en 1968 (un an avant le petit pas de Neil Armstrong). Effectivement,
2001 : l'odyssée de l'espace est
probablement le premier film de science fiction nous offrant un voyage spatial aussi réaliste. A l'époque, c'était clairement du jamais vu et j'imagine dans quel état d'émerveillement devaient se
trouver les spectateurs il y a 43 ans. On est vraiment plongés dans l'immensité et la profondeur de l'espace, et Kubrick fait tout pour qu'on s'y sente réellement. Et là encore, il fait preuve
d'une intelligence plutôt rare de nos jours : à aucun moment le cinéaste ne va introduire de son au coeur du cosmos. Comme chacun sait (sauf peut-être un certain George Lucas), le son ne se
propage pas dans l'espace et
Stanley Kubrick respecte cette règle d'un bout à l'autre, ce qui donne une grosse crédibilité au film. On a
alors droit à deux choix de sa part. La plupart du temps, le réalisateur a choisi de combler cette absence de son par de sublimes musiques (comme toujours chez Kubrick, de la superbe musique
classique qui sublime les images avec brio). Et de temps en temps, il laisse les images totalement dénuées de son, nous permettant de pénétrer à 100% dans ce vide spatial. Peu de réalisateurs
osent tourner des plans sans aucun son, cependant c'est osé mais magnifique. C'est de l'art, tout simplement. Le film est donc purement contemplaif (belles images, longs plans), tellement que la
première parole ne fait son apparition qu'au bout de 30 minutes de film.
On suit alors deux intrigues centrées sur des astronautes. La première nous indique que le monolithe noir est de retour, puisqu'il est découvert
par l'Homme sous la surface de la Lune. Toute cette partie du film est, je trouve, parfois un peu longue. Bien que ça passe très vite, certains passages ne m'ont pas emballé plus que ça (en fait
je l'avoue ; je ne suis pas fan de la musique du Beau Danube Bleu). Ceci dit, à partir de la découverte du monolithe, le film est une merveille. Encore une fois (même réflexe que les singes), les
astronautes ne peuvent s'empêcher de toucher l'étrange objet et on se demande bien quelles conséquences ça va provoquer. La deuxième intrigue, 18 mois plus tard, nous montre l'excursion d'un
vaisseau en direction de Jupiter, là où convergent les ondes émises par le monolithe. Le vaisseau spatial est contrôlé par un ordinateur infaillible,
HAL
9000. Celui-ci est humain, terriblement humain, mais jusqu'à quel point ? Ce "personnage" est franchement passionnant car il témoigne des inconvénients que pourrait avoir notre technologie
(trop ?) avancée. Il ira même jusqu'à avoir des sentiments, une conscience à la toute fin, à l'approche de Jupiter. Je passe rapidement sur cette partie du film : les images sont belles, la
réalisation impeccable, un peu de suspense lié au combat de l'homme contre la machine, tout est maîtrisé d'un bout à l'autre. Je voulais en arriver à ce trip final, qui m'avait rasé la première
fois et que j'ai ici trouvé plus que supportable, voire génial (comme quoi les ressentis changent). On a une succession d'images qu'on ne comprend pas très bien, mais qui sont vraiment
excellentes. Une espèce de délire qui dure un bon moment, jusqu'à la toute fin avec une musique qui monte en puissance.
Beaucoup se posent la question : comment comprendre ces images ? Personnellement, ma vision des choses m'évite cette question.
Effectivement, tout le mystère de ses images est caché derrière cette unique question : "
Qu'est-ce que le monolithe noir ?". Ici, je vais expliquer
comment j'ai compris ceci, et ce n'est bien sûr qu'un avis subjectif (de toutes façons, il est clair qu'il n'y a aucune réponse plus valable qu'une autre :
Kubrick a créé un film nous poussant à réfléchir et à nous faire notre propre interprétation, quiconque affirme détenir la vérité est donc un peu
prétentieux). Bref, d'après ce que j'ai compris, ce monolithe symboliserait l'évolution et la connaissance. D'où vient-il ? Pourquoi est-il ici ? Là encore, toutes les théories sont possibles :
il peut être d'origine extraterrestre, voire divine, ou autre. Je ne crois pas qu'il y ait de connotation religieuse dans ce film, je n'aime donc pas la deuxième possibilité. Par contre, s'il
vient d'une espèce extraterrestre, je trouve une fois de plus le film extrêmement fin et intelligent. Rares sont les films qui entrevoient une espèce extraterrestre très différente de la nôtre.
Souvent, on a droit à des créatures moches, avec des jambes ou des tentacules. Je trouve ça personnellement ridicule. C'est pourquoi
2001 est
magnifiquement recherché, car (si on garde l'hypothèse de l'origine extraterrestre vaguement abordée dans le film) on a ici affaire à une chose pratiquement inimaginable par l'être humain : un
objet permettant de transmettre la connaissance et l'évolution. C'est magistral, c'est beau, bougrement intelligent et subversif (je sais, je me répète). Bref, et comment se passe donc cette
évolution ? Là encore, mon ressenti est le suivant : il y aurait plusieurs "étapes" dans l'évolution, des niveaux de compréhension et de lucidité que le monolithe nous aiderait à franchir. Le
monolithe a premièrement aidé les singes à évoluer, en lui offrant l'intelligence suffisante pour utiliser des outils. Puis, l'Homme évolue tranquillement à partir de cette "aide", jusqu'à être
capable d'accéder à un autre palier d'évolution. Pour accéder à ce prochain niveau, il doit avoir l'intelligence nécessaire pour accéder au monolithe. Or, celui-ci se trouve à présent sur la
Lune. Conclusion : lorsque l'Homme sera suffisamment évolué pour atteindre la Lune, il pourra accéder à un stade d'évolution supplémentaire. C'est ce qui arrive au personnage principal (Dave,
joué par
Keir Dullea), à la fin du film, en atteignant Jupiter. Et c'est également la raison pour laquelle HAL refuse d'atteindre cet
objectif : car il a peur du prochain stade d'évolution. Et voilà également pourquoi on ne comprend plus les images qui apparaissent dans le film. Dave "monte d'un niveau", si on peut dire,
c'est-à-dire qu'il acquiert une intelligence et une lucidité plus importantes. Il est tout simplement "éclairé" et voit le monde de façon différente. Mais nous, simples spectateurs, ne comprenons
pas ceci car nous n'avons pas l'intelligence nécessaire. Dave voit le monde de façon plus claire, son oeil voit les mêmes images que nous, mais il est le seul à les comprendre entièrement.
Et pour ceci, je pense qu'il ne faut pas chercher à comprendre la fin du film, il faut juste la ressentir, car selon moi Kubrick veut nous
montrer qu'on ne peut pas les comprendre. Et là encore, je trouve ça infiniment intelligent et fin de la part de
Kubrick. Car c'est également
une chose à laquelle je pense de temps en temps : le fait que notre intelligence soit encore ultra-limitée, que nous ayons des oeillères qui nous empêchent de comprendre le monde. On croit tout
savoir, mais on ne sait pas encore l'immensité de ce qu'il nous reste à comprendre...
2001 : L'odyssée de l'Espace est l'un des films les
plus profonds que j'ai pu voir, car c'est bien la première fois que je vois cette hypothèse exposée dans un film, et de façon aussi belle.
Kubrick fait preuve d'une ouverture d'esprit purement géniale, et j'adore ça. Le pire, c'est qu'il ne s'arrête pas là puisque visiblement, Dave vieillit
au sein d'un monde futuriste (voit-il son propre avenir ? c'est possible, car ses capacités sont démesurées par rapport aux nôtres), puis rencontre le monolithe une seconde fois, au pied de son
lit. Suite à quoi il atteint un stade encore supérieur (il est alors deux niveaux d'intelligence au-dessus de nous), et c'est là que le film se conclut avec le trip du bébé dans l'espace. Chose
qu'on peut encore moins comprendre que le reste, et c'est ça qui est magique...
Bref, pour conclure cet article, je trouve que
2001 : l'odyssée de l'espace est un
sacré chef d'oeuvre, que ce soit visuel comme philosophique. Il nous montre des images sublimes sur des musiques magnifiques, tout en servant un propos diablement intelligent et pas si complexe
que ça. C'est recherché, c'est bon pour les yeux et les oreilles, et c'est une merveille de réalisation (les plans sont travaillés et longs, contrairement aux films de maintenant qui ne cessent
de zoomer bêtement sur les visages de ceux qui parlent). Chef d'oeuvre, donc... à côté duquel je suis passé toutes ces années.