Bien que j'apprécie
Michel Gondry ainsi que toutes ses vidéos pleines de bonnes idées et très bien réalisées (notamment en utilisant le
stop-motion), j'ai un avis plus mitigé pour ses longs métrages. J'ai beaucoup apprécié
Soyez sympas, Rembobinez, mais je ne suis pas sûr d'avoir envie de le voir une seconde fois. J'ai moins aimé
La Science des Rêves même s'il est très intéressant au niveau de sa réalisation. Les effets en
stop-motion sont bluffants, mais c'est le scénario et les situations qui sont trop floues à mon goût. D'autant qu'une sorte d'ennui s'est installée devant ce film, que j'ai trouvé très long. Bref, je ne suis pas là pour parler de
La Science des Rêves, mais de
Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Ce film est certainement le meilleur film de
Michel Gondry, sans hésitation. C'est un chef d'oeuvre. Car ici, au contraire, il nous balance des situations floues qui virent parfois au n'importe quoi, mais celles-ci servent totalement le film, le rendant onirique et très intéressant.
Ce qui distingue ce film des romances habituelles, c'est le scénario. Dès le début, on est captivés par ces deux personnages que pratiquement tout oppose mais qui finissent néanmoins par s'aimer. Le début du film est simple, passionnant et concis, nous permettant de nous plonger dans la suite avec un réel intérêt.
Joel et
Clémentine se rencontrent dans un bus, et on remarque déjà les caractères très prononcés des deux personnages.
Jim Carrey interprète un homme très "
gentil", très timide, qui a du mal à parler aux filles. En témoigne leur première conversation. Toujours adorable,
Joel semble toujours vouloir éviter le conflit, préférant s'excuser dès qu'il sent une pointe de désaccord dans la bouche de l'autre. Très casanier, il s'avère être quelqu'un d'assez possessif, qui en souffre contre son gré.
Clémentine, au contraire, est excentrique et aime sortir, bouger, et provoquer. Et si leur histoire parait plutôt idyllique au début, elle se dégrade au fil du temps.
Après une ellipse de deux ou trois ans, on retrouve notre couple en pleine crise. La jalousie de
Joel énerve
Clémentine, qui se sent obligée de lui rendre des comptes sur ses sorties, tandis que celui-ci n'arrive pas à comprendre qu'elle puisse s'amuser sans lui et rentrer à des heures tardives. Sa possessivité et sa tendance à souffrir en imaginant les pires scénarii possibles force
Clémentine à partir, même s'il est vrai que
Joel est gentil, romantique et attentionné. Cette histoire est bouclée assez vite, puisque c'est toute la suite du film qui bouchera les trous de cette ellipse de manière subtile et intelligente. Ce film a l'audace de montrer que les jolies histoires d'amour romantiques ne sont pas toujours toutes roses ni éternelles, loin de là. Ce qui donne un réalisme assez fort à ce début de film. De plus, le film implique une certaine moralité concernant la stupidité des jeunes couples extrêmement jaloux qui ne peuvent même pas sortir sans provoquer une dispute (ça n'a rien à voir avec le film mais je suis tombé récemment sur
cette capture d'écran qui m'a assez halluciné).
Ensuite, le scénario devient déjà plus insolite. Alors que
Joel tente de retrouver
Clémentine, il va sur son lieu de travail et l'aperçoit en compagnie d'un homme dont on ne voit pas encore le visage. Elle semble ne pas se souvenir de lui, chose qu'il trouve très étrange. Et c'est là que débute toute l'intrigue du film.
Joel se rend compte que
Clémentine a fait effacer toutes les images de
Joel de sa mémoire, oubliant ainsi totalement qui il est. De cette façon, elle se libère de toute la souffrance due à leur séparation et peut revivre normalement. Apprenant ça, il décide donc de faire de même, afin d'effacer totalement
Clémentine de sa mémoire et de ne plus souffrir. Il contacte donc la société
"Lacuna Inc." et c'est parti pour un trifouillage de cerveau. Chez lui, il accueille
Stan (
Mark Ruffalo) et
Patrick (
Elijah Wood), deux employés de la firme qui s'occupent de supprimer la mémoire de
Joel, ainsi que la secrétaire du patron,
Mary Svevo (interprétée par
Kirsten Dunst).
Joel s'endort et voilà donc le début de la partie onirique de ce chef d'oeuvre.
Le film utilise un procédé assez sympathique. En effet, pendant que les deux employés de la société s'affairent à rechercher tous les souvenirs de
Clémentine dans l'esprit de
Joel (non sans foutre la pagaille dans son appartement), celui-ci revit chacun de ces moments à la manière d'un rêve qui s'effondre. Ainsi, il vit chacun de ses souvenirs, qui s'effacent et se détruisent petit à petit, jusqu'à les faire disparaître tous. Lorsqu'il se rend compte que
Clémentine va définitivement sortir de sa vie, il prend conscience qu'il l'aime encore et qu'il veut retourner en arrière. S'ensuit alors une lutte, où
Joel tente par tous les moyens de cacher
Clémentine dans les recoins de son subconscient afin qu'elle échappe à la sonde destructrice. Mais c'est sans compter sur la tenacité des deux hommes ainsi que sur l'incompréhension totale de
Clémentine qui ne comprend pas pourquoi il tente de s'enfuir avec elle. J'aime vraiment beaucoup la manière dont le sujet de la mémoire a été traité. De nombreuses scènes totalement dingues s'enchaînent, et on est totalement à fond avec
Joel, vivant avec lui le calvaire auquel il tente d'échapper. Plusieurs scènes sont vraiment mémorables, car elles présentent des situations complètement absurdes et improbables, nos deux personnages prenant un bain dans un évier, ou encore se retrouvant dans un lit au beau milieu d'une plage. Le principe de destruction des souvenirs est élégant (une voiture tombant de nulle part), on voit parfaitement bien les rêves se dissiper et disparaître à tout jamais.
Ce film traduit encore une idée magnifique qui est la suivante : "
on se rend compte qu'on aime quelque chose uniquement lorsqu'on la perd". C'est au moment où
Joel réalise qu'il va définitivement perdre
Clémentine qu'il fait tout pour éviter ce drame. On imagine bien tout le stress et toute la tension qu'il doit éprouver, ce qui rend le film encore plus dramatique. Il n'est même pas difficile d'imaginer que
Clémentine a dû ressentir exactement la même chose lorsque ses propres souvenirs ont été supprimés.
Jim Carrey excelle vraiment dans ce rôle de déprimé au grand coeur qui nous inspire la compassion. Il est bien loin de ses rôles trop extravagants et survoltés qui le caractérisent bien souvent. Quant à
Kate Winslet, elle incarne parfaitement le délire, l'excentricité. C'est à elle qu'on doit le ton décalé du film, et il est clair qu'elle nous livre une prestation de qualité, à cent lieues de son rôle assez nunuche de
Titanic (voir ici).
Mais ce film ne se résume pas à ça, et c'est fort. Il dispose de plusieurs trames secondaires qui sont tout aussi palpitantes et qui montrent que les scénaristes ont vraiment bien réfléchi avant de nous pondre ce film. Il est beau de voir que l'idée de départ à été travaillée au point d'en exploiter toutes les conséquences, et qu'ils ne se sont pas cantonnés à la simple trame principale du film. On découvre alors que les personnages secondaires sont en fait beaucoup plus importants qu'on ne l'imaginait. Ce qui est particulièrement malin, puisque ça nous permet en plus de ne pas les oublier, et surtout de n'éprouver aucun ennui tout au long du film. Ainsi, à un moment donné,
Joel se retrouve dans un état plus ou moins éveillé et se rend compte que l'un des deux employés de
Lacuna,
Patrick, se sert de lui pour plaire à
Clémentine. En effet, on apprend que
Patrick, en effaçant la mémoire de la jeune femme, est tombé amoureux d'elle. Suite à ça, il s'est donc accaparé les souvenirs de
Joel et de
Clémentine et les a étudiés afin de lui plaire (on apprend alors que c'est lui qui sort avec
Clémentine lorsque
Joel va la voir sur son lieu de travail). Réutilisant les mêmes phrases, le même romantisme, et l'emmenant aux mêmes endroits que
Joel, il espère ainsi reproduire la rencontre entre
Joel et
Clémentine, et ainsi la faire tomber amoureuse de lui. Ce qui ne marche pas, puisque
Clémentine réagit très bizarrement. On assiste alors à un autre thème parfaitement bien traité : celui des déjà-vus.
Clémentine, sans avoir le moindre souvenir de
Joel, est sujette à de nombreux déjà-vus qui la gênent et lui font comprendre malgré elle que
Patrick n'est pas sincère et que ses paroles sont louches. Voilà donc un côté de ce film qui a été parfaitement réalisé, tout en incluant un sous-thème aussi intéressant que le premier ainsi qu'une autre question d'éthique. Ici,
Elijah Wood est vraiment étonnant et crédible, dans la peau d'un homme amoureux mais terriblement malhonnête.
La deuxième trame secondaire met en scène
Kirsten Dunst. On apprend à la fin du film que le
docteur Mierzwiak (dirigeant de la société
Lacuna), a eu par le passé une relation extra-conjugale avec sa secrétaire
Mary. Suite à ceci, sa femme a pris connaissance de cette aventure et ils ont décidé tous les trois de supprimer ceci de la mémoire de
Mary, afin de terminer cette relation sans souffrance. Ce phénomène implique encore un événement imprévu, puisque
Mary s'éprend de son patron de façon incontrôlable, attirance qu'elle n'arrive pas à s'expliquer. Lorsqu'elle apprend l'origine de ses sentiments, la tristesse la submerge et elle décide de faire couler l'entreprise
Lacuna en les volant et en envoyant à tous les clients leurs dossiers respectifs, qui contiennent évidemment l'essentiel de leur vie effacée.
Kirsten Dunst est vraiment touchante dans l'une de ses dernières scènes, lorsqu'elle apprend qu'elle a subi un effacement de mémoire de la part de la société et qu'elle est uniquement tombée amoureuse de son patron par inadvertance. Une excellente actrice bourrée de talent qui n'a pas fini de faire parler d'elle.
C'est ainsi que
Joel et
Clémentine se retrouvent, étant au courant de l'échec de leur précédente relation, et décident de se remettre ensemble en connaissance de cause. Une magnifique fin pour un sublime film.
Pour conclure,
Eternal Sunshine of the Spotless Mind mêle un scénario en béton servi par une idée de départ extrêmement bien exploitée, des trames secondaires passionnantes, des acteurs justes et talentueux. On y ajoute de nombreuses scènes de rêve, très belles et imaginaires, ainsi qu'une BO de qualité avec notamment "
Everybody's Gotta Learn Sometimes" de
Beck, et on obtient l'un des films les plus maîtrisés, artistiques, aboutis et intéressants du début de ce siècle.
Voir aussi : Kirsten Dunst.