The Indian Runner s'inspire d'une vieille légende à propos des épreuves à passer avant
de devenir adulte. Presque 20 ans avant
Into The Wild, on sent que le réalisateur
Sean
Penn était déjà proche de ce thème du passage de l'adolescence à l'âge mûr. Mais surtout, on a aussi le thème de la liberté et du non-conformisme qui revient avec le personnage de
Viggo Mortensen,
Franky. Un homme sans doute rongé par les hommes qu'il a tués pendant la guerre (il ne
le montre jamais explicitement sauf lorsqu'il demande à son frère quel effet ça lui a fait de tuer quelqu'un (au passage, la première scène du film est superbe)). On sent que le souvenir de cette
période le hante et l'empêche de mener une vie normale. Cet état d'esprit est plutôt un trait de caractère qu'une conséquence directe de la guerre, mais
Frank
ne parvient pas à vivre dans cette société. Incapable de vivre heureux avec sa famille, ni avec une femme ou même un enfant, il préfère se réfugier dans la violence et l'alcool plutôt que de se
ranger dans le mode de vie stéréotypé
famille / travail / maison.

Alors que dans
Into the Wild,
Sean Penn a montré le point de vue du jeune homme indépendant et solitaire, il s'était ici penché sur le point de vue de la famille du personnage, ceux
qui ne comprennent pas le comportement de leur proche. En particulier son frère,
Joe, qui nous raconte tout son ressenti face au changement de comportement de
son frère. Pourtant, même si
Frank commet de nombreux délits,
Joe ne va pas cesser de vouloir l'aider et le soutenir,
cherchant à comprendre ce qui se passe dans la tête de son frangin. On a ici deux frères dont la philosophie de vie diverge. L'un est un adulte entièrement conforme aux règles sociales : un bon
travail, une femme, un fils, une maison et un jardin. Tout ce qui lui manque pour être réellement heureux, c'est son frère qui, lui, n'entend pas la vie de la même façon.
Frank préfère rester loin de sa famille, notamment ses parents, menant une vie totalement différente.
Viggo
Mortensen joue ici un individu très complexe, qui éprouve beaucoup de remords mais ne parvient pas à se sentir bien dans un rythme de vie normal. Il est clairement à plaindre, car
même s'il essaie de s'intégrer dans le moule, qu'il tente d'être heureux avec une femme et une maison, son esprit s'évade ailleurs et sa seule solution est la violence. Le personnage
est très attachant, c'est lui qui fait l'une des grandes forces du film. Inquiétant, bouleversant, totalement incompris, il fait peur à son entourage et tombe
facilement dans des excès de colère liées à son malheur. Le malheur de ne pas pouvoir se complaire dans une vie de famille. Et pourtant, il aime son frère, ça se voit. Les deux frangins sont très
complices, avec pour souvenir leur énorme connivence lorsqu'il étaient gosses. C'est une histoire très touchante, poignante sur l'évolution psychologique des deux personnages, dont les sentimens
transparaissent constamment de façon magnifique. La fin du film nous laisse avec une émotion vraiment très étrange, entre la nostalgie et la tristesse, comme si
Frank nous échappait subitement juste au moment où il tentait de revenir dans le droit chemin contre son gré. Je ne vais pas révéler la fin mais elle est sublime.

Tout ceci est dû aux acteurs, bien entendu. On a affaire à un
casting de dingue. C'est quand même
Viggo Mortensen qui demeure l'acteur le plus passionnant, le plus intrigant. Très angoissant, inquiétant,
grâce à un regard de taré et des expressions bien à lui, il apparaît ici dans l'un de ses premiers films. Et son talent démesuré était déjà là. C'est un acteur qui a commencé à se faire tout
doucement connaître grâce à la trilogie du
Seigneur des Anneaux en 2001, et c'est franchement dommage qu'il ait percé si tard aux yeux du
public. Quand on voit le talent dont il fait preuve dans
The Indian Runner, on ne comprend pas comment un tel comédien a pu passer quasiment
inaperçu pendant 10 ans (même s'il a enchaîné les tournages pendant cette période). Il fait vraiment peur dans ce film, il nous fait trembler et accentue les moments dramatiques de façon
magistrale. Bref, il fait presque tout le film, le portant sur l'une des ses deux épaules. La deuxième épaule est celle de
David Morse,
toujours épatant. On le voit très souvent dans des rôles de policier et je l'ai trouvé notamment génial dans
La Ligne Verte. Ici, dans l'un
des deux rôles principaux, il est absolument parfait. Avec cette capacité impressionnante à jouer la compassion, il interprète naturellement un personnage gentil, souriant, toujours prêt à aider.
Le film est vu à travers ses yeux,
Sean Penn utilisant le procédé de la voix off qui narre le récit mais retranscrit également les sentiments
du personnage, à l'instar de
Into the Wild. Un rôle qui lui va à merveille, il y est vraiment touchant. Dans les personnages secondaires, on
a
Patricia Arquette, que j'ai vue récemment dans
A Tombeau Ouvert et qui ne m'avait pas
impressionné plus que ça. Par contre ici, elle est géniale, pétillante, émouvante (les scènes à table avec son mari est un immense moment d'intensité et d'angoisse) et souvent amusante. On a
également le plaisir de voir
Charles Bronson dans le rôle du
père Roberts. Lui aussi touchant (lorsqu'il
regarde un film de ses deux fils encore gamins), même si on le voit assez peu. Le père de
Joe et
Frank va d'ailleurs être
sujet à une scène des plus sublimes avec un
Viggo Mortensen abattu. De même, on voit
Denis
Hopper assez peu mais ça fait toujours plaisir. La dernière fois qu'on voit ce personnage est le moment clé du film, un énorme tournant dans la vie de
Frank. Certainement le moment le plus intense du film, que je n'oublierai pas de si tôt.
Valeria Golino n'est pas
très connue mais elle est sublime et également talentueuse dans le rôle de la femme de
Joe. Enfin, c'est avec un immense sourire que j'ai accueilli le passage
à l'écran de
Benicio Del Toro qui n'apparaît que l'espace de 30 secondes (mais on a maintenant l'habitude puisqu'on voit ce mec vraiment
partout, ce type est l'incarnation du clin d'oeil).
Mais évidemment, je dois parler du film en lui-même. Même 20 ans avant
Into the
Wild, j'ai vraiment reconnu la patte du réalisateur avec plusieurs similitudes dans la façon de tourner, notamment les zooms sur certains personnages qui ne sont absolument pas
lourds (il y en a deux rien que dans la vidéo ci-dessous), mais surtout les longs plans uniquement musicaux (il y en a trois ou quatre qui placent une ambiance bien particulière et aident
toujours à s'attacher aux divers personnages). A partir de la 41e minute, le réalisateur nous balance une scène absolument sublime de 5 minutes qui relève du génie et ferait presque penser à une
fin de film. C'est la musique
Comin' Back to Me de
Jefferson Airplane (quelle
musique magnifique !) qui accompagne ce moment intense en frissons, peut-être même ma scène préférée du film (malgré la petite incohérence lorsqu'il démarre la voiture avec la clef alors qu'il
venait tout juste de la voler et de la faire marcher en dénudant les fils) que je ne résiste pas à partager ici :
De manière générale, la BO de ce film est sublime, on pourrait même la rapprocher par moment au style de
Eddie Vedder qui m'avait captivé dans
Into the Wild (oui, j'arrête là pour la comparaison). Des
musiques à la guitare vraiment géniales.
Voilà, j'ai été ravi de découvrir ce film que j'ai adoré d'un bout à l'autre, je remercie
Ze Ring (ou était-ce Mona ?) de m'en avoir parlé.
Voir aussi : Into the Wild BO, Into the Wild (Analyse).