Ayant vu Lola de Jacques Demy il y a 8 ans et l'ayant trouvé absolument succulent, je m'étais réservé Les Parapluies de Cherbourg et Les Demoiselles de Rochefort "pour plus tard", en attendant de me sentir prêt à affronter sereinement l'univers des comédies musicales, avec lequel je suis fâché. Récemment (enfin !), j'ai franchi le pas en découvrant pour la première fois ces deux chefs d'oeuvre du cinéma français et, bien loin d'être déçu, j'ai été conquis et surpris.
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Avant de commencer, je dois expliquer pourquoi je dis avoir été fâché avec l'univers de la comédie musicale, et comment j'ai finalement eu le déclic de visionner ces deux films. Le principal souci que j'ai avec les comédies musicales est qu'elles sont, généralement, totalement inefficaces sur moi. C'est quelque chose que j'ai réalisé assez tristement aux débuts de ma cinéphilie lorsque j'ai tenté de découvrir ce genre à travers certains films cultes comme West Side Story, Chantons sous la pluie ou Le Magicien d'Oz. Ces films, même s'ils m'ont plu dans une certaine mesure, n'ont pas eu sur moi l'effet qu'ils auraient dû avoir. Les chansons et les danses ne m'entraînent pas, elles me gênent parfois. J'ai beaucoup de mal à apprécier qu'au beau milieu d'une scène, les personnages se mettent subitement à chanter et danser au millimètre près, à crier leur joie de manière entièrement chorégraphiée et exagérée ; je trouve que ça rend toutes les situations superficielles et fausses. Souvent, ça me sort même complètement d'un film. J'imagine que c'est une question de ressenti, et il est dommage pour moi d'avoir ce sentiment d'être passé totalement à côté d'un film comme Chantons sous la pluie, pourtant unanimement plébiscité. De même, je n'ai pas pu apprécier pleinement Sweeney Todd de Tim Burton car, si j'aime les séquences "normales" du film, je trouve insupportables tous les passages chantés, ridicules au possible.
Quelques années plus tard, ayant abandonné l'idée de poursuivre ma découverte des comédies musicales et donc, ne m'étant pas penché sur des oeuvres comme Grease, Hair, Mary Poppins ou justement Les Parapluies de Cherbourg, je décide d'aller voir (comme tout le monde) La La Land au cinéma en 2017 et là, miracle, je tombe sous le charme. Pour la première fois, les scènes de danse et les chansons m'envoûtent, me font frissonner, me procurent un immense plaisir, à tel point que La La Land a figuré dans mon top 50 pendant quelques mois. Qui l'eût cru ?
Alors, que s'est-il passé ? Ai-je mûri ? Mes goûts ont-ils changé ? Je n'en ai aucune idée, mais c'est à ce moment que l'idée de visionner Les Parapluies de Cherbourg et Les Demoiselles de Rochefort refait surface dans un coin de mon esprit. Je lis que La La Land rend parfois hommage à ces films à travers quelques séquences et chansons et je me dis : "après tout, pourquoi pas ?".
Les parapluies de Cherbourg
Fin novembre 2020, je me lance alors enfin dans Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy, et j'ai un énorme coup de coeur. Dès le début, je me rends compte que j'ai affaire à une comédie musicale d'un genre tout autre, qui ne se prend pas au premier degré, et l'idée de voir les personnages fredonner absolument toutes leurs répliques m'a beaucoup amusé. Absorbé dans le film dès les premières minutes, j'ai adoré le côté 100% assumé du film musical, où les dialogues chantés créent un certain décalage qui m'a dérouté. Je me souviens avoir beaucoup ri face à ce procédé que je n'avais jamais vu ailleurs. Le déclic tant attendu s'était réalisé : plus rien ne pouvait me sortir du film et je me suis délecté de chaque image, de chaque dialogue, de chaque chanson. J'ai également apprécié le fait qu'il n'y ait aucune danse ou presque, ce qui m'a permis de m'impliquer totalement dans l'histoire sans jamais en sortir.
Et puis, au fur et à mesure que le film avançait, je me suis rendu compte que les dialogues chantés ne me dérangeaient absolument pas. Il était devenu tout à fait naturel pour moi de les entendre chanter, comme si c'était tout simplement leur façon de communiquer. Je ne riais plus de cet aspect absurde et j'étais totalement concentré dans l'histoire, qui m'a conquis d'un bout à l'autre. Le charme fou de Catherine Deneuve, que j'ai appris à apprécier il y a déjà plusieurs années en la découvrant dans Répulsion, m'a parfois hypnotisé. Le film est également grandement aidé par la musique de Michel Legrand, immense artiste qui signe ici des compositions aussi douces que tragiques, appuyant les émotions de chaque personnage avec force. Certaines scènes, comme celle du quai de la gare, sont réellement somptueuses.
Arrivé aux trois quarts du film, je savais déjà que Les Parapluies de Cherbourg resterait gravé dans ma tête comme l'une de ces expériences cinématographiques qu'on n'oublie pas. Ces moments finalement assez rares où un film vous prend et vous emmène avec lui jusqu'à la fin, où vous ne pouvez pas détourner le regard de l'écran tant vous avez hâte de savoir comment cela va se terminer, tout en désirant que ça dure encore longtemps. Et il faut bien admettre que la fin du film, elle, n'avait plus rien de drôle du tout. Les rires des premières minutes étaient partis bien loin. La dernière séquence du film est redoutable de mélancolie et conclut Les Parapluies de Cherbourg à merveille, dans une sorte de frustration vraiment délectable. La musique grandiose, le jeu des acteurs, les dialogues nostalgiques... Tout y est parfait. Bref, Les Parapluies de Cherbourg m'a retourné, et je ne m'y attendais pas. Ce fut un bonheur.
Les demoiselles de Rochefort
Aujourd'hui, je décide (très confiant) de laisser à son tour sa chance à Les Demoiselles de Rochefort. C'est donc excité que j'ai lancé le film qui me semblait en tout point similaire au précédent : Catherine Deneuve, Jacques Demy, dialogues chantés, bonne humeur. J'avais une appréhension cependant : celle de ne plus avoir l'effet de surprise créé par Les Parapluies de Cherbourg un mois plus tôt.
Cependant, j'ai rapidement constaté - avec une légère déception au début - que Les demoiselles de Rochefort était bien différent de son prédécesseur. Le film attaque directement avec une chorégraphie et j'ai immédiatement compris pourquoi tout le monde citait ce film comme référence de La La Land. L'une des musiques du film de Jacques Demy, par ailleurs, est quasiment identique à celle du film de Damien Chazelle, ce qui a involontairement créé en moi la nostalgie de La La Land. C'est le monde à l'envers, me direz-vous. Oui, mais je n'y peux rien.
J'ai donc commencé le film avec joie malgré une pointe de déception : le parti pris que j'avais absolument adoré dans Les Parapluies de Cherbourg n'a pas été renouvelé, puisque le film contient de nombreux dialogues non chantés. On aboutit alors à des situations qui tendent à me déplaire, lorsque les personnages qui discutent se mettent subitement à chanter et danser sans que ça ne gêne personne à part moi. Dans les Parapluies de Cherbourg, les chants ne m'avaient pas dérangé car j'avais intégré ce procédé comme principe même des dialogues, et j'avais accepté cette règle avec, d'ailleurs, un grand plaisir. Ici, cependant, cette alternance de dialogues chantés et non chantés m'a perturbé, ce qui fait que j'ai trouvé le film moins prenant que le précédent. Cependant, l'humour y est plus présent et j'ai eu notamment un grand éclat de rire avec une réplique parfaitement géniale : "et dire qu'il faisait des manières pour couper le gâteau !".
Malgré les chorégraphies qui ne m'ont rien apporté, le scénario et les musiques demeurent tout aussi somptueux. J'ai adoré la façon avec laquelle les histoires présentées se précisent petit à petit et se transforment en histoires d'amour croisées. C'est assez ludique et plutôt exquis, et le final est encore une fois exceptionnel. L'une des musiques, notamment, m'a particulièrement fait frissonner même si elle n'apparaît pas si souvent dans le film. C'est la mélodie qu'on entend dans les premières secondes de la vidéo ci-dessous et qui est à mon goût sublime. Si quelqu'un connait une autre version de cette musique, je suis preneur.
Les Demoiselles de Rochefort m'a donc également emballé d'un bout à l'autre et j'ai à nouveau ressenti ce sentiment de "feel good" tant espéré. Un véritable chef d'oeuvre, même s'il est à mon goût un poil en-dessous du précédent.
Bref, ces deux films rejoignent donc indiscutablement mon top 300 et je suis ravi d'avoir attendu si longtemps avant de les voir. Je me souviens avoir tenté Les demoiselles de Rochefort il y a 5 ans et avoir arrêté au bout de 5 minutes en me disant : "Non, Seb, tu n'es pas encore prêt je crois. Ne gâche pas ce qui pourrait être potentiellement un bon moment ; reviens-y plus tard". J'ai vraiment bien fait. Merci à toi, donc, Sebmagic de 2015, car mon plaisir n'en a été que plus intense.