Un soir, un homme en plein déménagement reçoit à l'improviste quelques collègues chez lui. Devant leur insistance, il leur révèle un secret qui va remettre en question toutes leurs croyances. Est-ce un simple jeu, ou la vérité ? The Man from Earth a été pour moi une révélation en 2010 et je ne cesse d'en parler sur ce blog pour le faire découvrir. Il figure toujours dans mon • top 50 • à ce jour. Une question, cependant, m'est apparue régulièrement ces 10 dernières années : pourquoi ce superbe film n'a-t-il jamais été adapté en pièce de théâtre alors que le huis-clos et le propos s'y prêtent particulièrement ?
La réponse m'a été donnée par un hasard total le 13 novembre dernier. Ce jour-là, je venais de revoir The Man from Earth pour la n-ième fois et, lors de mes recherches, je tombe sur l'affiche ci-dessus qui m'intrigue fortement et me donne un sourire béat. Dans une envie de refaire un article sur le film 12 ans après mon premier visionnage, j'avais donc mentionné cette pièce de théâtre sur le blog et, hier, enfin, j'y ai assisté.
Verdict : quel bonheur de voir le scénario de Jerome Bixby adapté sur scène ! J'ai passé un moment incroyable, retrouvant souvent les émotions que j'ai eues en voyant le film pour la première fois. Nul doute que ce texte habile et fascinant prend une ampleur bien différente sous cette forme ; Rotem Jackman a su rester très fidèle à l’œuvre d'origine sans la dénaturer. Le décor minimaliste rappelle évidemment le minimalisme du film, soulignant le fait que le propos et les dialogues sont la réelle force de cette histoire. Il n'y a, en effet, besoin de rien d'autre que quelques sièges et une cheminée rappelant le feu réconfortant des hommes primitifs ainsi que la sensation d'écouter une histoire "au coin du feu".
J'ai beau connaître le film presque par cœur et ne pas être un habitué des pièces de théâtre, j'ai été captivé dès le départ par cette adaptation du metteur en scène, qui tient par ailleurs le rôle principal de la pièce. Rotem Jackman est parvenu à capter l'essence de The Man from Earth tout en lui apportant quelques retouches plutôt bienvenues : un humour parfois plus percutant et des traits de caractère renforcés chez la plupart des personnages, mais également une francisation des noms et des lieux. J'ai beaucoup ri, j'ai été ému et fasciné et, en ceci, Le Passager de la Terre est une adaptation vraiment réussie.
Je pense que la plupart des spectateurs présents hier soir ne connaissaient pas le film et j'ai bon espoir que Le Passager de la Terre leur permettra de le découvrir. La pièce participe ainsi au bouche-à-oreille qui a permis à The Man from Earth de se populariser auprès du grand public alors qu'il n'a jamais été diffusé au cinéma. C'est d'ailleurs grâce à ce bouche-à-oreille (et, un peu, grâce au piratage) que le film a bénéficié d'une sortie DVD quatre ans après sa sortie.
Je dois admettre qu'avant de voir la pièce, j'ai eu une certaine appréhension vis-à-vis des comédiens, car je savais qu'une faiblesse dans le casting aurait pu gâcher la pièce. Cependant, les premières minutes ont effacé mes craintes : les huit comédiens sont parfaits dans leurs rôles et parviennent à s'approprier les traits de caractère de leurs personnages avec talent.
Stéphane Roux donne un ton bien plus virulent à son personnage que William Katt, sans jamais forcer ce caractère qui aurait pu s'avérer "too much". Il apporte également un humour tout à fait bienvenu à la pièce, à l'origine de nombreux rires dans la salle.
Iris Alb, quant à elle, est parvenue à traduire la fascination et la curiosité de son personnage pour Jean. J'ai été intrigué de voir Linda prendre des notes sur un carnet, je ne me souviens pas avoir vu Alexis Thorpe faire de même dans le film. Une excellente idée qui a pu être utile, notamment lorsque la pièce se concentre sur une discussion à l'extérieur de la maison et qu'il a donc bien fallu trouver une occupation aux personnages restés à l'intérieur. Serait-ce aussi un clin d'oeil au livre écrit par Arthur dans Holocene ?
Ensuite, j'ai trouvé Jean-Philippe Ancelle particulièrement époustouflant dans le rôle de William. Pas évident, en effet, de passer après Richard Riehle et son interprétation poignante dans The Man from Earth. Il est toujours juste, même lors des élans de rage de son personnage.
Rotem Jackman est également surprenant ; il n'était pas du tout évident d'adapter la merveilleuse interprétation de David Lee Smith qui ne se prêtait pas spécialement au théâtre. Il a dû appuyer certains aspects du personnage de John afin de le rendre un peu plus énergique et moins en retrait. Là où John semblait finalement être l'un des personnages les plus effacés dans le film, il apparaît ici réellement central et j'ai bien aimé ce changement de point de vue, plus adapté pour la scène.
Cindy Berthelot s'en sort à merveille avec un rôle franchement pas évident puisque Sandy a une sorte de double jeu dans The Man from Earth, agissant plus comme soutien de John que comme scientifique curieuse. Son interprétation est douce, sensible et même poignante lors de la dernière scène, juste avant la conclusion.
Sylvie Huguel incarne également parfaitement le caractère coincé et l'esprit fermé d'Edith et, encore une fois, ce rôle n'était pas évident puisqu'elle représente le blocage de la religion face à la science. Tout le cœur du film se trouve finalement dans son personnage, puisque c'est à travers Edith que se produit selon moi le point culminant de cette histoire.
Patrice Sow est brillant dans le rôle de Daniel (mis à part, peut-être, ce moment où il tente d'arrêter William dans sa folie, que j'ai trouvé un poil exagéré). J'ai jubilé lors de son pétage de plomb final, par contre. Une séquence admirablement adaptée.
Enfin, Alexis Rangheard m'a fasciné. Il est drôle, fin, naturel. J'ai beaucoup aimé la dimension qu'il apporte à son personnage, encore plus facétieux et taquin que le personnage original.
Bref, j'ai adoré cette pièce, brillante notamment grâce à des comédiens qui ont parfaitement saisi l'essence de leurs personnages, mais également grâce à un joli travail au niveau des costumes et de la lumière. Je ne regrette absolument pas d'avoir fait presque 2 heures de route pour me rendre au théâtre de la Scène Libre à Paris pour découvrir cette adaptation que j'attendais depuis quelques années déjà. Je ne peux que vous encourager à aller y jeter un oeil lorsqu'elle reviendra (car hier fut la dernière séance). Que vous ayez vu le film ou non, le propos va vous passionner et vous en ressortirez avec 1000 questions en tête.