Après avoir pris une claque visuelle monumentale, j'ai été surpris de voir à quel point ce film a été démoli par les critiques. Beaucoup dénoncent un exercice de style au propos nauséabond et je ne me range pas du côté de ces avis. Je me demande même si on a vu le même film car, si on laisse de côté ses a priori sur le fait qu'Athena aurait pu être un film qui glorifie la violence et remet toute la faute sur les jeunes de cité, je crois que le propos n'est pas là.
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Le message délivré par Athena porte sur les origines de la haine et sur la manière dont elle prend racine. Le film tourne autour de trois frères tous radicalement différents, issus de générations différentes et aux mentalités bien distinctes. Le personnage de Mokhtar, l'aîné, n'a pas été très approfondi par le récit car il passe son temps à gueuler sur tout le monde sans se préoccuper d'autre chose que de son business, mais la confrontation entre les deux autres frères donne lieu à des réflexions intéressantes. D'un coté, on suit Karim, un jeune homme empli de haine et de rancœur qui semble impossible à raisonner suite à la mort de son petit frère lors d'une bavure policière. De l'autre, Abdel, un militaire qui croit à la paix entre la cité et les forces de l'ordre et qui joue l'unique médiateur possible dans ce déchainement de violence.
Dans Athena, Romain Gavras nous montre la manière avec laquelle la haine s'immisce sournoisement et de manière très ancrée chez un individu qui n'a plus rien à perdre, mais également la manière avec laquelle cette haine peut être transmise ou s'auto-alimenter par des choix irréversibles. Alors certes, l'image des cités et des jeunes n'est pas flatteuse dans ce film, mais Athena ne dresse pas ce portrait gratuitement, ni de manière manichéenne comme j'ai pu le lire ici et là. Le film insiste également sur la solidarité qui règne au sein de cette cité, notamment à l'égard des gens qui n'ont rien demandé à personne et qui auraient préféré suivre leur honnête vie tranquillement. Il y a l'idée de veiller les uns sur les autres malgré la tragédie. Il n'y a pas non plus de "méchants et gentils", le film ne prend pas parti mais se contente de montrer un état de guerre civile cristallisé par la haine. D'ailleurs, les deux frères sont touchants et il n'est pas difficile d'éprouver de l'empathie pour eux et leur situation de deuil. On ressent une grande frustration pour ce dialogue qui semble quasiment impossible entre Karim et Abdel, même si on y croira jusqu'à la toute fin. Karim prend même une dimension christique à de nombreuses reprises, l'acteur est aussi effrayant que passionnant.
Athena est pessimiste, mais c'est un parti pris de Romain Gavras qui souhaitait dépeindre une tragédie avec cette histoire. L'objectif n'est pas ici de rejeter la faute sur les cités, comme on peut le croire naïvement en observant les images ou la bande-annonce. Le film nous prouve au contraire que cette guerre n'est qu'un jeu pour l'extrême-droite, qui attise volontairement la haine pour faire gonfler ses effectifs. Athena ne dénonce pas la haine, mais les organisateurs de cette haine. C'est tout de même très différent, et je trouve le propos plutôt passionnant, n'en déplaise à ces critiques qui sont montés au créneau parce que le film donne une mauvaise image de la cité. Mais Athena ne cherche pas à tout prix à donner une mauvaise image de la cité ; ce n'est pas le but premier, semble-t-il. Il cherche à décrire les origines de cette mauvaise image, et les conséquences désastreuses sur la société française (comme en témoigne, en fond sonore, ce débat de type BFMTV diffusé à la télévision lors d'une accalmie).
Au-delà de ce propos qui, j'insiste, est quand même bien moins "con" que ce qu'on pourrait croire, celui-ci est mis en valeur par une maestria visuelle absolument hallucinante. Evidemment, la scène d'introduction du film est une prouesse technique comme on en voit rarement, d'autant que toutes les images sont des prises réelles, des plans-séquences travaillés avec une précision qui force le respect. J'ai dû mettre le film en pause à plusieurs reprises car je ne comprenais pas comment la caméra pouvait effectuer tous ces mouvements, notamment lorsqu'elle entre dans un camion pour en ressortir de l'autre côté afin de suivre le convoi d'un point de vue extérieur, pour ensuite s'envoler littéralement sur un drone pour nous montrer la dalle de la cité Athena dans un plan des plus épiques.
Les prouesses de réalisation ne se résument pas à ce premier plan puisque l'intégralité du film utilise le principe du plan-séquence en Steadicam au cœur d'une action et d'une tension permanente. L'organisation des équipes a représenté un travail monstrueux notamment en terme de figurants (je vous conseille d'enchaîner le film avec le making-of, également disponible sur Netflix), je n'avais pas vu une telle virtuosité technique depuis bien longtemps. C'est fou à regarder et à suivre en temps réel, j'ai été happé dans cette histoire du début à la fin, sans relâche. Et puis, les images sont magnifiques, avec une qualité IMAX qui met les décors en valeur mais aussi les personnages.
Certaines scènes sont poignantes grâce au travail des acteurs et là, je dois dire que je suis fâché contre certaines critiques acerbes qui ont craché sur le travail des comédiens. Pourtant, ils sont tous prodigieux. Ouassini Embarek est bluffant dans la peau d'un dealer nerveux et psychotique, tout comme Anthony Bajon dans le rôle du CRS dont la vie ne dépend que de l'autorité d'Abdel sur son frère. Dali Benssalah est magnifique. Je l'avais découvert récemment dans Je verrai toujours vos visages, où il brille par son jeu subtil. Dans Athena, il se surpasse encore avec une performance émouvante. On ressent à chaque instant la difficulté de sa position, puisqu'il est concrètement la seule personne capable de faire régner un peu d'ordre et d'espoir dans ce chaos désespérant. J'ai particulièrement aimé son rôle car il permet de la nuance et il évite au film la dichotomie habituelle qui existe dans ce genre de films (comme Bac Nord). J'ai aimé comme son personnage, qui est en position de force des "deux côtés" au début du film, finit progressivement par être chassé par tout le monde, pour finir dans un isolement qui le contraindra à se laisser envahir, lui aussi, par une certaine haine. Et puis, évidemment, Sami Slimane est prodigieux. Il est capable de gérer de multiples émotions différentes au sein d'un même plan-séquence de 10 minutes et j'ai été bluffé par son charisme, son talent, mais aussi la manière avec laquelle son personnage est iconisé au fil de l'histoire.
Bref, je n'ai rien à ajouter. Le film est magnifique visuellement, il représente une prouesse technique étonnante. La photographie est dingue, les effets pyrotechniques m'ont fait vivre un moment explosif, les acteurs sont tous brillants et puissants, la réalisation et le montage sont époustouflants de maîtrise. Le propos est intelligent et même si, je veux bien le concéder, il est très radical dans sa représentation des cités françaises, il va bien plus loin qu'une simple dénonciation des problèmes de quartier. Je n'ai même pas parlé de la musique mais elle englobe le tout dans une atmosphère tantôt épique, tantôt bouleversante. J'en suis encore tout retourné.