Lorsque Tchers m'a proposé de regarder La Grande Belleza, je vais être honnête, j'ai soupiré. Je n'avais aucune envie de m'imposer le visionnage de ce film de Paolo Sorrentino (visionnage soigneusement évité durant toutes ces années), car il me semblait à l'opposé de mes goûts. Il faut dire que mon expérience avec le cinéaste se limitait à Youth, qui m'avait totalement laissé de marbre. Le synopsis, lui aussi, était peu engageant : Rome, les touristes, l'été, les mondanités, la débauche, la vieillesse... rien de tout ceci ne m'intéresse foncièrement. Pour ne rien arranger : le film dure 2h20, je m'attendais donc à un long calvaire. Mais je n'avais pas le choix, et c'est tout l'intérêt de ce jeu du samedi : le film m'est imposé.
Résultat : j'ai adoré. La Grande Belleza est une expérience qui m'a captivé du début à la fin, d'une manière que je ne saurais pas vraiment expliquer. Je remercie Tchers pour cette proposition audacieuse.
La Grande Belleza est une explosion de cinéma. Peu importent les thématiques du film, peu importe que je me sente déconnecté de tous ces personnages, qui se complaisent dans leur propre richesse : ça reste une explosion de cinéma terriblement excitante.
L'introduction du film m'a beaucoup aidé à entrer directement dans le bain. J'ignore encore comment Paolo Sorrentino est parvenu à me saisir dès les premières minutes, mais rares sont les films à me happer immédiatement dans un tel déchaînement de vie et d'énergie. Pourtant, au risque de me répéter, rien n'est censé me plaire : je déteste les mondanités, je hais l'été et les fêtes de riches sur les grands balcons (avec vue sur le Colisée s'il-vous-plaît !), j'exècre ces personnages qui vivent dans la débauche. Et pourtant, les 12 premières minutes du film m'ont plongé dans une autre dimension. Sorrentino m'a emporté dans ce tourbillon.
J'ai ressenti toute l'effervescence de cette foule qui danse sans contexte, et je dois même avouer avoir revisionné cette introduction plusieurs fois, car elle m'a fait un sacré effet. A un moment, voyant que la séquence de la fête n'en finissait plus, je me suis surpris à rêver que La Grande Belleza continuerait sur cette lancée durant 2h20. J'aurais presque souhaité que ça ne se termine jamais, sans scénario, sans rien.
La musique joue beaucoup, mais là encore je suis dans l'incompréhension. Far l'amore (de Bob Sinclair et Raffaella Carrà) est typiquement le genre de musique que je déteste et que je n'aurais jamais écouté pour le plaisir. Seulement, Paolo Sorrentino la rend entêtante et hypnotique grâce à sa mise en scène sublime. Il y a une élégance folle dans les mouvements de caméra, dans le montage, dans cette manière de stopper la musique pour se concentrer sur autre chose, avant d'y revenir pour nous embarquer à nouveau dans cette réunion endiablée.
Le fait que j'apprécie cette introduction peut paraître contradictoire, notamment parce qu'elle peut faire penser à celle de Babylon de Damien Chazelle, que j'avais justement critiquée et détestée pour ces raisons : séquence interminable, trop folle. La seule différence, c'est que Chazelle avait accouché d'un truc hystérique et vulgaire, là où Sorrentino filme avec classe et beauté.
Après cette mise en bouche, La Grande Belleza se concentre sur un personnage : Jep Gambardella, un écrivain vieillissant qui s'interroge sur le sens de sa vie et sur les choses qu'il lui reste à accomplir. Dans ce rôle, Toni Servillo est délicieux d'un bout à l'autre – clairement l'atout charme du film. Sa première apparition est exceptionnelle (cf image ci-dessus) : l'expression de l'acteur, clope entre les dents, est absolument parfaite avec la musique. Servillo est d'ailleurs bien aidé par un casting séduisant, notamment Galatea Ranzi dans une scène géniale où Jep balance à Stefania ses quatre vérités dans la pure élégance, ou encore Sabrina Ferilli.
Au milieu de toute cette exubérance, Sorrentino offre des séquences de silence, dans lesquelles il déplace sa caméra avec raffinement, pour mettre en valeur la quête existentielle de Jep. On a notamment de grands mouvements fluides, ou des travellings contemplatifs pour suivre les errances du personnage. Visuellement, c'est majestueux et grâcieux.
Pour couronner le tout, les questionnements de Jep sont teintés de nostalgie (thème dont je raffole au cinéma), à travers quelques flashbacks doux ou mystérieux, embellis par des musiques absorbantes telles que Dies irae de Zbigniew Preisner. Souvent magnifique.
Pour nuancer un peu cette critique dithyrambique, je conclurai en précisant que La Grande Belleza n'est pas parfait. Certaines scènes sont très étranges, je pense par exemple à cette apparition éclair de Fanny Ardant qui n'a strictement aucun intérêt. Ce ne sont que quelques secondes, certes, et j'adore Madame Ardant, certes, mais la scène a un arrière-goût de pub pour du parfum. Certains dialogues, eux aussi, semblent assez superficiels ou ne présentent que peu d'intérêt : La Grande Belleza aurait peut-être mérité de ne durer que deux heures. Mais c'est vraiment chipoter pour chipoter, car le film me restera en tête comme un joli coup de cœur. Merci donc à Tchers : ce fut une belle découverte, très inattendue.