J'ai un énorme problème avec Drake Doremus. Lorsque j'ai découvert Like Crazy en 2013, j'ai clairement eu un coup de coeur immédiat pour ce film, comme le montre d'ailleurs ma critique dithyrambique. J'avais même dit que le film s'approchait grandement de mon "idéal cinématographique", compliment que j'ai dû faire quatre ou cinq fois seulement en 10 ans (de mémoire : pour Perfect Sense, Mommy, Her, Drive et The Tree of Life). Cela ne signifie pas toujours que ces films feront partie de mon "top 10 de tous les temps", mais c'est révélateur d'une émotion qui est assez rare chez moi lorsque je découvre un nouveau film : ma contemplation totale.
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Quel est, donc, le problème avec Drake Doremus ? Le problème, c'est que je n'ai jamais revu Like Crazy même si l'idée m'a traversé l'esprit plusieurs fois. Et qu'au fond de moi, j'ai la certitude que ce serait une mauvaise idée, car je ne suis pas sûr de me retrouver aujourd'hui dans le même mood que lorsque je l'ai vu en 2013. J'ai cette sensation qu'un tel film peut se savourer un jour, puis paraître mièvre et ridicule le lendemain. J'ai donc peur de retenter l'expérience. J'en ai pour preuve son deuxième film, Breathe In, qui ne m'a absolument pas touché et que j'ai détesté alors qu'un autre jour, potentiellement, il m'aurait subjugué. Je commence donc à me demander si le cinéma de Drake Doremus, chez moi, ne serait pas qu'une affaire de contexte et d'ambiance de visionnage, car j'ai l'impression d'y être à la fois totalement sensible un jour et totalement insensible le lendemain. Un jour, je reverrai Like Crazy et Breathe In, et je vais peut-être totalement changer d'avis sur les deux.
Bref, pourquoi je vous raconte tout ça ? Parce que Equals m'a subjugué, et qu'il semblerait que je sois l'un des seuls à être dans ce cas. J'ai regardé ce film un soir, persuadé d'être dans "le mood" pour un film de Doremus. J'ai mis mes écouteurs pour amplifier les ambiances sonores, et j'ai savouré chaque instant de ce film merveilleux. Equals m'a ému, m'a fasciné, m'a conquis entièrement, et j'ai cette impression étrange qu'il n'aurait pas dû le faire. C'est terrible, cette sensation de plaisir coupable, mais elle est bien là : j'ai adoré ce film.
On pourra me dire qu'en terme d'anticipation, ce film n'est pas original, et c'est d'ailleurs l'impression que laisse le synopsis lorsqu'on le découvre : nous sommes dans un futur où les êtres humains n'ont plus le droit d'avoir des émotions. L'émotion est vue comme une maladie contagieuse et est punie par la loi. Je le sais, on a déjà vu ça ailleurs, ne serait-ce que dans The Island dix ans plus tôt. Mais il n'empêche que Equals m'a ému et m'a émerveillé, que j'ai ressenti chaque émotion de chaque personnage, même lorsque celle-ci était étouffée.
Pour commencer, le traitement des couleurs est somptueux. J'ai notamment apprécié les variations de teintes qui donnent de sacrés visuels. Certaines ambiances sont imposées par les tons : parfois bleus pour signifier l'absence de sentiments ou le sentiment refoulé, parfois rouges lorsque les personnages succombent à ce drôle d'interdit : ressentir quelque chose. Cela donne lieu à des scènes et à des ambiances qui vont me marquer durablement. Lorsque les couleurs oranges ou rouges (assez rares) font leur apparition, ce n'est jamais anodin et c'est toujours fait de manière élégante.
De plus, les images de manière générale sont sublimes, et c'est l'une des caractéristiques qui font de Drake Doremus un réalisateur qui me parle. Il est capable, en une scène, de me faire vivre des émotions intenses, rien qu'en travaillant la qualité de l'image, des ombres, des contrastes.
Et surtout, rares sont les cinéastes à capter aussi bien les moments d'intimité. J'avais trouvé ça incroyable dans Like Crazy, et j'ai retrouvé cet aspect dans Equals, parfois même de manière décuplée. Equals impose, dans sa première partie, une tension psychologique à ses personnages et, par le même biais, au spectateur. Le fait que ces personnages ne se touchent jamais, qu'ils ne puissent jamais exprimer le moindre sentiment, qu'ils doivent réfréner la moindre petite émotion, tout ceci mène à une frustration globale. Et lorsqu'enfin, le contact physique se produit, c'est libérateur. Je me souviens encore de cette sensation de liberté et de plaisir que j'ai ressentie lorsque les personnages se touchent pour la première fois. Je veux dire... ils ne font rien d'autre que se toucher, et j'ai physiquement ressenti ce que ça provoquait chez eux. Cette peur mélangée au plaisir. C'était incroyable.
Et pour finir, tous ces moments captés sur l'instant ; une main qui effleure un vêtement, un regard jeté secrètement, m'ont totalement transportés. C'est, je pense, la plus grande qualité de Drake Doremus, ce pourquoi son cinéma m'avait autant touché dans Like Crazy. Qu'importe le scénario, qui n'est finalement qu'une réadaptation d'un truc à la Roméo et Juliette, je m'en fiche. J'ai ressenti des choses très fortes avec Equals, et c'est pour ça que j'aime le cinéma au départ.
Top 300 pour ce film, donc, même si cette décision semble difficilement compréhensible. Pas le choix.