Après avoir attendu plusieurs jours qu'une séance en VO daigne voir le jour dans les cinémas près de chez moi, j'ai enfin pu découvrir le nouveau film de M. Night Shyamalan ce soir. Je reviens tout juste de la séance et j'ai tant de choses à en dire que je vais tenter de tout résumer dans cet article "à chaud". Ce sera l'occasion de partager une théorie que je n'ai vu absolument nulle part sur internet, mais qui m'a traversé l'esprit pendant la séance et m'a semblé avoir beaucoup de sens.
Tags Critique analyse explication du film
Critique rapide et sans spoilers
Ce n'est pas un secret, M. Night Shyamalan est probablement mon réalisateur préféré. Il l'est d'autant plus que je n'apprécie pas l'ensemble de son travail ; je suis en effet lucide sur la période très décevante par laquelle il est passé après ses premiers grands succès. Je connais donc ses qualités (dont je raffole) mais aussi ses défauts (dont je m'accommode). Knock at the cabin m'a beaucoup plu malgré une frustration finale, mais deux heures après mon visionnage je réalise doucement l'impact que le film a eu sur moi. Je vais attendre quelques jours avant de savoir réellement ce que j'en ai tiré.
La chose qui est sûre, avec Shyamalan, c'est qu'on ne sait jamais vraiment ce qu'on va voir lorsqu'on s'assied dans la salle. Le cinéaste crée une forme d'excitation que très peu d'auteurs peuvent se permettre de provoquer : l'effet de surprise lié à l'attente d'un scénario finement écrit. Knock at the cabin coche cette case avec brio : l'écriture du film est impeccable, dans le sens où Shyamalan aborde un nombre incalculable de thèmes, plus ou moins cachés derrière un sens de la symbolique auquel il nous a habitué depuis toujours. Car, s'il y a bien quelque chose qu'on ne peut pas enlever à Shyamalan, c'est son talent pour faire passer des messages sans les appuyer. Nous y reviendrons plus bas, car ça reviendrait à spoiler l'ensemble du film, mais le cinéaste parvient en 1h30 à glisser subtilement de nombreux messages dans un thriller diablement efficace. Ici, il s'agit d'une famille - un couple d'hommes ainsi que leur fille adoptive - dont les vacances dans une cabane isolée se voit perturbée par l'arrivée de quatre personnes qui prétendent que la fin du monde est proche. S'ils veulent l'éviter, l'un des trois va devoir être sacrifié.
Knock at the cabin fascine et passionne dès les premières scènes, en présentant un Dave Bautista absolument exceptionnel. En plus du mystère de son personnage, l'acteur ne cessera de surprendre tout au long du film, en incarnant une sorte de molosse sensible difficile à décrypter. Le casting est globalement très réussi, comme dans la plupart des succès de M. Night Shyamalan qui, je le rappelle, a pu offrir à des acteurs comme Bruce Willis, Samuel L. Jackson ou Mel Gibson des rôles qui comptent parmi les meilleurs de leurs carrières. Ce casting est au service d'une histoire teintée de fantastique (comme dans chaque film de Shyamalan ou presque) qui ne verse cependant jamais dans la science-fiction.
Avec des mouvements de caméra toujours aussi astucieux et millimétrés, Shyamalan parvient à imposer son ambiance à travers des situations de tension parfaitement menées. On retrouve son goût pour les lents travellings mais aussi pour la symbolique des couleurs ou les gros plans qui faisaient le sel de Split. Le film ne fait pas peur au sens propre, mais toute son efficacité repose sur un suspense qui monte graduellement au fil des événements. Il est dommage que la musique, pour ce film, ne soit pas vraiment au rendez-vous (soit dit en passant, je ne comprends pas pourquoi la collaboration avec James Newton Howard est inexistante depuis quelques années). C'est sans doute l'un des problèmes majeurs du film. Malgré tout, Knock at the cabin tient la route d'un bout à l'autre et sa courte durée lui permet de ne pas ennuyer le spectateur. Shyamalan va à l'essentiel et, comme d'habitude, chacune de ses scènes est utile et passionnante.
J'ai donc aimé le film, même si je ne pense pas qu'il fasse encore partie de mes chouchous chez le cinéaste. Cependant, pour en parler davantage, je vais devoir être plus précis...
Analyse et explication du film
Pour parler plus en détails du film, je vais devoir commencer à spoiler à outrance. La suite de l'article va donc raconter précisément la fin du film et en présenter les grands thèmes à travers une analyse rapide, mais également quelques explications et théories qui me sont propres.
Foi et coïncidences
Knock at the cabin traite principalement de l'un des thèmes qui était au centre du chef d'oeuvre Signes en 2001 ; la dichotomie entre ceux qui croient aux signes, au destin, et ceux qui croient aux coïncidences ou explications plus rationnelles. Dans ce film, ces deux idées sont incarnées par les deux pères, un peu comme Mel Gibson et Joaquin Phoenix dans Signes. Alors que l'un des deux personnages va passer l'intégralité du film à chercher une explication, une manipulation logique à ce qu'il voit, l'autre va doucement lâcher prise et croire en des signes divins (même si Dieu n'est jamais mentionné dans le film).
Le film est si bien écrit que, jusqu'au bout, le spectateur en fera de même. Les questions qui nous passent par la tête fourmillent à chaque instant, et Shyamalan ne nous prend jamais pour des cons. Les idées que nous pouvons avoir en écoutant les quatre "cavaliers de l'Apocalypse" traversent également l'esprit des personnages principaux, qui le formulent généralement à voix haute. Pendant tout le film, on passe notre temps à démêler le vrai du faux, à essayer de comprendre ce qui cloche dans le discours des quatre preneurs d'otage. Et finalement, le "twist" (qui n'en est pas un) nous tombe dessus : en fait, tout était vrai. Même si ce n'est pas le retournement le plus brillant de Shyamalan, c'est tout de même une nouveauté dans son cinéma : pour une fois, il n'y avait pas de secret, pas de mystères. Alors que Shyamalan nous a régulièrement habitué à nous surprendre avec des "tout était faux", il nous surprend ici avec un "tout était vrai". Ca ne casse pas trois pattes à un canard, certes, mais c'est malin, comme toujours.
Qui plus est, si on pousse le bouchon un peu plus loin, on peut même imaginer que le dénouement n'est pas si clair à interpréter. Après tout, si on pousse le curseur de la "coïncidence" à son maximum, il est également possible que tout était quand même faux, et que l'intégralité des événements que les personnages découvrent à la télévision soient le fruit d'incroyables hasards, y compris la toute fin lorsque les choses semblent rentrer dans l'ordre. Peut-être qu'Andrew a tué Eric pour rien. On ne le saura jamais.
Le pouvoir des images comme mise en abyme du cinéma
Comme il le fait parfois dans ses films (La Jeune fille de l'eau, par exemple), M. Night Shyamalan aime parler de cinéma à travers ses contes. Dans Knock at the cabin, le cinéaste nous interroge sur le pouvoir que peuvent avoir les images sur le spectateur et nous parle, en même temps, du contrat qui nous lie à un récit cinématographique. Les deux hommes ligotés dans ce film représentent en quelques sortes les spectateurs assis dans la salle de cinéma, forcés de regarder les images et de croire en l'histoire qui leur est contée. Ainsi, lorsque Leonard leur demande de bien vouloir croire son histoire d'apocalypse, c'est un peu Shyamalan lui-même qui nous demande de croire en son récit. Cette mise en abyme plutôt intelligente permet au cinéaste de se remettre en question en tant que conteur, chose qu'il a du faire de nombreuses fois ces dernières années après sa dégringolade et le désamour des critiques à son égard au milieu des années 2000. Shyamalan, même après son regain de popularité avec Split et Glass, se sent toujours forcé de se justifier.
En dehors de ce parallèle, Shyamalan se sert également de la télévision et des images pour questionner le pouvoir de celles-ci dans le monde actuel. En effet, M. Night Shyamalan aurait pu utiliser cent façons de nous montrer que les visions des personnages se réalisent. Il aurait pu utiliser les familles des trois victimes comme confirmation des propos de Leonard, à travers des appels téléphoniques par exemple. Il aurait pu, encore, faire évoluer Eric et Andrew afin qu'ils aient également des visions à leur tour. Il aurait pu, tout simplement, placer ses personnages dans un lieu moins isolé, où les personnages auraient pu assister directement aux divers événements de leurs propres yeux. Ce n'est pourtant pas ce qu'il fait. Shyamalan choisit de passer exclusivement par la télévision et ses images, et ce n'est pas anodin. Il interroge ici notre rapport aux médias, aux images et à leur véracité.
Critique de notre société
A travers ces 4 cavaliers de l'Apocalypse et les 4 "fléaux" qu'ils provoquent dans le monde, Shyamalan dresse discrètement le portrait critique de notre situation mondiale alarmante. Les images chocs qui apparaissent dans cette télévision nous semblent malheureusement crédibles, et c'est encore un tour de force ultime. Sans une foule d'effets spéciaux, avec des moyens relativement limités, le cinéaste parvient à nous saisir comme il avait pu le faire avec Phénomènes (oui, ce film est énormément moqué, mais je m'en fous, j'assume toujours ma position).
Le premier fléau - le tsunami, grandiose séquence du film qui file des frissons - représente l'enjeu climatique. A l'ère actuelle, des vagues de 15 mètres capables de détruire des villes ou ravager des îles ne nous ont jamais paru si plausibles, si réalistes. Le deuxième fléau - une pandémie mondiale - représente nos craintes en terme de santé publique. Le propos est on ne peut plus d'actualité et, aussi bizarre que ça puisse paraître, Shyamalan nous fait passer cette référence au Covid comme une lettre à La Poste, sans aucune lourdeur. Le troisième fléau - des avions qui tombent du ciel et s'écrasent - représente les tensions et soucis de sécurité auxquels on a pu faire face ces dernières décennies, notamment en matière de terrorisme.
Pour résumer, M. Night Shyamalan décrit, à travers ces châtiments, les fléaux qui frappent déjà réellement notre monde et notre société à l'heure actuelle. Les cavaliers de l'Apocalypse, comme le dit Leonard lui-même dans le film, ne sont là que pour faire avancer les dernières minutes qui nous séparent de minuit sur la célèbre horloge de la fin du monde. En 2023, en effet, cette horloge indique 23h 58min 30sec, et nous n'avons jamais été aussi proches de minuit.
Et puis, bien sûr, on ne peut pas ignorer l'un des thèmes principaux du film : le problème de l'homophobie.
Ouverture et tolérance
Knock at the cabin, même si ce n'est pas forcément clair à première vue, est principalement une ode à la tolérance. La présence d'un couple homosexuel dans ce film n'est pas anodine, et elle ne répond en rien à une mouvance "woke" comme on pourrait l'entendre ici et là. Pour les personnages principaux, Shyamalan avait besoin de personnages ayant subi des traumatismes ou des injustices. Il lui fallait des personnages pour lesquels le choix de se sacrifier pour sauver le reste de l'humanité représenterait un réel dilemme.
Ici, en choisissant finalement de sacrifier Eric malgré l'expérience traumatisante qu'il a subie par le passé à cause d'un acte homophobe, Andrew pardonne à l'humanité toute entière ses pêchés et ses actes de malveillance. C'est une décision d'une incroyable puissance, si on la met en parallèle avec le passé du personnage. Outre l'idée du "grand pardon", le film aborde alors également un autre point : celui de l'avenir de nos enfants avec cette fameuse question : "quel monde voulons-nous leur laisser ?". La petite Wen, en effet, va devoir apprendre à vivre avec le monde qui l'entoure et cette société parfois injuste, plutôt que de vivre dans un monde post-apocalyptique. Après tout, des deux options, c'est la moins pire. Le fait, cependant, que le dilemme soit si difficile, montre le regard sombre et pessimiste que M. Night Shyamalan porte sur notre monde. C'est très fort.
Knock at the cabin, par ailleurs, nous offre un discours sur l'ouverture d'esprit et notre ouverture sur le monde. Premièrement, le film est un huis clos et cela n'est pas arbitraire. Cette petite famille qui vit comme recluse va finir par s'ouvrir et quitter la "cabane" avec un nouveau regard sur le monde. Le parallèle, également, avec les sauterelles dans le bocal en début de film, vient accompagner tout ce propos sur l'ouverture et la tolérance.
Ma théorie loufoque : "Knock at the cabin"
Il y a plusieurs éléments dans Knock at the cabin dont je n'ai pas encore parlé, mais qui ont du retenir votre attention pendant la séance. Ces éléments me font penser que Shyamalan avait peut-être encore une idée derrière la tête en écrivant Knock at the cabin. Ce n'est que pure spéculation de ma part, mais je vous partage quand même cette théorie sur la fin du film car, aux 2/3 de la séance, j'étais quasiment persuadé que ça allait être l'objet d'un "grand twist" qui n'est finalement jamais arrivé.
Je veux parler ici du personnage de Rupert Grint : Redmond (aka O'Bannon). Le film insiste à de nombreuses reprises sur un événement passé : une agression homophobe subie par Andrew dans un bar. Un client du bar, qui se révèle être le personnage de Rupert Grint (confirmé à la fin du film par sa carte d'identité), a en effet explosé une bouteille sur la tête d'Andrew quelques années auparavant, le conduisant d'urgence à l'hôpital. Il est assez étrange que le film insiste tant sur l'identité de l'agresseur alors que ça ne semble pas particulièrement important pour le déroulement de l'histoire (à part semer le doute sur un éventuel coup monté). Il est également étrange qu'Andrew ait subi un tel choc sur la tête quelques années auparavant, puis que ce soit au tour d'Eric de se prendre un coup sur le crâne lors de l'intrusion des quatre personnes.
Selon moi (mais ce n'est qu'une simple théorie personnelle très bancale), il est possible que tous les événements du film se passent uniquement dans la tête d'Andrew, qui serait tombé dans le coma à l'hôpital suite à son agression. Ca expliquerait la présence de Redmond "O'Bannon" dans la cabane, mais également le fait que Leonard se présente comme "barman" à plusieurs reprises. C'est effectivement une autre étrangeté du film : Leonard est censé évoquer un "guide". Le présenter comme un professeur / éducateur de la jeunesse, aurait amplement suffi à décrire sa personnalité. Pourquoi se faire chier, alors, à insister deux ou trois fois sur le fait qu'il soit "également barman" ?
Pour moi, c'est tout simplement Andrew qui rêve, ou délire, pendant son coma. Il revoit les principaux protagonistes de son attaque dans le bar : l'agresseur, le barman, et probablement l'infirmière qui s'est occupée de lui à l'hôpital. Et puis, à ses côtés, il voit son compagnon (qui, lui aussi, se prend un "choc à la tête" / "knock at the cabin"), et la petite Wen, qui n'existe pas mais qui représente ses aspirations, ce pour quoi il aimerait se battre. L'Apocalypse décrite dans le film ne serait donc pas la fin du monde, mais la fin de la vie d'Andrew, tout simplement.
Pendant tout le film, il est dans le déni de sa propre mort et refuse d'affronter la réalité (ça peut d'ailleurs faire un parallèle avec les climato-sceptiques ou adeptes de théories du complot si on va chercher loin) avant, finalement, de pardonner à ceux qui lui ont fait du mal. En tuant Eric (en le laissant partir), il se donne lui-même la mort.
Bon, je vous ai prévenu, c'est une théorie loufoque et elle ne tient pas très bien debout. Mais elle n'est pas si mal non ? Et pour le coup, ça ferait un sacré twist même si celui-ci a déjà été utilisé dans un autre film (que je ne nommerai pas pour ne pas le spoiler).
Bref, j'ai terminé pour cette analyse / tentative d'explication de Knock at the cabin. N'hésitez pas à lire les théories des autres internautes dans les commentaires, certaines sont passionnantes et viennent alimenter cet article, je vous invite à partager la vôtre.
Pour + de Shyamalan :