Incassable - Analyse du chef d'oeuvre de Shyamalan

         Incassable est sorti peu de temps après Sixième Sens, le film qui a lancé la carrière de Shyamalan, ce réalisateur hors norme qui nous a offert de très beaux films notamment en début de carrière, et qui semble remonter la pente depuis 2016 après un long passage à vide. Incassable est à mon goût le meilleur film du cinéaste, tellement parfait sous toutes les coutures qu'il m'est difficile d'y trouver des défauts. Un somptueux thriller psychologique qui raconte l'histoire de Elijah Price, atteint d'une maladie rare qui l'empêche de vivre correctement : ses os se cassent aussi facilement que du verre. Un jour, il apprend qu'un terrible accident de train a fait 131 victimes. Seul un passager en est sorti totalement indemne, un homme dénommé David Dunn.

        Attention, cet article révèle des éléments très importants du film (mais pas le twist final, pour ceci il faut vous rediriger sur cette page).

 

Indice Spoiler : Spoiler2   

 

Incassable - Analyse du chef d'oeuvre de Shyamalan

        J'ai dit que c'était à mon goût le meilleur film du réalisateur (à égalité avec Sixième Sens, j'avoue qu'il est difficile pour moi de les départager, m'enfin peu importe), mais pas seulement. Je considère ce film comme étant également le meilleur de ce début de siècle, sans problème. Un choix qui peut en consterner certains, parce que le film ne fait pas l'unanimité. Des scènes longues, des plans très lents, ça ennuie visiblement les gens. C'est quelque chose qui dépend probablement de la sensibilité de chacun, mais comment ne pas voir toute la beauté des plans, toute la finesse des mouvements de caméra, toutes les sensations procurées par la musique ? Comment ne pas ressentir cet habile mélange d'émotions et de frissons à la vision de cette intrigue totalement originale ?

 

     Ce n'est pas de l'action (c'en est même loin), ni du suspense, ni du fantastique. Incassable est un anti-film de superhéros, sans effets spéciaux mais plutôt des effets de mise en scène percutants et millimétrés. On a affaire à une histoire passionnante et subtile, d'ordre psychologique avec une écriture de personnages ciselée, et il est clair qu'en 2022, ce film reste un contrepied incroyable aux sagas de type Marvel. Petit détail : Incassable n'est évidemment pas tiré d'une histoire vraie, même si la fin pourrait nous le laisser croire (en fait elle nous révèle simplement ce qu'il advient de nos personnages).


        Le scénario n'est peut-être pas des plus mouvementés, mais il est original. Il est basé sur les comics, ces bandes dessinées de superhéros dont Elijah Price est dingue depuis son enfance. C'est l'un des grands thèmes du film, les références y sont nombreuses et c'est même la base principale de la relation entre les deux personnages du film. Ceux-ci sont complètement opposés, mais deviennent plus ou moins amis malgré leurs différences. Le film n'a rien des habituelles super-productions de super-héros super-géniaux avec des super-pouvoirs, puisque tout se passe au sein d'une trame totalement réaliste. Disons simplement que ce film est une histoire de super-héros, mais adaptée de façon très concrète dans notre monde de tous les jours.
 

Incassable - Analyse du chef d'oeuvre de Shyamalan

        Le sujet principal du film est surtout la recherche de soi-même. Les deux personnages sont malheureux pour la même raison : ils ne savent pas quelle est leur place dans ce monde. Tandis que Elijah se demande s'il n'est pas une erreur de la nature, David se lève tous les matins avec un sentiment de mal-être, de tristesse qui ne le quitte pas. Il ne sait pas qui il est, surtout depuis l'accident de train dont il est sorti intact. Les deux personnages sont donc en pleine crise d'identité et vont mutuellement s'aider pour tenter de la résoudre. Un sujet intéressant, d'autant plus qu'il est maîtrisé de bout en bout.

 

     L'évolution du personnage principal est une merveille, allant de révélations en révélations ; David se transforme et apprend à connaître sa vraie nature ainsi que le rôle qu'il doit jouer dans sa vie, jusqu'à une prise de conscience qui va changer sa vie à jamais. Tout au long du film, on voit le personnage progresser par étapes afin de devenir ce qu'il est vraiment, poussé par son fils qui l'encourage (le thème de la paternité revient dans l'ensemble de la filmographie de Shyamalan). Bruce Willis interprète David Dunn avec beaucoup de talent, il est parfait dans ce rôle qui lui va à merveille, bien qu'on n'ait pas l'habitude de le voir dans des rôles aussi psychologiques. Le spectateur suit l'avancée du personnage principal en même temps que lui, à travers des scènes toutes plus belles les unes que les autres, sublimées par l'indéniable talent de mise en scène de Shyamalan.
 

Incassable - Analyse du chef d'oeuvre de Shyamalan

        La scène des haltères, par exemple, est sublime et intense. Le réalisateur parvient à capter chaque regard de Bruce Willis pour offrir une scène puissante et vibrante, essentielle dans le processus de construction de David dans sa recherche d'identité. Jamais l'acteur n'aura eu autant d'occasions d'exercer l'un de ses plus grands talents : son jeu de regard. La scène des haltères dans la cave contient de nombreux silences, mais la musique de James Newton Howard prend petit à petit sa place jusqu'à un joli climax. Encore une fois, c'est le fils de David, Joseph, qui va le pousser à aller au bout de ses limites, car il est convaincu que son père est spécial, qu'il est un héros au sens propre du terme.
 

Incassable - Analyse du chef d'oeuvre de Shyamalan

        D'ailleurs, cet engouement de la part de Joseph donne lieu plus tard à une scène haute en suspense, lorsqu'il tient à vérifier que son père est vraiment un superhéros. C'est à ce moment que Shyamalan nous rappelle qu'Incassable n'est pas un film fantastique et que sa cohérence prend bien racine dans la réalité. La séquence, qui est en fait un plan-séquence, est à couper le souffle. La tension imposée par les mouvements de caméra montre à quel point cette famille est au bord de l'implosion. En effet, le film traite avant tout d'une famille, et pas seulement d'un seul personnage. Ce n'est qu'en évoluant et en renouant avec lui-même que David permettra à sa famille de s'épanouir et en particulier de surmonter la déchéance de son couple avec Audrey, qui bat de l'aile.

Incassable - Analyse du chef d'oeuvre de Shyamalan

        Pour continuer dans les séquences mémorables, bien sûr, la scène des visions est certainement l'une des meilleures du film. Plusieurs paramètres s'associent et forment un ensemble merveilleux : à la fois une musique incroyable et stimulante ("Visions", signée James Newton Howard) qui met en valeur la puissance du don de David, des plans de caméra ingénieux et dynamiques qui suivent le regard du David avec le moins de cuts possibles, un Bruce Willis incroyablement juste. La scène apporte son lot de frissons, issus notamment de tout ce que la situation implique. C'est un tournant dans la vie de David, c'est le moment clé de sa vie, qui lui fait prendre conscience qu'il y a une part de sa personnalité qu'il n'a jamais exploitée et dont il n'a jamais eu connaissance. C'est également le point culminant de sa quête, un aboutissement spirituel puissant.

 

Incassable - Analyse du chef d'oeuvre de Shyamalan

        Et puis, que dire de Samuel L. Jackson ? Cet acteur est exemplaire et trouve ici l'un de ses meilleurs rôles, on éprouve à la fois de la pitié et de l'admiration pour son personnage qui semble avoir toutes les données dans sa tête et qui n'est pas aussi fou qu'on aurait pu le penser. L'acteur est notamment très émouvant dans la scène finale, que je ne dévoile pas ici mais qui finit d'achever le spectateur en insistant sur la dualité entre les deux personnages, extrêmement cohérente. Cependant, vous pouvez continuer la lecture de cette analyse en suivant ce lien qui explicite le dénouement. C'est l'une des plus belles fins de films qu'il m'ait été donné de voir, elle résume à elle seule tout ce qui a été mis en place depuis le début.

 

       Le personnage d'Elijah est, en plus d'être très atypique, passionnant du début à la fin. Associé à la couleur violette (tandis que David se verra attribuer un bleu qui rappelle l'eau, sa "kryptonite"), son histoire est aussi triste que poignante et, encore une fois, magnifiquement relatée. Les flashbacks qui expliquent la genèse d'Elijah, de sa naissance à sa découverte des comics, regorgent d'idées de mise en scène propres à Shyamalan. Impossible de ne pas saluer les astuces qui permettent au réalisateur de tourner certaines situations en un plan. La naissance d'Elijah est filmée en plan-séquence et, en quelques secondes seulement, tous les éléments nous sont fournis en montrant les réactions de chaque personnage (la mère, le médecin). De même, la scène lors de laquelle le jeune Elijah parle à sa mère, figé devant un poste de télévision éteint, joue astucieusement sur le reflet de l'écran pour éviter à la caméra de se couper, tout en appuyant le fait que le garçon ne vit que dans l'ombre de lui-même. Je pourrais encore parler des heures de la mise en scène de Shyamalan tant ses plans me fascinent. Certains d'entre eux restent en tête, comme ce moment où la caméra suit le mouvement du comic qu'Elijah retourne pour voir à l'endroit.

 

Incassable - Analyse du chef d'oeuvre de Shyamalan

        Bref, ce film est une merveille, que je ne me lasserai jamais de voir. Chaque visionnage apporte quelque chose de plus, offrant un superbe univers riche en idées. Un chef d'oeuvre.

 

Pour + de Shyamalan :

 



Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article