Ce film magnifique aborde tellement de sujets différents que j'espère ne pas en oublier.
Black Swan parle avant tout de l'ambition et la détermination d'une jeune femme,
Nina, qui veut absolument jouer le rôle principal d'un ballet à succès,
Le Lac des Cygnes. Elle doit incarner deux rôles à la fois, le
Cygne Blanc et le
Cygne Noir (
Black Swan), à travers sa danse. Et voilà, notre ballerine est absolument parfaite dans le rôle du
Cygne Blanc, mais c'est le
Black Swan qui lui pose problème... A vouloir être trop parfaite, avec des pas de danse millimétrés, elle ne parvient pas à incarner ce double obscur censé être imprévisible, sensuel et séduisant, à l'opposé du premier qui réprésente la grâce et l'innocence. Bref, tout ceci est parfaitement bien décrit dans le film, beaucoup mieux que si j'essayais de l'expliquer, et honnêtement il faut le voir, c'est le truc à ne pas louper en ce début d'année. Toujours est-il que la jeune femme va vouloir à tout prix atteindre la perfection en faisant un travail important sur elle-même, selon les conseils de son chorégraphe
Thomas Leroy interprété par l'excellent
Vincent Cassel. A cause de son mode de vie strict et sans écarts,
Nina est incapable d'interpréter le
Black Swan. Il faut donc qu'elle se lâche, qu'elle apprenne à vivre plus intensément, ce qui va bouleverser son caractère.
Le film débute sur une scène des plus magnifiques qui met tout de suite dans l'ambiance sans fioritures. Des plans très rapprochés, sur les pieds, la taille, le visage de Nina qui danse sur scène dans une ambiance très sombre. Au début, le personnage est une femme très réservée, travaillant sans relâche, appliquée et beaucoup trop conciliante avec son entourage. Trop fragile, trop gentille, la petite fille modèle qui ne pense qu'à une chose : atteindre le sommet de son art et briller sur scène. Mais son chorégraphe lui apprend qu'elle va devoir se lâcher, car le fait de vouloir être trop parfaite l'empêche justement d'interpréter la subtilité du double rôle. Ce changement va se faire par l'éveil sexuel mais pas seulement. Elle va devoir apprendre à dominer les autres, à contrôler sa vie plutôt que de la subir et de se soumettre à l'autorité. La relation entre
Nina et
Thomas est assez ambiguë, on se demande d'ailleurs parfois ce que souhaite réellement ce personnage qui ne cesse de faire des allusions au sexe, ce qui gêne bien évidemment la jeune femme.
Vincent Cassel incarne à la perfection ce qu'on croit être un enfoiré de service, à la fois très dur, très sévère, et assez spécial. Mais c'est par ce comportement qu'il va réussir à lui faire comprendre qu'elle doit réagir et s'éclater un peu, afin d'épanouir totalement sa danseuse et la mener à l'apogée de son art. Faire descendre toute la tension qui l'accable constamment. Tout ceci passe également par un autre personnage,
Lily, la rivale de
Nina qui pourtant s'avère fort sympathique et encourageante à l'égard de celle-ci. L'actrice
Mila Kunis est vraiment excellente, très crédible, avec un naturel incroyable. Mais son personnage n'a rien d'extraordinaire, elle incarne simplement la "bonne copine". Elle, par contre, est très à l'aise sur le rôle du
Black Swan qu'elle maîtrise bien, ce qui est lié bien sûr à son mode de vie plus fêtard et moins studieux. Elle va initier
Nina, l'aider à s'épanouir sexuellement au travers d'un fantasme, et ainsi réveiller en elle la part de méchanceté et de brutalité qui va modifier son comportement.
Un comportement qui change notamment vis-à-vis de sa mère (
Barbara Hershey), une femme ultra-protectrice qui a abandonné sa propre carrière de danseuse afin d'élever sa fille. Jalouse de sa fille, elle en est pourtant très fière et ferait tout pour qu'elle réussisse. Mais à l'inverse, elle est terrifiée à l'idée de perdre celle avec qui elle passe beaucoup de temps. Là encore la relation entre mère et fille est étrange, puisque
Nina est toujours considérée comme une gamine de 12 ans, chose qu'elle subit constamment sans rien dire, jusqu'au réveil de son double maléfique. Pendant tout le début du film, la jeune femme s'habille donc en rose, gris, blanc, s'endort avec une boîte à musique, laisse sa mère lui défaire sa robe, et tout ceci va subitement changer lorsque
Nina prend conscience de sa situation. Cette évolution se voit clairement au cours du film, par le biais des blessures aux doigts, aux orteils, et surtout dans le dos de la jeune femme qui tente les cacher et de les refouler, certainement par peur de devenir quelqu'un d'autre, de se transformer justement en
Black Swan. Le personnage de
Natalie Portman est vraiment passionnant, intrigant, très profond et recherché. C'est avec un tel travail sur les personnages qu'un film devient aussi captivant, car on se sent impliqué dans la vie de cette fille qui va tout faire pour arriver à la perfection, quitte à devenir cinglée. Le jeu de l'actrice relève vraiment du génie, elle n'en fait jamais trop, parvient à être touchante d'un bout à l'autre avec une grâce et une sensibilité infinie. Tout le film se base autour d'elle, qui occulte presque tous les autres personnages (bien que
Vincent Cassel ait son mot à dire !). Chaque scène permet de capter son regard, son talent vraiment dingue. Il parait qu'elle est très bien partie pour obtenir l'oscar de la meilleure actrice, et c'est absolument ce qu'elle mérite. Avec
Mila Kunis, elle a dû effectuer un travail immense pour pouvoir atteindre un niveau correct de danse. Certains chorégraphes de métier s'en sont d'ailleurs donné à coeur joie pour critiquer la performance artistique des deux femmes, qu'ils jugent plutôt quelconques, mais pour un pur néophyte comme moi, le boulot accompli est sublime et saisissant. Il faut dire que tout est filmé avec des plans très rapprochés qui permettent de maintenir l'illusion, le film étant tourné caméra à l'épaule. Un procédé qui passe très bien, car on se sent proches des personnages. Dans tous les cas, ceux qui ont critiqué le film à cause des talents de danseuse de
Portman prouvent qu'ils ont loupé l'essentiel du film, car ça doit occuper au maximum 20 minutes de l'intrigue. Effectivement il n'a jamais été dans l'intention du réalisateur
Darren Aronofsky de faire un film sur la danse (à la base il était d'ailleurs prévu que le personnage principal fasse du théâtre). Tout l'intérêt du film est d'ordre psychologique, et c'est fait avec tant de subtilité que j'en étais subjugué : on suit le calvaire d'une jeune femme dans ce métier très difficile, réservée aux élites, où la tension et le stress prennent énormément de place. Loin de l'idée d'
Aronofsky de critiquer l'univers de la danse puisqu'au contraire c'est un thème très peu abordé au cinéma et que ça nous permet de découvrir et d'apprécier le ballet sous un format différent, il nous présente cependant une danseuse devenant complètement folle à cause de son travail, ce qui a pu déplaire aux gens du métier. Mais tout ce thème du double est passionnant, à travers les miroirs qui reflètent parfois au personnage de nouvelles facettes de sa personnalité qu'elle a peur de dévoiler. Tous ces miroirs sont vraiment symboliques car ils représentent à la fois le monde du ballet (où cet accessoire est indispensable) et la notion de reflet très importante dans la personnalité de
Nina. Cette confrontation permanente entre ses deux personnalités (le
Cygne Blanc et le
Cygne Noir) est également synonyme de quelques moments de frayeur pour le spectateur, avec une ambiance parfois assez flippante il faut l'avouer.
Un autre thème intéressant du film qui intrigue, c'est toute cette notion de perfection recherchée par le personnage.
Nina cherche à tout prix la perfection dans son art, afin de réaliser la représentation parfaite face à son public. Elle est obsédée par cette idée et c'est d'ailleurs ce qui va la tourmenter et la torturer. Comme
Natalie Portman a elle-même parfaitement bien résumé la chose, je vais la citer : "
Nina recherche la perfection, mais la perfection ne peut exister que durant un bref instant, et comme tous les artistes elle risque de se détruire elle-même en tentant de l’atteindre. Quand elle essaye de devenir le Cygne noir, une chose sinistre et inquiétante se réveille en elle. Elle va alors traverser une crise d’identité durant laquelle, en plus de ne plus savoir qui elle est, elle ne mesure plus vraiment la différence entre elle-même et les autres. Elle commence à se voir un peu partout". C'est à travers
Beth, le personnage incarné par
Winona Ryder (encore une excellente actrice, inoubliable dans
Edward aux Mains d'Argent et qu'on voit beaucoup trop peu je trouve) que va naître chez
Nina une peur folle de son futur proche. On est loin d'imaginer ce que les danseurs et danseuses doivent endurer pour perfectionner leur art au maximum, et
Beth incarne justement cette perfection qui l'a menée à sa perte. La fin du film est d'une beauté époustouflante, sensationnelle et très puissante. Sur grand écran, j'ai pris une véritable claque. Vraiment bouleversant.
Bref, je m'arrête là avant d'en dire trop mais je pense que ce film est une pure merveille, peut-être même vais-je me laisser tenter à retourner le voir. Et pour ceux qui ont peur de s'ennuyer à cause du sujet traité (le ballet), sachez que ce n'est pas non plus ma tasse de thé mais que le film se concentre plus sur l'évolution dramatique d'une jeune femme qu'autre chose. Et puis même, ça m'a permis d'apprécier cet art que je connais très peu et qui rebute les gens facilement (c'est d'ailleurs très bien présenté dans le film, avec humour, lorsque
Nina et
Lily rencontrent deux jeunes hommes dans un bar et qu'ils trouvent que le ballet c'est "chiant" sans jamais y avoir assisté). Pour finir il faut noter que la BO de ce film est magique. Absolument sublime, composée par
Clint Mansell (qui avait déjà fait la BO de
Requiem for a Dream). Même les reprises de
Tchaïkovski sont dignes des musiques originales, bien que plus sombres et plus modernes.
Pour moi ce film est clairement un chef d'oeuvre qui montre une fois de plus le talent incommensurable de
Natalie Portman, toujours juste, poignante et impliquée. Elle attire constamment notre regard avec sa présence incroyable. Bref, un film à voir de toute urgence.