, ce film de 2001 est une incroyable expérience cinématographique. Ceux qui ne se complaisent que dans le cinéma conventionnel et sans surprises n'aimeront pas
, qui secoue autant par des scènes violentes que par la beauté du montage des images. Dès le début, on reconnait clairement la patte du réalisateur avec ce générique très bizarre mais génial. Quelques effets stroboscopiques, un fond sonore synchronisé avec l'apparition des noms, écrits en gros, qui clignotent. Nul doute possible : c'est un film de
qui débute et il est clairement impossible de décoller du siège du début à la fin du film. On ne va pas préparer une tasse de café ou pisser un coup en attendant que le générique passe, non, on est captivé par cette entrée en matière qui met tout de suite dans une ambiance de dingue, limite morbide et terrifiante.
Puis le film commence "réellement", et là, le style de la caméra, typique d'
Enter the Void, m'a encore littéralement scotché. Cinématographiquement, je trouve cette façon de filmer vraiment novatrice et géniale. La caméra se comporte presque comme un être humain (un être humain bourré), sauf qu'elle ne peut pas intéragir avec les personnages, juste les observer. Simple spectatrice de ce qu'elle filme, elle n'en demeure pas moins au coeur de l'intrigue et nous montre tout pratiquement à la première personne, à part lorsqu'elle s'octroie le droit de voyager à travers les murs. Les mouvements de caméra sont vraiment étranges, comme si elle se déplaçait de façon aléatoire, mais néanmoins obligée de suivre les personnages principaux. Elle ne peut pas s'empêcher de bouger, d'aller à droite, à gauche, de tourner, se retourner, regarder en l'air, si bien qu'on a le sentiment qu'elle ne fait que flotter dans une pièce, contrainte à nous montrer ce qui se passe. Ca donne vraiment un effet très spécial au film puisqu'on a l'impression qu'il n'y a personne derrière la caméra, que les plans ne sont pas volontaires alors qu'évidemment, ils sont très soignés. Bref, ça donne une atmosphère de dingue et j'adore totalement. En plus, le fait de filmer de cette étrange façon rend impossible les changements de plans, ce qui fait que le film est composé d'immenses plans-séquences. Et certains d'entre vous savent peut-être à quel point je suis complètement fou des plans-séquences. Je les recherche, je les savoure. Ca donne un côté ultra réaliste à un film en plus de montrer un certain talent de la part de celui qui l'a réalisé et des acteurs. Car ici, les plans sont très pensés, on sent que le réalisateur a beaucoup réfléchi avant de les mettre en bobine, il n'a pas peur de les pousser jusqu'à 10 ou 15 minutes et c'est agréable. En tout cas, c'est beau, car bien sûr, je dis "agréable" mais tout dépend de ce qu'il filme.
Dans la première partie du film, la caméra ne s'arrête de bouger qu'à un seul moment, à savoir la fameuse scène choc qui a tant remué le public, alors qu'elle s'est bien gardée de ne pas montrer les choses explicitement au début. On ne peut pas nier que
Irréversible est impressionnant et assez horrible lors de ces deux scènes qui figurent parmi les plus violentes de toute l'histoire du cinéma, proches de l'ignominie : la scène de l'extincteur et la scène du viol. Personnellement je ne les ai pas non plus trouvées énoooormément insoutenables, mais c'est clair que ça sort de l'ordinaire. Ca secoue et c'est une chose qu'il est extrêmement rare d'expérimenter, émotionnellement parlant. Car ce ne sont pas les pseudo-films d'horreur, aujourd'hui, qui vont nous choquer. Non,
Gaspar Noé a bien compris que le plus gros choc possible serait de mettre en scène les actes les plus ignobles qu'un être humain puisse effectuer. Les deux scènes sont tellement réalistes, elles font tellement vraies qu'elles en deviennent extrêmement dures, et je comprends que pour certains se fut à la limite du supportable. Pour ma part, le passage le plus insupportable aura été au début du film, dans la boîte de nuit
Le Rectum. Dès le début du film, on nous annonce la couleur avec une scène très longue où le personnage de
Vincent Cassel,
Marcus, recherche
Le Ténia dans
Le Rectum (attention aux méprises). La caméra parcourt les tréfonds les plus glauques de la boîte gay sado-masochiste et, même si elle ne montre les choses que par intervalles d'au plus 2 secondes et demie, ce n'est qu'une habile façon de rendre le tout encore plus trash par l'intermédiaire de notre imagination. Le génie de cette scène réside d'ailleurs aussi dans la musique, absolument énorme, gigantesque, intense, signée
Thomas Bangalter. L'une des compositions les plus étranges qu'il m'ait été donné d'entendre (dans le même genre j'avais envie de parler de
Salad Fingers mais je me rends compte que la comparaison est nulle à chier). Ca foutrait presque les boules mais qu'est-ce que c'est bon :
Ceci dit, et même si j'admets que le début du film contient son lot de scènes difficiles, je ne comprendrai jamais que des spectateurs puissent descendre le film sur ces seuls éléments. Certains ont même abandonné le visionnage du film au bout de 30 minutes et en ont conclu que c'était de la merde. D'accord, on voit un mec se faire déchiqueter la gueule à coups d'extincteur, et c'est vraiment pas beau à voir, mais si on ne garde que cette scène à l'esprit en mentionnant ce film, on passe quand même à côté du reste. Je vais m'expliquer un peu plus tard.
Le temps détruit tout. C'est avec cette réplique que débute le film, et avec elle qu'il se termine.
Irréversible nous le montre bien : tout peut basculer en un rien de temps. En l'espace d'une seule journée, la vie d'au moins 3 personnes a été détruite à cause d'un drame des plus affligeants : le viol d'une femme. Mais ce qui est fort avec
Irréversible et qui rend le message percutant, c'est qu'il est monté à l'envers. Ainsi, au lieu de nous montrer la pire journée de la vie des personnages en allant crescendo dans l'horreur,
Gaspar Noé nous propose le contraire. A savoir qu'il remonte le temps (de façon intelligente) en commençant par nous montrer les scènes horribles pour finir par la belle vie, la vie "avant le drame". Ce qui est très (très) balaise, c'est que le réalisateur nous balance directement, dès le début, deux personnages qu'on ne connait pas, dont l'un semble particulièrement rempli de haine. On ne sait pas bien qui se passe, on ne sait pas comment ils sont arrivés là, mais on commence par se dire une chose : "
Putain, cette scène de l'extincteur est ultra-gratuite et sans intérêt, ce film s'annonce donc inutile". Sauf que l'erreur ultime est de décrocher complètement à partir de ce moment. Dès qu'on se rend compte que les scènes du film ne sont pas montées dans le bon sens, on se dit que, finalement, on va pouvoir mieux connaître ces personnages afin de résoudre le mystère du film : comment en sont-ils arrivés là ? Cette énigme est résolue assez rapidement, à la 42e minute lorsque le personnage de
Monica Bellucci,
Alex, commence à se faire violer. On peut également se dire que cette scène épouvantable de 11 minutes est totalement gratuite et que le film n'aboutit définitivement à rien d'intéressant.
Sauf qu'au moment même où on se pose cette question, on réalise que la scène de l'extincteur, bizarrement, ne nous parait plus du tout gratuite. Car on comprend désormais que si les personnages de
Vincent Cassel et
Albert Dupontel sont autant remplis de rage, c'est pour une bonne raison ; l'instinct de vengeance. En d'autres termes,
Noé se sert d'une horreur pour en couvrir une autre et c'est terriblement malin. Ca prouve également qu'il n'a pas décidé de raconter la trame à l'envers pour "faire genre", mais réellement pour faire évoluer notre ressenti face à tant de violence.
Le cas de la scène de l'extincteur est donc réglé. Par contre, celui de la scène du viol l'est moins, et c'est là que s'arrête cette réflexion. Car du coup, la scène du viol prend la place de l'autre et nous parait gratuite. Et cette impression là ne disparaîtra pas avant la fin.
Cependant, on ne peut décemment pas dire que cette scène est inutile. Avec ce fameux passage,
Noé repousse nos limites, il teste ce que nous sommes capables de supporter. Mais pas seulement. Je vais faire un commentaire très bateau mais à travers cette scène, il y a une sensibilisation au viol qui s'impose. Même si tout le monde le sait : violer c'est pas beau, il faut dire qu'en terme de sensibilisation, même les meilleures campagnes n'ont pas fait mieux. Car incontestablement, ça gêne mais ça calme. On prend une gifle hallucinante dont la marque n'est pas prête de s'effacer. Certains crieront, affirmant que la scène est bien trop longue et que le réalisateur a abusé. Mais dans la vraie vie, quand une femme se fait violer, on ne coupe pas la scène en plein milieu. Elle est forcée de subir le supplice jusqu'au bout. C'est atroce mais c'est ainsi, et le film essaie de reproduire la même chose. Ceci dit, je pense quand même qu'avec cette scène,
Gaspar Noé savait qu'il exploitait un bon filon à "buzz". Une provocation prononcée à l'égard du spectateur, qui verra ça comme un point positif ou pas. Pour ma part, je trouve que la scène a au moins le mérite de nous "renverser", de nous faire vivre une expérience cinématographique comme jamais on n'en reverra.
Voilà pour la violence.
Mais attention, comme je l'ai dit il serait totalement abruti de résumer le film à ces deux scènes. On parle d'
Irréversible et on pense "
ah, oui, la scène du viol...", mais il ne faut pas oublier tous les thèmes sous-jacents et les idées développées dans la suite du film. Car celui-ci ne dure par 53 minutes, non, il en fait 93 ! Après presque une heure assez éprouvante, on tombe subitement dans un cinéma beaucoup plus calme, plus posé. Finie l'horreur, on nous montre maintenant ce qu'étaient nos trois personnages avant le drame qui a radicalement changé leurs vies. En remontant le temps, l'idée du Destin est apparente. Comme si cette terrible journée avait été prévue à l'avance et que les personnages ne pouvaient pas changer leur destin, aussi moche soit-il. On voit les personnages se diriger inélutablement vers un futur qu'on a déjà vu, et ça donne de la profondeur à leurs gestes mais également leurs paroles. Il est amusant de voir à quel point le personnage d'
Albert Dupontel tente d'empêcher
Alexandra de partir de la soirée, bien qu'il n'ait aucune idée de la tournure de la fin de soirée. Il ajoute même un petit "
Et puis à cette heure-là, c'est pas très prudent !", chose qu'on dit toujours, mais qu'on ne prend jamais au sérieux.
Irréversible montre alors clairement que ce genre d'horreurs n'arrive pas qu'aux autres, contrairement à ce qu'on a l'habitude de penser hâtivement. On ne pense pas à ces choses-là (et heureusement, sinon on ne ferait rien de notre vie), mais elles peuvent bien nous tomber sur le coin de la goule.
Le film prend donc soin de s'intéresser au thème du destin. A l'instar de
Enter the Void, le personnage de
Monica Bellucci est entrain de lire un livre intéressant sur le destin et les rêves prémonitoires. Je ne comprends pas comment certains peuvent qualifier ce film d'ennuyeux, sachant que pratiquement chaque réplique est importante, lourde de sens, que tous les indices et clins d'oeils sont passionnants et qu'on les attend avec impatience. Amusant de constater que le matin même du drame,
Alex a rêvé d'un "
tunnel rouge qui se brisait en deux", sans savoir qu'elle venait de faire le rêve prémonitoire qui allait conclure sa journée. A un moment, lorsqu'elle a commencé à parler du couloir rouge, je me suis dit "
non, on ne va pas me dire que tout ce qu'on a vu jusqu'à maintenant n'était qu'un rêve ?". Heureusement,
Noé est beaucoup plus malin que ça (j'aurais été extrêmement déçu par cette révélation à deux balles qui aurait détruit tout ce que le film venait de construire). Intéressant également de voir qu'
Alex tient, dans le métro, des propos qu'elle n'est pas prête de reformuler un jour. En gros, "
dans le sexe, il faut parfois être égoïste, ne penser qu'à son petit plaisir, et la femme parfois est heureuse à travers la jouissance de son homme". Des paroles qu'elle prononce, comme ça dans la journée, mais à propos desquelles elle risque de changer radicalement d'avis, malheureusement pour elle. Et bien entendu, toutes ces conversations entre les trois personnages se font par l'intermédiaire de magnifiques plans-séquences lors desquels j'ai pris mon pied. Ils donnent vraiment une impression de réalisme absolu, comme si nous écoutions nous-mêmes des passagers dans le métro lors d'une journée banale. Sauf que contrairement à d'habitude, on sait exactement ce qu'il va leur arriver et on ne peut pas s'empêcher d'être pendu à leurs lèvres. D'ailleurs, on constatera que la caméra est plus calme, plus stable et moins hasardeuse.
La fin du film est également géniale, car elle est synonyme d'espoir. Le personnage de
Monica Bellucci décide d'utiliser un test de grossesse avant d'entamer sa journée et se rend compte qu'elle est enceinte. Si elle avait fait ce test le lendemain, elle aurait eu un énorme doute sur l'identité du père, mais non, elle décide de le faire maintenant. A la fin du film, on la voit enceinte (sur fond d'une sublime musique,
La 7eme symphonie de Beethoven). Chose étrange, on ne voit pas
Vincent Cassel mais passons : visiblement, le drame n'a pas perturbé la grossesse d'
Alex. Et ce bébé, symbolisé par l'affiche de
2001 l'Odyssée de l'Espace sur le mur derrière elle, est un synonyme d'espoir qui nous avait presque quitté après toutes ces horreurs. Mais malgré tout ça, malgré l'ambiance glauque et moche que
Gaspar Noé nous impose, il prend le soin de conclure son film sur une note positive. Pour nous rassurer. Donc, en fait, à la fin du film la dernière scène réprésente (à mon avis) le futur et non plus le passé. Sinon, la fin est pour moi hautement incohérente. Autre théorie qui me plait tout à fait : Alex serait morte après le viol, et la scène finale sur l'herbe serait un "paradis" pour la femme, où elle serait enceinte au milieu d'enfants. Je ne vois que ces deux théories car selon moi, lorsqu'Alex se touche le ventre, celui-ci est gonflé. Si je me plante et que son ventre est en fait normal, on peut donc considérer une troisième théorie (la plus logique) qui serait que cette scène finale suit directement la scène du test de grossesse. Cette théorie est la plus cohérente car le visage d'Alex n'a pas la moindre cicatrice. Et ça coïncide parfaitement avec l'idée de "le temps détruit tout" proposée par le film.
Quoiqu'il en soit, les trois acteurs principaux sont absolument géniaux.
Vincent Cassel est poignant comme jamais. C'est la première fois que je le vois aussi émouvant dans un film, notamment lorsqu'il voit sa compagne sur un brancard la tête amochée, et qu'il se paye une mine déconfite. Ou encore ce moment où, les yeux dans le vide, il entend deux mecs lui parler de "retrouver le criminel". De manière générale, l'acteur est à la fois touchant, drôle et surtout vrai. Tout au long des 90 minutes, il est tout simplement génial, incarnant à la perfection le mec cool qui aime faire la fête, un peu gamin sur les bords mais qui se prend une dure réalité de plein fouet. Son évolution est touchante, puisqu'on comprend seulement au milieu du film pourquoi il était à ce point énervé dans la première moitié. Il joue avec un naturel franchement impressionnant, je ne sais pas bien comment le décrire. Quant à
Albert Dupontel, il est également parfait et inattendu, dans le rôle du médiateur qui tente constamment de calmer le jeu. Son personnage est extrêmement touché par le drame qui a touché son ex, qu'il adore toujours, et c'est également avec un regard vide et profondément déboussolé qu'il répond aux questions des policiers. Constamment, il incarne le mec sérieux qui essaie de canaliser la colère de son pote, ne cessant de lui répéter qu'il est inutile de se venger, que c'est "animal". Il est marrant de voir qu'à la fin de l'histoire, c'est finalement lui et pas
Marcus qui explose dans un excès de rage monumental, renonçant à rester pacifique pour déverser la colère qu'il a contenue pendant des heures. Ca rend le personnage intéressant, surtout quand on ajoute le charisme de
Dupontel avec sa voix bien caractéristique. Quant à
Monica Bellucci, elle est également parfaite dans un rôle très difficile, notamment bien sûr lors de la scène interminable du viol où elle excelle d'un bout à l'autre, montrant avec violence et réalisme toute l'horreur de la scène. Ce passage n'a pas fini de faire parler par son voyeurisme affreux et cette impression de lâcheté qui nous parcourt l'échine. En effet, on voit à un moment un homme entrer dans le tunnel, voir la femme se faire violer avant de faire demi-tour, par peur. On se demande alors quelle aurait été notre réaction face à une telle horreur, confrontés à la peur qui nous tenaille et la lâcheté immonde, mais néanmoins poussés par le sentiment d'injustice et afin d'éviter de culpabiliser pendant le reste de sa vie. C'est un film qui marque donc par sa forme autant que son fond car il nous fait quand même pas mal réfléchir.
Bref, pour conclure, je pense avoir résumé tout ce que j'avais à dire sur
Irréversible. Quand on ressort d'un tel film (avec bien sûr les effets stroboscopiques clignotants qui vont avec,
Gaspar Noé oblige), on ne sait pas trop quoi en penser et surtout : de quelle façon le juger ? Une chose est certaine, je l'ai trouvé très marquant mais dans le "bon" sens du terme, car il nous plonge dans un truc qu'on ne reverra pas de si tôt. Une véritable expérience de taré qui me confirme, après le magnifique
Enter the Void, qu'il faut que je regarde les autres films du cinéaste.